Maintenant que son bataillon est bien installé à Nexus, le commandant a vu sa charge de travail fondre comme neige au soleil. On peut reconnaître un bon chef lorsque ses subordonnés peuvent se passer de lui, disait jadis son mentor. Il apprécie donc à leur juste valeur ces journées tranquilles, trop tranquilles. À vrai dire, même la paperasse commence à lui manquer, c'est dire à quel point il ne supporte pas l'ennui. Un hobby, il lui faut de quoi s'occuper l'esprit et les mains.
Neliel, son assistante, rentre dans le bureau et se met à rire en voyant son supérieur la regarder avec l'espoir qu'elle lui apporte un peu de travail.
«
Désolée Commandant, toujours rien. Vous avez déjà pensé à prendre un animal de compagnie ? C'est mignon, ça fait une présence, il faut s'occuper de lui, jouer avec. Je suis sûre que vous seriez un bon maître. »
Takael prit quelques secondes pour y penser, l'idée est plutôt bonne, la présence d'un animal ne le gênerait pas dans son travail tout en l'occupant pendant les temps morts. S'il ne peut pas s'en occuper lui-même, il y aura toujours une présence ici pour le faire à sa place, que ce soit Neliel ou l'un de ses hommes. Et effectivement, un animal apporte une présence agréable, des jeux divers, etc. Repoussant sa chaise en arrière, il se lève et répond :
«
C'est une bonne idée Neliel ! Une excellente idée ! Je sors en ville ! »
«
Amusez-vous bien Commandant. »
Lui répondit-elle avec un sourire bienveillant, en le regardant s'éloigner. L'elfe fit un bref détour par sa chambre pour enfiler des vêtements civils, une tunique blanche tissée d'argent aux extrémités, avec un pantalon de même couleur et une paire de bottes en cuir. Il passe une ceinture autour de sa taille, y accroche sa bourse et se dirige vers la cour. Direction l'animalerie !
Après quelques temps, le voici en plein cœur de Nexus, paradis des marchands et des acheteurs. Ici, tout peut être acheté, la seule limite étant la taille de votre bourse. La garde est plus fournie à cet endroit de la ville, incitant les éventuels voleurs à se tenir tranquilles. Tout est fait pour que l'acheteur puisse s'y promener en toute quiétude et y dépenser le plus possible. Au fil des échoppes, Takael fini par repérer les animaux de compagnie qui l’intéressent, enfermés dans des cages ou attachés : des esclaves terranides. Il y a de tout, des mâles, des femelles, des petits, des grands, des musclés, des chétifs, prédisposés au travail ou prédestinés à servir d'esclave sexuel. L'elfe s'éloigna vite de la partie réservée aux mâles, pour rejoindre ce petit bout de paradis qu'est la partie réservé aux femelles. Il y en a de toutes les espèces, de toutes les corpulences, dociles ou rebelles. Ah oui, il a un faible pour les rebelles, il aime qu'on lui résiste au début la suite n'en est que meilleure. Il y a aussi l'acte de l'achat en lui-même, acheter une esclave n'est pas la même chose que de la capturer en pleine nature. Par cet acte on achète littéralement sa vie en la réduisant à l'état de marchandise, alors l'être n'est plus qu'un vulgaire objet à qui son maître peut rendre un peu de liberté et de dignité. Il apprécie ce sentiment de toute puissance, bien qu'il ai l'habitude de ne pas en abuser.
Au fil des présentoirs et des cages, plusieurs terranides attirent son regard, mais il lui manque le coup de foudre, la petite chose en plus qui le fera craquer. Soudain, du coin de l’œil, un bleu vif attire son regard, des mèches de cheveux bleus. Elles appartiennent à une terranide louve exposée là en haillons, à son cou un collier auquel est accrochée une pancarte mentionnant : DELINQUANTE SANS SCRUPULES. Attachée mains dans le dos à un poteau, le marchand a eu la cruelle idée de l'attacher trop bas pour qu'elle puisse se mettre debout et trop haut pour qu'elle puisse s'agenouiller. Takael ne sait pas depuis combien de temps elle tient cette posture, mais il n'aime pas ce genre de méthodes consistant à faire mal pour faire mal. La pauvre créature semble complètement perdue, en proie à la confusion, à côté d'elle, tout un équipement, dont trois épées. S'il s'agit du sien, c'est qu'elle n'est pas du genre à se laisser faire, on ne porte pas une épée sans être prêt à tuer pour se protéger. L'elfe l'observe de plus près, sans dire un mot, il ne doit pas être le premier à le faire de toute façon. De jolis yeux bleus, des oreilles et une queue de louve, une peau claire, marquée de cicatrices si on y regarde de plus près. Tortures ou combats ? À première vue il ne le sait pas, mais il est persuadé qu'elle n'a pas eu une vie calme. Il se tourne vers le marchand, curieux de savoir le pourquoi de cette posture et de cette pancarte :
«
Bonjour. Qu'a-t-elle fait ? »
«
Ah bonjour messire, une saleté de voleuse, toujours pareil avec ces sauvageons. Pas d'éducation, pas de valeurs morales, des nuisibles ! Pourtant, elle a l'air de s'être déjà faite corriger, mais ça n'apprend jamais rien ces saloperies ! »
«
Vous pourriez la redresser que je l'inspecte un peu mieux ? »
Un mensonge, il l'a déjà suffisamment inspectée, il souhaite seulement soulager ses genoux, les jouets cassés n'amusent personne. Et puis, elle ne lui a rien fait pour l'instant, il n'a aucune raison de la laisser souffrir pour rien. Quoi qu'elle ait pu faire, elle a suffisamment été punie comme ça.
«
Vous avez l’œil messire, elle n'a rien dans le crâne, mais joli corps, bien musclé. Elle est plus robuste qu'elle en a l'air. Ah, par contre, je ne connais pas son nom, on va dire Choupinette pour les papiers. Vous ne passeriez pas à côté de cette affaire, uh ? »
Le vendeur perd son temps et sa salive, l'elfe a déjà l'intention de l'acheter. Il consent toutefois à rentrer dans son jeu, pour lui faire plaisir. Il sait très bien que montrer son intérêt fera augmenter le prix, mais il n'est pas là pour négocier. Il a autre chose à faire et il n'est pas bon négociant de toute façon, Neliel est bien plus à l'aise avec ce genre de choses.
«
Vous avez raison, c'est une belle affaire. Combien ? »
«
Oh, vous m'êtes sympathique messire, je vous fait un prix d'ami ! »
Tss, menteur, pense Takael, sachant qu'il a probablement dit la même chose à tous les clients qu'il a croisé auparavant. Discrétion oblige, le marchand inscrit le prix sur un papier et le montre à l'elfe. Normalement cela vient des enchères, pour éviter les envolées abusives, mais c'est devenu une sorte de tradition, même pour les ventes classiques. Une façon de faire en sorte que le client se sente important et spécial, sans doute. Il regarde le papier et acquiesce, le prix semble correct. Il verse la somme demandée, signe quelques papiers de propriété, coince son exemplaire dans sa ceinture et se relève, serrant la main du commerçant.
«
Un plaisir de faire affaire avec vous, je vous prépare la sauvageonne ! »
Une petite minute plus tard, la pancarte toujours accrochée au cou, mains enchaînées dans le dos, une laisse reliant son collier à la main du marchand, la louve lui est présentée. Avec un rire gras, ce dernier tend la laisse à son client, bien content d'être débarrassé et de pouvoir revendre ses affaires. L'elfe se met à marcher, suffisamment lentement pour que la louve puisse suivre sans forcer, cherchant à quitter la place pour être un peu plus au calme, loin du brouhaha. Il s'enfonce dans une petite ruelle non loin, une impasse qui n’intéresse guère les passants.
«
Ne bouge pas. »
Ordonne-t-il d'une voix calme et chaude. Il approche ses mains de son cou et défait la pancarte avant de la poser contre un mur. Il n'a aucune raison de la balader en ville avec ça, elle ne lui a rien volé à lui. Si Takael peut être parfois brutal, il essaye aussi d'être juste. Avec un petit sourire moqueur, il demande :
«
Alors ? Choupinette. As-tu un véritable nom ? Je m’appelle Takael. Je vais te détacher les mains et je te déconseille d'essayer de t'enfuir, tu n'y arriveras pas de toute façon. »
Sur ces mots, il se pencha pour défaire les chaînes retenant les poignets de la terranide. Il ne bluffe pas lorsqu'il dit qu'elle n'arrivera pas à le semer, il est rapide et habitué aux poursuites. Une terranide qui est resté des heures avec les genoux à demi-pliés ne pourra pas le distancer. Il jette la chaîne au sol à côté de la pancarte, ce n'est pas très civique, mais la voirie s'en occupera. Il n'a pas envie de se trimballer avec tout ça, en revanche il apprécie la laisse et compte bien la garder.
«
Tant que nous sommes en ville, nous allons aller t'acheter des vêtements un peu plus jolis. Ces haillons ne te vont pas. Ça va aller, pour tes jambes ? »