La taverne exhale une chaleur dense, mêlée aux effluves d’alcool, de bois brûlé et d’épices étrangères. Pour Deirdre, le contraste avec l’air pur des plaines où elle a grandi est saisissant. Elle reste sous sa cape, la capuche baissée, observant les allées et venues des clients. À ses côtés, Barbak trône presque naturellement, attirant les regards et intimidant les moins prudents.
Un des derniers aventuriers fait son entrée. La commandante d'une guilde de mercenaires l’observe volontairement, avec attention mais sans manquer de respect. L’homme aux traits fins, légèrement efféminés, mesure environ un mètre quatre-vingt. Elle se sent capable de le maîtriser à distance si nécessaire grâce à sa télékinésie. Sa chevelure, sauvage et flamboyante, semble indomptable, et ses yeux rouges laissent deviner sa nature singulière. Elle sent un léger réconfort à ne pas être totalement seule face à cette étrangeté, mais elle reste prudente et silencieuse.
Lorsque le nouveau compagnon s’assied à leurs côtés, une musique entraînante s’élève, d’abord timide puis plus affirmée. L’hybride se surprend à sourire. L’ambiance n’est pas désagréable, et cela lui rappelle son monde d’origine. Elle mange avec modération, juste assez pour tenir et garder de l’énergie. Un hoquet de surprise la saisit lorsque Barbak s’exprime, et elle se retient de s’étouffer : la spontanéité du colosse est toujours impressionnante.
Il manquait plus que ça ! Une bagarre éclate, comme si elle avait été prévue. Même la propriétaire des lieux ne semble pas surprise, habituée à ce type de débordement. La sang mêlé esquisse un petit sourire en coin, mais son esprit reste partiellement ailleurs. Elle repense au terranide-loup aperçu plus tôt dans la rue, survivant d’un combat ancien et douloureux, et au mélange de peur et d’espoir qui l’avait saisie. La tension serre encore son corps, qui réclame une pause : détour obligé vers les toilettes de la taverne. Non seulement pour un soulagement physique, mais aussi pour reprendre le contrôle de ses sens et apaiser le tumulte de ses émotions.
Elle glisse un regard vers Barbak, absorbé par sa bagarre, et vers Lucian, soit en pleine conversation avec le commanditaire, soit en train d’observer les clients. Sans un mot, elle se lève, ajuste sa cape et prend sa besace, esquivant de justesse une chaise lancée à hauteur de visage. Le bois du plancher craque légèrement sous ses pas légers. Derrière la porte, elle trouve enfin un instant de solitude. Elle ferme les yeux, respire profondément, et se concentre sur chaque sensation : le contact frais du carrelage contre ses paumes, l’odeur du bois et de l’eau, le battement régulier de son cœur. Sa respiration, d’abord saccadée, se fait plus calme. Elle se recentre sur le calme intérieur nécessaire pour poursuivre sa mission, touchant un vêtement particulier : un dernier lien possible avec Anakha. La chaleur du tissu contre sa peau lui rappelle la présence de quelqu’un qu’elle aime et perdu, et un frisson parcourt ses ailes sous sa peau. Il lui manque.
Alors qu’elle reste là, immobile, un autre niveau de perception s’éveille en elle. Sans effort apparent, ses sens d’ange-fée captent plus que ce qui est visible. Barbak, proche d’elle, diffuse une chaleur rassurante, stable, comme un roc sur lequel se reposer. Lucian, lui, transmet une énergie plus complexe : mesurée, attentive, chargée de vigilance et de souvenirs de guerres anciennes. Deirdre note la tension dans ses épaules, le rythme de son souffle, et comprend que ce démon ne se laissera jamais surprendre. Enfin, le commanditaire : calme, mesuré, autoritaire sans imposer. Une vague sous-jacente d’expérience et de contrôle, prête à soutenir ou corriger selon le besoin.
Tout cela, Deirdre le perçoit instinctivement, et un sourire intérieur naît. Dans ce silence ponctué par le crépitement de la cheminée, un lien fragile mais réel se forme. Ses sens affûtés ressentent déjà qui peut la soutenir, qui peut la surprendre et qui partage le poids d’une confiance naissante. Ce moment devient un équilibre subtil entre vigilance et repos, un instant suspendu où elle peut enfin respirer et se préparer pour la suite.
Lorsqu'elle revient, le tumulte s’apaise. La mercenaire reprend sa place sur la chaise vide entre le commanditaire et Lucian. Elle observe ses compagnons avec plus de sérénité. Barbak, enfin repu et légèrement épuisé, se repose sur sa chaise, ses cornes frôlant presque le bois du dossier. La chaleur du feu se répand sur son visage, et elle sent ses muscles se détendre peu à peu. Deirdre esquisse un léger sourire, appréciant la simplicité de cet instant après la tempête. Elle laisse ses mains glisser sur ses genoux, fermes mais calmes, et un sentiment de contrôle renaît doucement dans son corps.
La jeune femme se penche légèrement vers le commanditaire, sa voix claire mais posée :
"Sous ses airs bourrus, Barbak cache un véritable cœur. J’ai confiance en lui, dit-elle en désignant le colosse d’un geste discret. Même si son comportement peut paraître… excentrique aux yeux des autres, je me porte garante pour lui."
Le commanditaire l’observe attentivement, jaugeant la sincérité de ses mots. Deirdre ne détourne pas le regard, consciente que ces assurances comptent dans un monde où chacun se méfie de tous.
Puis elle se tourne vers Lucian, posant ses mains sur la table, le visage sérieux mais sans menace :
"Et toi… Lucian… tu es un démon, n’est-ce pas ? Si jamais je me trouve dans l’impossibilité de me défendre, ou si je te supplie de m’assommer, tu devras le faire dans la seconde, sans poser de questions, dit-elle doucement mais avec fermeté. Je vous expliquerai plus tard pourquoi."
Le commanditaire intervient alors, la voix posée, presque neutre :
— Très bien. Nous avons un groupe disparate, mais chacun ici a ses forces et ses limites. L’essentiel est de savoir que vous vous connaissez suffisamment pour avancer ensemble.
Deirdre croise ses doigts, respire doucement et répond avec un léger sourire :
"Un instant. Je me dois d’être honnête. Barbak, je m’excuse de ne pas l’avoir dit plus tôt."
Elle abaisse alors sa capuche pour laisser apparaître ses longs cheveux bleus attachés en un chignon désordonné.
"Je suis une hybride, une ange-fée. Le colosse de pierre et moi avons déjà commencé à travailler ensemble, même si nos chemins ont été différents. Barbak et moi avons affronté le chaos côte à côte, et il a toujours été un allié fidèle. Quant à toi, Lucian… nous commençons seulement à apprendre à nous connaître."
Un silence s’installe, ponctué seulement par le crépitement de la cheminée. Deirdre se sent plus légère : la première étape de la confiance est franchie, même si elle reste prudente. Ses doigts se resserrent légèrement sur ses genoux, la chaleur du feu caressant sa peau, tandis qu’une étrange sérénité naît dans son souffle. Elle se sent plus ancrée, prête à affronter la suite, consciente que la vigilance reste nécessaire.
— Bien, conclut le commanditaire, vous pouvez profiter de ce moment pour vous reposer et vous préparer. Nous partirons à l’aube.
La combattante acquiesce et, d’un geste naturel, se replie sur elle-même, jambes repliées sous la chaise, mains posées sur ses genoux. Elle regarde les flammes danser et crépiter, songeant à la mission, à la promesse faite avant sa disparition impromptue, et à ce qui l’attend. Chaque reflet dans les braises ravive à la fois la prudence et l’espoir. L’atmosphère, bien que tendue par les enjeux, est maintenant assez sûre pour un échange honnête. Le feu éclaire son visage et la réchauffe un peu. Pas autant que Lui. Bien que sous sa peau ses plumes frémissent, Deirdre se concentre et se tient prête sur ce qui viendra ensuite.