«
Je vais te faire une offre que tu ne pourras pas refuser, ma belle... »
Pour Mélinda, tout avait commencé ainsi, dans le creux de son lit, à la faveur d’une caresse sensuelle, d’un baiser dans le cou, d’un souffle dans son oreille. Assise dans les gradins déserts de la grande piscine municipale de Seikusu, Mélinda songeait distraitement à cela en soupirant, observant la petite beauté qui nageait comme une sirène, remontant le bassin dans sa longueur en restant dans l’eau, avant d’en ressortir, pour replonger dedans, et ainsi de suite. Un vrai poisson dans l’eau. Il ne lui manquait plus qu’une longue queue couverte d’écailles à la place des jambes.
Pour comprendre, il fallait toutefois remonter un peu plus loin que cette chaude nuit dans les quartiers de Mélinda à Ashnard. Il fallait remonter à plusieurs semaines en arrière, voire même à plusieurs mois. Tout avait démarré quand
Kaileesha avait entendu parler, en lisant un journal dans le manoir de Mélinda, de deux individus qui avaient perdu leur procès en appel, le couple Nasegawa. Ils avaient défrayé la chronique du monde financier, ayant été accusés d’un nombre assez impressionnant de crimes. Un procès extrêmement médiatique, très politique, qui avait reçu une attention mondiale. Les Nasegawa étaient après tout un couple japonais extrêmement riche, héritiers d’un clan ancien et puissant au sein de ce pays. La chronique judiciaire de ce couple avait fait la une de toutes les revues économiques spécialisées, que ce soit au Japon ou dans d’autres pays : «
The Economist », «
Alternatives économiques », «
Forbes ». Même le «
New York Times » et le «
Washington Post » avaient fait de longs dossiers sur ce couple. Mélinda avait suivi cette histoire de loin, étant assez impressionnée par les charges retenues : corruption, faux et usages de faux, délit d’initié, trafic d’influence, favoritisme, menaces, harcèlement, homicides, vol, séquestration, torture... Elle avait même découvert de nouvelles infractions !
Ils avaient été condamnés à la peine de mort, et, quand Kaileesha était venue, elle avait distraitement lu le journal, assise sur un fauteuil. Difficile d’imaginer une démone surpuissante en train de s’asseoir dans un fauteuil pour lire le journal, mais c’était bien ce qu’elle avait fait. Elle avait ainsi appris que les Nasegawa venaient de perdre leur procès en appel, et seraient tous les deux exécutés sous peu... Ce qui, dans le jargon judiciaire, signifiait dans quelques années. Kaileesha avait semblé distraite ensuite, et Mélinda n’y avait, sur le coup, pas fait attention, avant de comprendre... La démone était suffisamment influente dans l’Empire pour avoir organisé la libération de ce couple. Ils avaient été soumis à une batterie de tests qui avaient montré qu’ils étaient bien des ESPers. L’Empire avait offert le choix à ce couple : retourner en cellules, ou travailler pour eux. Ces derniers avaient tenté de négocier, mais n’avaient pas négocié grand-chose.
«
L’Empire recherche constamment des assassins efficaces, avait expliqué Kaileesha à Mélinda.
Des informateurs à même de faire craquer n’importe qui, des bourreaux efficaces. Un télépathe et une femme qui brise les os peuvent être très utiles lors d’interrogatoires contre des citoyens supposés être des espions. -
Parce que l’Empire n’a pas de télépathe ? avait ironisé Mélinda, nue dans le lit, faisant la moue.
-
Bien sûr que si, petit chaton... La seule différence, c’est que nous n’avons pas un couple qui se complète assez bien. Les espions résistant à la télépathie y résistent beaucoup moins s’ils sont en même temps torturés, et les généraux pensent qu’un couple sera plus utile, en terme d’efficacité et de synchronisme, que deux bourreaux ne se connaissant pas. -
Soit... Mais qu’est-ce que je viens faire là-dedans, moi ? Tes collègues me reprochent déjà assez de me mêler de ce qui ne me concerne pas... Il y a d’abord eu cette Jedi, ensuite Clara, et maintenant... -
C’est différent, petit trésor, avait rétorqué la démone en caressant un chat avec ses longues griffes.
A chaque fois, c’est ta grande curiosité qui t’amenait dans les pattes de l’Empire, à tel point qu’on a lancé une enquête sur toi, d’ailleurs... -
Je devrais m’en sentir flattée ? grogna Mélinda.
-
Je ne sais pas... A toi de voir... Cette enquête a dans tous les cas permis de réaliser que tu es plutôt bien implantée au lycée de Seikusu. -
Je ne vois pas le rapport avec... -
Cesse de m’interrompre tout le temps, et tu le verras ! Le rapport, c’est que les Nasegawa ont une fille. Et qu’ils la détestent. D’après ce que j’ai compris, ils auraient préféré un garçon, mais la Madame ne peut plus enfanter. L’une de leurs quelques conditions que l’Empire a accepté tient justement à cette petite donzelle... -
Tu me demandes de... -
A vrai dire, il s’agit plutôt d’un ordre... Mais tu es gagnante... Cette fille te plaira... »
Mélinda comprenait mieux pourquoi Kaileesha lui avait fait avec force l’amour. Autrement, quand elle lui avait annoncé que l’Empire lui
ordonnait de faire quelque chose, comme à un vulgaire laquais, elle aurait probablement tenté d’égorger la démone. Elle n’était pas une soldate, mais elle savait que l’Empire pouvait réquisitionner n’importe quel civil. Kaileesha lui avait présenté l’ordonnance impériale qui enjoignait à Mélinda de «
faire l’acquisition de la femme dénommée NASEGAWA, AYUMI », avec un exposé des sanctions financières auxquelles Mélinda s’exposait en cas de refus.
Voilà ce qui amenait Mélinda dans la piscine, pour l’instant dans les gradins. Elle allait devoir... Elle allait devoir porter un maillot ! Quelle horreur ! Elle s’imaginait avec dégoût dans un vêtement si serré, si étroit, qui l’étranglerait presque ! Elle aurait l’air tout simplement ridicule ! Mais les ordres étaient les ordres... La piscine était, du reste, assez grande, et comprenait plusieurs bassins. Outre ce bassin olympique, il y en avait aussi d’autres qui étaient en plein air, ainsi qu’un long toboggan aquatique. C’était la fin de journée, et Mélinda avait au moins pu éviter la ribambelle de gamins qui l’auraient bousculé dans la piscine. Il en restait encore, bien entendu ; ils poussaient comme de la chienlit, ces mômes imbéciles.
Se relevant, Mélinda quitta les gradins pour revenir à l’accueil, et paya un ticket.
«
En vertu du règlement intérieur rappela la femme,
tu devras nouer tes cheveux... »
Mélinda sentit un volcan exploser dans sa tête.
*
Et elle ose me tutoyer ! Retiens-toi, Mélinda, calme-toi, ou je vais l’égorger sur place, et lui faire bouffer son propre bras !*
Se forçant à sourire, elle lui lâcha :
«
Ne t’en fais pas pour ça ! »
La standardiste ne sembla guère appréciée que cette lycéenne se mette à la tutoyer, et Mélinda alla dans un vestiaire, manquant arracher la serrure en claquant la porte. Elle retira son uniforme de lycéenne, et contempla le maillot de bains. C’était un
maillot une pièce assez élégant, à défaut d’être mieux. Elle l’enfila, et noua ses longs cheveux en une longue queue de cheval. Elle sortit pesamment du vestiaire, et fourra le tout dans un casier, avant d’aller dans la piscine, se dirigeant vers le bassin olympique.
Elle savait qu’Asumi était une ESPer, et elle était plutôt jolie. Heureusement, d’ailleurs. Mélinda avnça le long d’un bassin, essayant d’adopter une allure sympathique. Se rendant compte que ses griffes étaient pointées, elle les rétracta, et s’approcha du bassin olympique. Elle attendit qu’Ayumi termine une longue brasse, et se repose un peu pour lui parler. Mélinda avait alors les pieds qui barbotaient dans l’eau, et elle s’exclama :
«
Tu nages vachement bien, Ayumi ! »
Ayumi et Mélinda n’avaient aucun cours en commun, mais, dans ce lycée, tout le monde connaissait vaguement tout le monde. Mélinda lui fit un léger clin d’œil, avant d’enchaîner :
«
Un vrai poisson dans l’eau... »