Alecto se réveilla en sursaut après un rêve affreux, un cauchemar, même. Elle avait rêvé qu’Angus avait dû être remercié par sa Maîtresse, et qu’elle l’avait obligée à aller acquérir un remplaçant, le plus grand, le plus écailleux et le plus effrayant des remplaçants.
La chaleur autour d’elle lui faisait dire qu’elle se trouvait encore dans son lit, mais la clarté soudain la paniqua, au travers de ses paupières : il devait être tard, elle était sans doute en retard !
En sursaut, la petite Esclave ouvrit les yeux, pour se rendre compte que tout ce qu’elle avait imaginé était loin d’être un simple cauchemar, évanouit avec son sommeil. Ses grands yeux clairs s’écarquillèrent en remontant le long de la queue qui l’entourait délicatement, étrangement lovée ainsi, jusqu’à contempler l’imposante masse du Reptile.
Son corps se figea alors, comme si rester immobile pouvait changer quoi que ce soit. Elle avait couiné de peur en se rendant compte que Klaus était bel et bien le nouvel esclave de Thiana Gian, et qu’il…
« Tu… tu as tué ces gens. »
Balbutia-t-elle, la voix rendue encore aigue par la terreur. Elle avait désormais de nouveau dans les oreilles le vrombissement des cris, des os, des chairs mutilées, du métal qui crissait. Sa main se plaqua sur sa bouche pour supporter un élan de nausée.
Et. Elle voulut s’enfuir, mais trébucha que la queue de la Créature, tomba sur les genoux, grimaça en geignant, et constata avec horreur ce qu’elle avait imaginé : Klaus n’avait plus ses fers. Il était libéré des seuls moyens en sa possession pour le soumettre, du moins, pour espérer avoir quelque poids sur lui. Juste assez pour se rassurer… Cette pensée la fit se sentir au plus mal : Klaus ne méritait pas les liens magiques qui le torturaient, la bienveillance réclamait qu’elle se félicite de cette liberté retrouvée.
Alecto se frotta les genoux en se pinçant les lèvres, observant les emplacements des chaînes qui avaient meurtri sa peau pourtant si épaisse. Sans savoir pourquoi, elle se doutait qu’il avait agi ainsi pour la protéger… Si non, pourquoi expliquer qu’il l’ait épargnée ? De ce qu’elle avait entendu, il s’était débarrassé très facilement de deux gardes de la Milice, alors pensez, une petite Esclave sans défense… Ce serait facile, sans doute. Un amuse-bouche.
La panique la gagnait cependant. S’il avait assassiné deux Miliciens, cela voulait dire qu’ils auraient des ennuis. Et Thiana Gian également. Son cœur s’accéléra, une terreur glaciale la fit trembler, marchant de long en large en faisant les cent pas, parlant trop vite.
« Oh non. Non non non. Thiana Gian ne va pas aimer. Oh, non, pas aimer du tout… Tu… Elle aura des ennuis avec les Gens d’Armes, elle sera fâchée. »
Oh non, elle allait décevoir sa Maîtresse, ses yeux se remplirent de larmes. Il lui semblait que déplaire à la Sorcière était pire que la mort. Elle lui vouait une telle adoration, et la voulait contentée, satisfaite de sa Domestique. Et de Klaus, désormais.
C’était sa faute.
Elle avait retiré la muselière.
Non ! C’était ce qu’il fallait faire, Klaus souffrait !
Alecto se recroquevilla, encore, décidément sujette à mille dilemmes depuis qu’elle avait rencontré le Monstre en Ecailles. Elle se balançait doucement comme une démente. Il fallait qu’elle se calme, qu’elle comprenne où ils se trouvaient, pour rentrer à l’Auberge.
Doucement, ses yeux se fermèrent et elle récita un psaume d’une voix étrange, douce, chantante, si loin de ses couinements effrayés.
« En toi, Seigneur, j'ai mon refuge ; garde-moi d'être humilié pour toujours. Dans ta justice, libère-moi ;
Ecoute, et viens me délivrer. Sois le rocher qui m'abrite, la maison fortifiée qui me sauve.
Ma forteresse et mon roc, c'est toi : pour l'honneur de ton nom, tu me guides et me conduis. Tu m'arraches au filet qu'ils m'ont tendu ;
Oui, c'est toi mon abri. En tes mains je remets mon esprit ; tu me rachètes, Seigneur, Dieu de vérité. »
Tout en soufflant, son visage s’illuminait d’une dévotion sans pareille, elle se sentait apaisée. Du moins, capable de réfléchir sans paniquer et pleurer. Sa main glissa sur le voile de sa cuisse, caressant le lien de crin qui brûlait sa peau à chaque mouvement, comme si ce simple geste la rassurait ; Alecto esquissa un sourire ravissant, avant d’ouvrir les yeux.
« Klaus, tu ne dois pas tuer. » Elle estimait être ‘iko Ank’ sans être sûre de ce que cela signifiait, mais se demandait si ‘agrak’ ne voulait pas dire croquer, faire du mal. La jeune femme s’assit posément, pour garder le bénéfice de sa prière, et plaça ses mains bien à plat sur ses cuisses, docile.
« Merci de t’être porté à mon secours. » Elle vint coller ses doigts contre sa bouche, et les éloigna en formant un arc de cercle gracieux. Ce signe de remerciement, Angus l’utilisait parfois, quand elle lui apportait une bière en fin de service. Elle espérait qu’il comprendrait.
« Mais il ne faut pas tuer. Pas attaquer. Pas mordre. Pas … Aguerac ? » Elle fronça le nez en prononçant très mal ce qu’elle avait comprit dans sa gorge pleine de dents pointues.