La Cinquième Épreuve avait donc commencé, et avait lieu dans une autre partie du vaste archipel de Wallündrill, de l’autre côté du détroit. De fait, depuis les tours de Wallündrill, en utilisant des jumelles, on pouvait voir la ville d’Aëdill. Jadis, toute cette région avait été découpée entre plusieurs cités minières naines, chacune se targuant d’être un royaume. Ensemble, ces cités avaient constitué, pendant des siècles, l’un des plus riches pôles économiques de la civilisation naine, avant de progressivement péricliter, notamment lors de la guerre entre les elfes et les nains. Les navires des elfes avaient attaqué cette région, et les humains avaient profité de ce conflit pour s’emparer de la région, formant les cités-libres maritimes comme Wallündrill.
Aëdill avait jadis été une magnifique ville, l’un des vestiges de l’époque naine. De fait, quand les humains étaient venus, les nains d’Aëdill avaient su conserver leurs mines, dans la montagne, tandis que les humains avaient choisi de s’installer à Aëdill. Ce faisant, Aëdill était en réalité une vaste ville marchande, avec un port très important, une grande place du marché, et quantité de boutiques, d’échoppes, de forges, d’artificiers, d’enchanteurs, d’alchimistes. Jadis, les sorceleurs se rendaient fréquemment à Aëdill, car la région avait toujours eu fort à faire avec les monstres, que ce soit venant de la mer, ou ceux émanant des profondeurs des mines. Et les échevins d’Aëdill, qui se chargeaient des primes et des contrats avec les chasseurs de monstres, étaient toujours honnêtes. L’histoire d’Aëdill était une tragédie, car le royaume avait sombré quand le dragon noir avait fondu sur la ville.
«
Personne ne sait ce que le Dragon Noir voulait, expliquait Luxuria, qui avait eu le temps de faire ses devoirs.
Tout ce qu’on sait, c’est qu’il vient de loin, d’au-delà de l’océan, et qu’il n’est jamais ressorti du royaume minier. -
On dit que les dragons sont intéressés par les trésors et les artefacts magiques, expliqua Sha en complément, caressant les hanches et les cheveux de Sya, toujours assise sur ses genoux.
Certains spécialistes disent que l’or étant une matière précieuse, qui ne s’oxyde pas, les dragons y frottent leurs écailles pour les renforcer... Mais, en toute honnêteté, je n’en sais rien. »
Elle se disait surtout que cette Épreuve était un très bon moyen, pour Wallündrill, de récupérer plus tard les trésors d’Aëdill. Beaucoup de sorceleurs, de mercenaires, et de guildes avaient tenté de percer les mystères d’Aëdill, d’entrer dans le Royaume sous la Montagne, mais tous avaient échoué. Une puissante guilde nexusienne avait même envoyé plusieurs centaines d’hommes, qui avaient pris campement dans Aëdill pendant des semaines. Les nains, en fuyant le royaume, avaient scellé l’entrée, et les runes permettant de déverrouiller la porte étaient maintenant dissimulées dans les cités naines des Royaumes nains au nord de Nexus. Existait-il d’autres moyens d’entrer ? C’est ce que la guilde nexusienne avait cherché, et elle avait fouillé le fort en profondeur... Mais ils n’avaient pas réussi, et étaient tous morts, progressivement.
Luxuria soupçonnait que, depuis son trésor, le Dragon Noir appelait les monstres de la région pour repousser les visiteurs. Aëdill était donc une ville dangereuse, mais elle avait foi en Kiriko... Ce qui, bien entendu, ne l’empêchait pas d’être nerveuse. La Celkhane était, pour elle, comme sa mère, et il était donc normal qu’elle ait peur. Cette angoisse, c’est ce que Sha ressentait à chaque fois. Kiriko avait des pouvoirs magiques latents qui ne s’étaient jamais vraiment développés, ce qui faisait qu’elle prenait toujours des risques, afin de montrer qu’elle était digne de servir Sha. Luxuria avait vu de quoi elle était capable, notamment à Fort-Sauveur.
Kiriko, donc, venait d’arriver à Aëdill, séparée des autres candidats. Plusieurs options étaient possibles pour rejoindre le Royaume sous la Montagne :
- Se diriger vers la montagne, afin de chercher une entrée secrète permettant d’y aller, comme une grotte ;
- Rester dans la ville, en se fiant aux anciennes légendes parlant d’un tunnel souterrain reliant le fort d’Aëdill au Royaume nain.
Chacune de ces deux options était risquée. Les monstres infestaient Aëdill et sa région. Les montagnes étaient remplies de griffons, de basilic, de wyverns. Quant à Aëdill, les quais étaient remplis de noyeurs, et des créatures nécrophages rôdaient dans la ville, même en pleine journée, aussi bien des goules que des graveirs, ou encore des algoules... Et ce sans compter les chiens sauvages, les monstres vivant dans les égouts, comme des cocatrix, ou encore même un zeugle. Il fallait bien comprendre que, parmi tous ceux ayant tenté de percer les mystères d’Aëdill, certains étaient venus avec leurs familiers, avec des magiciens qui avaient invoqué des monstres... Et ces monstres erraient toujours dans la région.
Il suffisait de se promener dans les rues d’Aëdill pour voir à quel point cette cité avait jadis dû être riche. Il y avait des minarets ici et là, ainsi que de multiples clochers, d’anciens jardins, des rues avec des pavés impeccables et des trottoirs, des colonnes en marbre, des motifs gravés le long des murs... Toutes ces constructions étaient dans un état décrépi, et Kiriko, elle, avait choisi d’atteindre la place du marché.
Le marché était là, comme un funeste hommage. Le Dragon Noir avait commencé par attaquer Aëdill, et l’avait fait un jour de marché. Il y avait toutefois de multiples cadavres ici, émanant notamment des gens étant venus à Aëdill... Ainsi que des monstres.
Une dizaine de monstres se nourrissaient sur les cadavres en grognant. Il s’agissait de créatures nécrophages : des
goules, qui étaient dirigées par leur chef, une autre créature nécrophage, une
algoule. L’algoule était comme une sorte de hérisson, ce qui rendait cet adversaire terrible au corps-à-corps, car il pouvait faire pousser de multiples épines dorsales tranchantes et infestées par sa chair putride et toxique.
Cette petite meute se nourrissait sur des cadavres poussiéreux, et l’odeur de putréfaction faisait qu’ils ne sentaient pas Kiriko. Ils avaient aussi une très mauvaise vue... Mais une excellente ouïe.
Autrement dit, Kiriko pouvait les éviter en se déplaçant prudemment... Ou se risquer à un combat, qui promettait d’être plus dangereux que les hommes-cendres dont elle avait croisé la route tantôt.