Lucie, petit papillon bleu, continua son petit manège, légère comme un souffle, virevoltant entre les tables et les fauteuils. Ses ailes de satin se mouvaient doucement derrière elle, comme si elle les battait pour découvrir la salle. La rouquine n'hésitait pas à s'approcher également des demoiselles, faisant mine de cueillir des fleurs en tissu, ici et là. Sa voix, douce et taquine, se mêlait parfois à la musique. Un fredonnement discret, presque enfantin, qui renforçait encore le charme étrange de la jeune femme. À mesure qu'elle progressait, les projecteurs faisaient miroiter son bleu métallique, et chaque pas semblait tracer une étincelle dans l'air tamisé du saloon.
Uyeda se cachait dans l'ombre et observait depuis la scène, prêt à entrer en action au moment prévu. Son rôle, ce soir, n'était pas de voler la vedette à Lucie, mais d'apporter une touche de mystère et de romance à cette chorégraphie à deux, d'être le « guide » qui ramènerait le papillon vers la lumière lorsque le tableau atteindrait son apogée. Ses yeux, soulignés de noir, scrutaient le public avec l'assurance d'un acteur chevronné, mais il ne pouvait s'empêcher de sourire en voyant Lucie improviser, la demoiselle se laissant porter par les réactions de la salle.
Et puis, comme portée par un instinct inattendu, Lucie pivota doucement, ses escarpins glissant avec élégance sur le sol, et ses yeux se posèrent sur une silhouette qu'elle n'avait jamais vu auparavant et qui était « particulière ». Comme elle. Une présence différente, une longue chevelure qui ne correspondait pas du tout aux standards japonais, et puis, ces yeux...Ils se croisèrent et la Française put capter les magnifiques rubis qu'il possédait.
Doucement, la danseuse papillonne, s'approchant lentement du jeune homme qui avait capté davantage son attention, prête à franchir une frontière. Le public autour ne voyait qu'un jeu de plus parmi tant d'autres, un moment séduisant du spectacle...Mais pourtant, quelque chose semblait...différent. Cet homme-là ne la dévorait pas des yeux comme les autres, ne riait pas, ne rougissait pas. Il l'observait juste, profondément, avec ce quelque chose que Lucie ne savait pas nommer. Un frisson qu'elle n'expliqua pas lui glissa le long de la nuque.
Sur son chemin, Lucie se rapprocha d'un serveur, venant lui chuchoter à l'oreille quelques mots. Elle s'éloigna ensuite de ce collègue pour se diriger vers l'éphèbe qui lui avait tapé dans l’œil. Taquine, le papillon rondouillet glissa ses mains sur les bras, puis sur les épaules du jeune homme, un sourire franc sur les lèvres. Elle lui murmura doucement, s'inclinant ensuite légèrement devant la table, geste chorégraphié mais teinté d'une spontanéité nouvelle.
- Bonsoir, monsieur...La musique, à cet instant, monta d'un cran, signe pour Lucie que la seconde partie du numéro allait commencer. La Française redressa son buste, restant plantée là une seconde de plus, tenue par cet étrange échange. Puis, le spot lumineux se défit du papillon pour se plonger sur la scène, sur Uyeda plus particulièrement, avec un filet à insectes dans les mains. Avec sa main libre, il la passa au dessus de ses yeux, à la recherche du fameux morpho bleu. C'est alors que Lucie se cacha derrière ce bel homme à la longue chevelure de feu, lui faisant un petit signe de
« chut » avec son index. Au loin, l'acteur descendit de scène, s'avança vers différents clients et clientes. Il abattit gentiment son filet sur eux, les questionnant sur où était son joli papillon, avant de les relâcher. La rondouillette, quant à elle, s'esquiva lentement, en faisant de plus petits pas avec ses talons qui claquaient sur le sol avec douceur. Elle s'éloigna de cet éphèbe, presque à contrecœur, bifurquant entre les tables en essayant d'atteindre la scène, jusqu'à ce qu'une cliente ne donne la position de la fugitive !
- Ici ! Ici !Ah, la traître ! C'est alors que la Française se mit à slalomer entre les tables pour éviter le filet d'Uyeda. Il y avait là un léger comique dans la scène, le papillon courant entre les tables pour fuir le dieu et son filet, jusqu'à remonter sur scène, comme prise au piège. Lucie joua la comédie, ayant faussement peur face à cette beauté divine. Doucement, il attrapa la main délicate de la joufflue, faisant mine d'être envoûté, ne souhaitant pas que ce magnifique lépidoptère prenne la fuite. Lucie interpréta la mignonnerie, faisant mine de rougir et d'être timide, toujours sa main dans celle d'Uyeda. Puis doucement, elle vint plaquer ses doigts dodus sur les joues de l'acteur, jouant avec avant de les descendre sur ses épaules et de faire tomber gracieusement le kimono jusqu'à la taille, laissant au public le bon plaisir de découvrir le torse fin et légèrement musclé du dieu.
Des « Ooooh » s'entendirent dans la salle, mais le spectacle était loin d'être terminé ! La Française papillonna autour de l'être céleste à moitié dénudé, lui, la figure mythique de la pièce, jouant avec elle tout en feignant de la guider, la retenir, ou la laisser s'envoler de nouveau. Le public, captivé, applaudissait la chimie inattendue entre la grâce maladroite du papillon et la présence élégante de la divinité.
À son tour, Lucie se défit de ce qui faisait d'elle une merveille de la nature. Petit à petit, la rondouillette déliait les lanières de sa tenue pour se défaire de ses ailes au niveau des hanches, tout en faisant face à son compagnon de spectacle. Uyeda paniqua faussement, la jeune femme secouant la tête avec le sourire sur les lèvres joyeuses mais timides. Le reste de sa jupette suivit le mouvement, ne laissant la demoiselle qu'avec une petite culotte aux reflets bleutés, mettant en avant les courbes de son fessier. Ce fut ensuite le tour des petites ailes sur le haut du corset, que la Française retira avec délicatesse pour en cacher ses seins. Rougissante, elle montra son dos à son nouveau dieu, qui dénoua le corset. Il le fit tomber au sol et cela dévoila la peau de nacre du ventre de Lucie, rougie des anciens liens qui la maintenait...
Les deux petites ailes cachèrent désormais la poitrine de la joufflue. C'est avec un sourire taquin qu'Uyeda se pencha dans son cou pour lui susurrer quelques mots, suivant le script. Il fit semblant de l'embrasser, tira sur son yukata à moitié tombé pour la cacher, et avec un jeu de lumières dorées, ils disparurent de la scène. Un tonnerre d'applaudissements retentit dans la salle, la plupart des client ravis d'avoir pu rire et se rincer l’œil, hommes comme femmes.
Le Eastwood's Saloon retrouva son calme, si l'on pouvait dire ainsi. Après une bonne quinzaine de minutes, Uyeda sortit des loges, se faisant assaillir par les demoiselles célibataires qui cherchaient à s'arracher son numéro de portable, puis fut le tour de Lucie, qui arbora une
toute nouvelle tenue. Sur son passage jusqu'au comptoir, la rondouillette se fit complimenter ici et là de sa prestation, le feu lui prenant un peu les joues. Prenant ensuite place sur un haut tabouret, croisant les jambes en collants rouges, elle commanda un grand milkshake à la vanille auprès du barman, chantonnant doucement en attendant sa gourmandise bien méritée.