Theorem ne tarda pas à lui expliquer ce qui se passait, et ce fut à Mélinda l’effet d’un coup de fouet.
Mourir ? D’après ce qu’elle avait compris, Hunder, le Dieu de Theorem, lui avait retiré tout ce qu’il lui avait accordé pour accomplir sa quête, choix logique, puisque sa quête était maintenant un échec. Et, visiblement, le retrait des dons d’Hunder équivalait à une mort rapide pour Theorem... Une mort naturellement inacceptable pour Mélinda, car elle supposait briser le cœur d’Akira. Sa relation avec sa fille était très difficile, et, si la venue de Theorem dans la vue de la jeune Warren avait réussi à améliorer leur relation, sa disparition l’aggraverait. Plus que la mort en elle-même de l’Haiena, c’était avant tout la perspective de voir sa fille devenir très triste qui alarmait Mélinda. En ce sens, elle était peut-être une bonne mère.
Theorem lui offrit un dernier baiser, lui avouant qu’il y avait une alternative. Faire de lui une... Une
goule. Hunder avait laissé à cet effet un parchemin qui comprenait le rituel, mais ce dernier devait s’effectuer au soleil couchant. Il s’écroula ensuite de manière très mélodramatique, implorant sa Maîtresse de le sauver, et s’affala entre les bras d’une Mélinda un peu perdue. Elle ferma les yeux, soupira, et tenta de faire le vide dans sa tête.
*
Okay, okay... Voyons voir... Essayons de résumer... L’une de mes protégées vient d’être maudite par un Dieu, et, pour la sauver de la mort, je dois, en une journée, préparer un rituel magique, alors que, d’une part, je n’y connais rien ou presque dans la magie, et que, d’autre part, je ne sais absolument rien des goules !*
Pour elle, la goule était une créature particulièrement et affreuse, qui dévorait les cadavres dans les cimetières ou sur les champs de batailles, dans les charniers... Les soldats ashnardiens connaissaient bien les goules pour s’en méfier lors des rapts, et pour les utiliser à bon escient. Les goules dévoraient des cadavres à la tombée de la nuit, en sortant du sol... Mais Hunder devait avoir en tête un autre type de goule, car les goules traditionnelles étaient de simples monstres, pas des évolutions. Mélinda relâcha le corps de Theorem, et entreprit de se redresser, remettant la table basse. Elle renfila sa robe, et commença à consulter les notes d’Hunder. Ces notes décrivaient un rituel complexe nécessitant plusieurs ingrédients. Mélinda s’y plongeait en fronçant les sourcils lorsque la porte s’ouvrit. Relevant la tête, son visage s’éclaira en voyant la silhouette élancée et sensuelle de son amie, la
magicienne Slotwenna.
«
On m’a dit que tu avais des ennuis, ma chère petite vampire... -
On peut dire ça, oui... » grogna Mélinda.
Un soupir traversa les lèvres de Slotwenna, qui sourit, et croisa les bras. Mélinda lui expliqua alors toute l’histoire, et suscita peu à peu l’intérêt de Slotwenna. La magicienne consulta les notes du Dieu, et poussa quelques soupirs de réflexion, en se frottant le menton. La superbe magicienne s’humecta les lèvres, mordillant l’un de ses gants, et finit par se relever.
«
Ça m’a l’air correct. -
Il... Theorem mourra ce soir, si on n’accomplit pas le rituel avant... -
Et si je te disais que j’avais prévu quelque chose ce soir, ma belle ? Tu sais, l’époque où je passais toutes mes soirées dans ma chambre d’étudiante à l’académie, ou dans la bibliothèque à perfectionner mes connaissances magiques, est révolue. -
Slotwenna... Je te demande ça comme un service... Je ne réussirais pas ce rituel toute seule. »
C’était un aveu de faiblesse, et la magicienne se mordilla les lèvres, soupirant, avant de remuer la tête.
«
Très bien... Tu conduiras ton... Ta protégée à ma tour. Visiblement, les rayons du soleil couchant influent sur le rituel. Mieux vaut donc être à un point où nous sommes sûres d’être éclairées par le soleil. Je me chargerais de réunir les ingrédients requis. -
Merci... Merci, Slotwenna... »
La magicienne haussa les épaules négligemment.
«
C’est bien parce que c’est toi, Mél’... »
Pour réaliser le rituel, neuf éléments étaient nécessaires :
1 – Le corps de celui destiné à devenir la goule, soit Theorem. Les recherches de Slotwenna indiquaient qu’il était préférable qu’il soit conservé à une bonne température, et non pas froid. Mélinda le recouvrit donc d’une couverture ;
2 – Du sable blanc émanant de dunes désertiques. Il fallait du sable pur, mais, fort heureusement, Slotwenna avait des bocaux entiers remplis de sables blancs. Le sable blanc constituait en effet un ingrédient alchimique non négligeable, et bien que le domaine de prédilection de Slotwenna soit la magie, elle était aussi une alchimiste reconnue.
3 – Du sang de hyène frais. Là encore, Slotwenna avait en stock des fioles de sang de différentes créatures dans sa tour. Elle trouva sans grande difficulté celui d’une hyène, et estima que ce serait suffisant, s’aidant d’ouvrages parlant des rituels magiques, plus spécifiquement de ceux concernant les goules
humaines, par opposition aux goules
monstrueuses.
4 – Du sang de hyène séché réduit en poudre fine. N’ayant pas cet ingrédient en stock, la magicienne chargea l’un de ses disciples d’aller en chercher dans une animalerie de la cité impériale. Ce dernier se dépêcha, et passa commande à un artisan, qui lui fournit dans l’heure l’ingrédient recherché.
5 – Un talisman vierge d’une dimension de 7x15 centimètres. Slotwenna en avait naturellement un certain nombre en stock, et en choisit un de bonne facture, afin que cet élément ne fasse pas défaut lors de l’accomplissement du rituel.
6 – Le sang de la future goule, soit celui de Theorem. On en préleva de quoi remplir une petite fiole, la magicienne estimant que ce serait suffisant.
7 – Le sang de Mélinda. Avec regret, cette dernière accepta qu’on prenne un peu de son précieux sang.
8 – Un crâne de matriarche hyène. Slotwenna dut également acheter cet élément, et eut de la chance. La cité impériale étant au cœur d’un désert, les hyènes étaient nombreuses, et elle put donc obtenir ce crâne pour une somme assez élevée. Néanmoins, c’était Mélinda qui se chargeait de payer, et, dans la mesure où Slotwenna aurait droit à des nuits gratuites à son harem, elle n’allait pas faire la fine bouche.
9 – Une dague de sacrifice. Cet élément ne fut pas difficile à obtenir, Slotwenna en ayant un en stock.
Lorsqu’elle eut enfin tous ces éléments, la journée était déjà bien avancée, mais il fallait encore préparer le rituel. Quatre étapes étaient à réaliser, et elle se fia à plusieurs livres, envoyant ses apprentis chercher les personnes supposées l’assister. Le brave Theorem était alors dans les quartiers personnels de Slotwenna. Signe de son influence dans l’Empire, la tour de Slotwenna était au sein du Palais Impérial, dans l’un des nombreuses cours qui entouraient le Palais. Elle avait une chaire à l’académie ashnardienne, et dispensait des cours dans l’académie, tout en étant fréquemment invitée à d’autres académies. Slotwenna était une magicienne de renom, influente et puissante, qui logeait dans diverses organisations magiques internationales.
Ce fut donc sur le toit de la Tour que Mélinda se retrouva, en compagnie de Slotwenna, d’une prêtresse ashnardienne, une véritable dévote encapuchonnée, dont la foi n’était plus à établir, et de plusieurs gardes, qui surveillaient l’accomplissement de ce rituel. Le ciel orangé indiquait que le soleil allait bientôt se coucher, et Slotwenna avait recouvert le milieu de la tour du sable blanc, accomplissant la première partie du rituel. Le corps nu de la Haiena se retrouva posée au milieu dus able blanc, et la magie servit à répandre sur son corps, à l’aide du sang frais de hyène, des lignes tribales. Slotwenna se fiait pour cela à un livre traitant de la question.
«
Le soleil est à sa ligne d’horizon. Entamez la prière. »
La dévote obtempéra. Dans ses fins gants blancs, elle portait le crâne de la matriarche hyène, et se mit à avancer autour de Theorem, brandissant cette dernière, et récita une étrange mélopée dans une langue hachée et ancienne, qui ne disait rien à Mélinda. C’était la langue du Dieu Gnoll. La dévote connaissait la quasi-totalité des langues sacrées, et s’était préparé, apprenant par cœur une série de prières très fortes à formuler à Gnoll. Slotwenna restait dans un coin, croisant les bras. La prière à Gnoll était la deuxième étape, la plus aléatoire. Il fallait que Gnoll soit touché par la prière, et accepte d’accorder la résurrection. Dans le cas contraire, soit le rituel échouerait, soit la goule qui viendrait serait un monstre. D’après ce que Slotwenna avait lu, tout pouvait se produire. La prière dura une bonne quinzaine de minutes, jusqu’à ce que le soleil lâcha ses derniers rayons. On voyait alors dans le ciel le satellite naturel de Terra, et le vent faisait remuer les cheveux de Slotwenna. La prêtresse s’était tue, à genoux, tenant le crâne au-dessus d’elle, et l’un des apprentis de Slotwenna s’avança vers Theorem. Il tentait dans sa main la poudre de sang de hyène, dont un peus ‘échappait de ses doigts tremblants. Ce rituel mélangeait magie et spiritualisme. N’importe qui pouvait le réaliser, tant qu’on connaissait le fonctionnement des lignes tribales antiques d’un Dieu assez méconnu.
L’homme ouvrit la main près de la tête de Theorem, et souffla dessus. La poudre de sang fila dans les narines de la jeune Haiena. A partir de là, il fallait attendre un signe divin. Si Gnoll acceptait, un rayon vert se formerait dans le ciel, et Theorme se réveillerait alors, et on pourrait entamer la troisième étape.