Mélinda se contentait d’un léger sourire amusé, bras croisés, en voyant Shii. La jeune lycéenne avait eu une semaine assez éprouvante, avec un certain nombre de devoirs et de contrôles. Partant de là, Shii était assez épuisée, et avait surtout besoin de se défouler. La vampire n’était, à vrai dire, pas surprise. Elle connaissait bien ses protégées, et savait que Shii, si elle était d’un tempérament très calme, devait parfois relâcher la tension. Elle imaginait très bien la scène. Shii rentrant des cours, s’enfermant dans sa chambre, voyant Liana en train de dormir. Là, elle lui faisait un tendre câlin, et mettait alors un peu de musique en se déshabillant pour enfiler autre chose que son sailor fuku. Mais la musique l’avait emporté. Shii était à l’âge rebelle, cet âge de contestation où on se méfiait intrinsèquement des gouvernements, de tout ce qui évoquait l’âge adulte. Bad Religion était donc tout à fait approprié pour elle, et, comme elle était seule, à l’exception de Liana, elle s’était donc laissée aller.
Jusqu’à ce que sa Maîtresse coupe la musique, et soit... En compagnie d’Hitomi ! Shii devint rouge comme une tomate. Si Mélinda ne l’inquiétait pas trop, en revanche, qu’une senseï l’ait vu ainsi, et bien... C’était gênant. Et puis, qu’est-ce qu’Hitomi fabriquait ici, d’ailleurs ?! Shii savait qu’elle et Hitomi s’étaient entretenues ensemble, mais Mélinda avait juré à une Clara suspicieuse qu’il ne s’était rien passé, et qu’Hitomi n’avait toujours pas droit de se promener librement dans le manoir, comme jadis. Que faisait-elle ici, alors ?!
« Ça va, Shii ? s’enquit Hitomi
- Oui, Sensei » répondit-elle au quart de tour, toujours aussi rouge.
Adossée contre son bureau, Mélinda avait posé le dossier bleu près de l’ordinateur-portable, et esquissait un très léger sourire. Hitomi se retourna alors vers elle, laissant un peu Shii essayer de sortir de sa torpeur, pour lui lâcher :
« Sérieusement, vous ne vous nourrissez qu'au punk ici ?
- Tes chastes oreilles ne le supportent pas ? répliqua Mélinda avec une ombre de sourire. Bien que je sois une maniaque compulsive qui adore tout contrôler, mes protégées écoutent la musique de leur choix. Personnellement, je préfère écouter du Guiseppe Verdi. »
Difficile de savoir à quel point Mélinda plaisantait ou était sérieuse. L’autocritique n’avait jamais été son fort, mais elle savait très bien ce qu’on pensait d’elle. Elle estimait même qu’elle laissait à ses filles bien plus de libertés que des parents normaux le feraient, tout en assortissant lesdites libertés de devoirs : entretenir sa chambre, accomplir les corvées, et, de manière plus générale, plaire à sa Maîtresse. Tandis que Shii se remettait, Mélinda laissa Hitomi s’amuser avec elle, en profitant pour rechercher dans le dossier divers documents qu’elle allait devoir montrer à Shii. Cette jeune fille serait le premier pas vers Clara, un autre moyen d’atténuer la colère que cette dernière éprouverait.
« Shii, on va avoir besoin de toi pour quelque chose d'important. Ça va nécessiter toute ta bonne volonté, et que tu regardes sous le lit voir si tu retrouves ta bonne humeur... Mélinda va tout t'expliquer. »
Les yeux de Shii se firent soudain plus interrogateurs, plus curieux, mais ce n’était pas pour autant qu’elle s’était rhabillée. Hitomi se tourna alors vers Mélinda, et lui fit un aveu de faiblesse. Mélinda ne dit rien, mais elle le pensait très fort.
*Comment comptes-tu affronter Clara, ma pauvre, si tu perds tes moyens face à Shii ? Crois-tu que Clara aurait rougi comme une tomate si tu avais débarqué dans ta chambre ? Mais peut-être que c’est justement face à l’affrontement que tu décides de te battre, Hitomi...*
Mélinda garda tout ça pour elle. Elle avait sorti plusieurs papiers, et regarda Shii, pour lâcher, sur un ton assez autoritaire :
« Nous n’avons pas le temps de jouer, Shii. Hitomi a déjà léché ton minou, et je t’ai déjà vu nue bien des fois. Alors, dépêche-toi de te changer ! »
Shii rougit encore plus, mais obtempéra. Elle laissa malgré tout sa culotte et son chemisier d’écolière, enfilant un jean. Elle était toujours aussi gênée, mais avait aussi vu les documents que Mélinda tenait. Elle ne disait rien, ne voulant faire aucune bêtise. Mélinda la relança donc :
« Où est Clara ?
- Au… Au Mac Do, avec des amies… Théoriquement, elle ne devrait plus tarder, maintenant. »
Mélinda hocha lentement la tête, puis se lança.
« Regarde... »
Elle lui tendit la copie du jugement de divorce, que Shii lit attentivement. Ses yeux s’écarquillèrent de surprise, l’expression de son regard passant de la curiosité à l’étonnement, puis de l’étonnement à la stupéfaction, de la stupéfaction à l’incompréhension, et de l’incompréhension à une forte joie contenue. Toute excitée, elle finit par relever la tête.
« Il... Il faut qu’elle le sache ! Ça pourrait tout changer !
- Ça, Shii, c’est à moi d’en juger, nuança Mélinda. Vois-tu, j’ai décidé d’appeler Hitomi pour avoir besoin de son... Expertise sur les relations entre Clara et sa famille. Je comptais par cette même occasion réconcilier notre irascible Clara et notre volatile senseï.
- Oh... Ça va pas être simple... Et... »
Mélinda ne lui laissa pas le temps de poser sa question, préférant enchaîner.
« J’aimerais savoir si Clara t’a déjà confié des choses au sujet de sa mère. Je sais qu’elle déteste son père, mais j’ai besoin de savoir si c’est aussi le cas avec sa mère. »
Shii se tut légèrement, baissant les yeux, rouge, se mordillant les lèvres. Elle savait quelque chose, mais elle n’osait pas le dire, regardant tour à tour Mélinda, et, surtout, Hitomi. La vampire n’était pas idiote. Elle savait qu’il s’était passé quelque chose entre Clara et Hitomi. Quoi, elle l’ignorait précisément, mais elle savait que, si Hitomi avait débarqué en furie au manoir la semaine dernière, c’était parce qu’elle avait vu l’état du dos de Clara. Mais il n’y avait pas eu que ça. Mélinda rajouta, sur un ton doucereux :
« Shii... Je sais que je n’ai pas été au top ces derniers temps, mais je crois avoir suffisamment agi pour mériter ta confiance, non ? »
Shii rougit à nouveau, mais ne dit toujours rien. Mélinda était assise sur le lit, à côté de Shii, et prit dans sa main l’une des mains de Shii.
« Je t’aime, Shii. Je crois que tu le sais, non? Tout comme j’aime Clara. Et, bien que cet amour ne soit pas désintéressé, il n’en est pas moins honnête et réel. Je veux savoir si ça vaut le coup, Shii. Si je dois me battre pour que Clara retrouve sa mère, et si ça l’aidera à aller mieux... Je ne dis pas que Clara ne va pas bien, mais elle continue toujours à percevoir les adultes, la société, comme des menaces potentielles, et, tôt ou tard, ceci risque de lui être fatal. Et je sais tout à fait que ce que tu ressens pour Clara n’est pas que de l’amitié.
- Ce... Ce n’est pas vous, Maî... Maîtresse... »
Shii triturait nerveusement ses doigts, ayant donc libéré sa main de l’étreinte de Mélinda, et ferma les yeux en parlant. Mélinda pouvait sentir son sang battre furieusement dans ses veines. Shii avait une peur monstrueuse. Elle finit néanmoins par achever :
« C’est... C’est... »
Elle fit un simple mouvement de tête, mais Mélinda comprit. Faire appel à Hitomi était peut-être, en définitive, le pire choix possible.
« Cla... Clara ne... Elle ne veut plus que... Que... Enfin, voilà... Elle... Elle vous dirait tout, Maîtresse, mais... Je... Je ne veux pas la trahir... »
Elle ignorait ce qui s’était passé, mais elle comprenait ce qui avait lieu : Clara percevait clairement Hitomi comme une menace, une adversaire. Elle avait du confier des choses à Shii, mais en lui promettant de ne rien dire à personne. Tout comme Mélinda le lui avait promis. Les confier à Hitomi serait difficile. Mélinda regarda alors cette dernière, en remuant légèrement la tête, comme pour l’inviter à venir.
*C’est toi qui as voulu cette situation, Hitomi. C’est toi qui as voulu te rapprocher de Clara. Je ne t’en aurais jamais demandé autant, mais il est trop tard pour reculer. A toi de trouver les mots pour convaincre Shii, je ne peux pas le faire à ta place.*
Et, comme pour appuyer cette remarque tacite, Mélinda se releva, et s’écarta du lit, croisant les bras, laissant ainsi à Hitomi la place.