Dès lors qu'Ernest tomba, Qwelbel regarda son écran et eut un sourire soudain, un peu trop brusque et étrange, à bien y réfléchir, pour être celui d'une personne absolument saine d'esprit. Elle frappa quelques coups dans ses mains, en un petit applaudissement enthousiaste. Entre-temps, elle avait rangé sa boîte à échantillons dans un tiroir.
« C'est excellent Ernest ! Le docteur Carval sera ravi ! Enfin, sûrement. Je crois qu'il dispose de données plus anciennes à ce sujet. » Elle regarda une nouvelle fois son écran : « Alors, j'ai une bonne nouvelle ! La procédure écrite pour toi par le professeur Po comporte plusieurs ponctions invasives – et évidemment, à cause de ta petite particularité, il serait trop coûteux de t'anesthésier. Maaais… le docteur Carval a tout rayé ! Il a juste indiqué de te mener en salle Thoosa. Chouette, non ? »
La doctoresse donna au mutant une serviette pour s'essuyer un peu, et le laissa se rhabiller. Puis elle ouvrit la porte qui menait au couloir. Derrière, la requine attendait, vaguement impatiente. Elle avait un pansement enroulé autour de la bosse qui lui servait de nez. Elle se contenta de saluer Qwelbel de la tête, s'attendant sans doute à ce qu'elle les quitte là. Toutefois, la scientifique l'interrogea.
« Où est la salle Thoosa ?
– Dans l'autre aile, j'crois. Jamais emmené personne là-bas.
– Si c'est une première, je préfère venir avec toi. »
De sa main gantée, Qwelbel attrapa de manière amicale, presque maternelle, la main valide d'Ernest. Le trio revint vers l’ascenseur, où non-loin demeurait toujours le même réceptionniste.
« Bonjour George !
– Bonjour Victoria.
– Thoosa ?
– Oh. Couloir droit, puis à gauche. Tout au fond. Du couloir de gauche.
– Merci ! »
La marche se poursuivit selon les instructions données par le scientifique. Tous les couloirs se ressemblaient, et tournaient en angle droit autour des salles rectangulaires. Les portes elles aussi se ressemblaient toutes, même si quelques rares poignées différaient, la seule chose notable était le nom qui y était inscrit. Qwelbel ne se priva pas de commenter joyeusement à l'attention d'Ernest :
« Les salles ici portent le nom de divinités gréco-romaines, tu avais remarqué ? Janus est le dieu des commencements, il a deux têtes tournées dans un sens opposé : l'une regarde le passé, l'autre le futur. Portunus est un dieu des portes et de ports, des départs, il est associé avec Janus, dans la plupart des textes. Quant à Thoosa, je crois savoir qu'elle est la divinité de la réflexion, de la réflexion avant l'action en particulier. C'était aussi la mère du Cyclope. Par contre, je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il y a à l'intérieur. Ah, tiens, celle-ci n'a pas de nom. Hm, ah oui. Oui, celles-ci, ce sont des toilettes. »
Elle avait l'air de trouver le sujet si passionnant qu'on aurait pu croire qu'elle faisait faire la visite d'un monument historique. Bientôt, tout au bout du deuxième couloir, donc, se dessina la porte Thoosa. Elle n'avait rien de particulier.
« C'est ici que nos routes se séparent Ernest ! Bon courage avec ce qu'il y a à l'intérieur. J'espère qu'on se reverra vite ! »
La requine ouvrit la porte alors que Qwelbel poussait légèrement dans le dos d'Ernest pour l'inciter à pénétrer dans la pièce. Puis très vite elle referma derrière lui, le laissant de nouveau seul dans un environnement inconnu… surtout que l'endroit avec quelques similitudes avec Janus. Mais si elle disposait bien d'une caméra sur le mur du fond, elle était plus troublante encore. En effet, la pièce ne disposait pas d'un siège, mais d'une table dans une matière plastique grise. De plus, elle était éclairée par des néons qui n'émettaient qu'une lumière rouge.
Cependant, le plus surprenant était certainement la chose qui se trouvait juste derrière la table. Il s'agissait d'un long et large tube en verre transparent, rempli d'un liquide légèrement trouble dans lequel flottait… une cervelle. Le cerveau, bien rose et bien vivant, était vraisemblablement humain. Plusieurs fils noirs et très fins tombaient du plafond et disparaissaient dans les plissures de sa chair molle.
Ernest eut quelques dizaines de secondes pour se familiariser avec la pièce. Toutefois, bientôt, une voix masculine émergea d'un microphone.
« Bonjour, rat. Tu as grandi. »
Elle était bien connue : c'était celle de Carval.