Les scientifiques expliquèrent à Carus que la machine était chargée, et qu’ils venaient d’installer un nouveau protocole de sécurité. La machine subissait continuellement des mises à jour, afin d’éviter les bugs, et pour rendre les simulations plus réalistes. L’homme retourna voir Akiko et Carol. Il n’était pas surpris de voir qu’Akiko avait l’air emballée à l’idée de rentrer dans ce sarcophage ambulant. Ce genre de trucs, ce n’était pas de sa génération. S’il avait eu des gosses, il aurait peut-être pu s’initier aux consoles de jeux vidéos, mais Carus restait un pur militaire endurci, à l’ancienne. Akiko avait posé une série de questions, et Carol entreprenait d’y répondre, avec l’aide de Carus.
« À ma mémoire, il n’y a jamais eu d’incidents sérieux. Lors des premiers tests, les sujets ressentaient de fortes migraines, mais le programme s’est amélioré depuis. De plus, il a été noté que les adolescents s’adaptaient bien plus facilement que les autres à cet environnement virtuel. C’est une question d’âges, mais aussi d’habitudes. Les jeunes ont une meilleure approche du virtuel que les ancêtres. Vos cerveaux ont grandi avec le numérique, en vous plongeant dans un monde virtuel. Vos sens sont plus aiguisés que les miens pour utiliser ce genre de dispositif. »
Carus résumait grossièrement les nombreux rapports qui avaient été rendus lors de la création de cette machine, un processus de longue haleine qui avait commencé au milieu des années 1990’s, la période où l’informatique avait commencé à se vulgariser, à sortir du cercle très fermé des développeurs, des programmeurs, et de quelques gamins férus d’électronique, pour se diversifier, au point d’être devenu, au cours des années 2000, un appareil indispensable au fonctionnement de la société. On n’imaginait plus le monde sans l’informatique, et un accès à Internet faisait de plus en plus partie des préoccupations majeures des touristes réservant un gîte pour les vacances, surclassant même la télévision. Un point de vue que Carus pouvait comprendre. Il se serait inscrit à Meetic, s’il avait plus de temps, et s’il ne côtoyait pas fréquemment des super-héroïnes dont les tenues auraient fait sensation dans un clip de Britney Spears.
« La machine est reliée à ton cerveau et à ton système nerveux. Je ne pourrais pas t’expliquer en détail comment ça fonctionne, mais le rendu est très réaliste.
- L’armée a fait de nombreuses recherches, depuis la Guerre Froide, sur les différentes manières d’influencer le cerveau. Ce que tu vois ici est une conséquence lointaine et improbable des recherches qui ont été faites par la CIA. »
Les recherches sur l’hypnose n’étaient pas un délire de conspirationnistes vivant dans sa caravane dans les profondeurs du Wisconsin. La CIA avait effectivement mené des projets sur la manière de manipuler le cerveau humain, de comprendre son fonctionnement, afin d’essayer de créer des espions. L’Armée Rouge avait également essayé, l’objectif étant de développer chez les sujets une sorte de schizophrénie, afin de pouvoir les amener à mener des activités d’espionnage sans même en avoir conscience. Ce projet secret, MK-Ultra, avait été dévoilé en 1975, et une simple recherche sur Internet attestait de sa véracité. Le projet avait été un échec total, un désastre qui n’avait été autorisé que par la psychose que les communistes suscitaient dans les années 1950’s.
« Il n’y a aucun risque pour ton cerveau, si ça peut te rassurer. C’est assez compliqué, mais tes pouvoirs de mutants, concrètement, sont issus de certaines parties de ton cerveau... C’est à partir de ça que notre appareil peut retranscrire tes pouvoirs dans la simulation. Si tu es tuée dans la simulation, par exemple, cette dernière se terminera, et tu ressentiras de la douleur pendant quelques minutes... Comme si tu avais mal au ventre, par exemple. »
Il essayait d’expliquer ça de manière grossière. Lui avait reçu des explications beaucoup plus techniques, et n’avait pas compris grand-chose. Carus n’était pas un scientifique, après tout.
« De fait, l’appareil va également bloquer d’autres fonctions de ton cerveau, justement pour éviter que l’utilisation de tes pouvoirs dans la simulation n’ait des répercussions dans ton environnement. Ceci étant dit, cette formation n’est pas obligatoire, donc, si tu n’as pas envie de le faire, rien ne t’y oblige. »
Carol intervint alors, revenant sur l’idée d’un match entre agents du SHIELD et mutants.
« Il arrive parfois que plusieurs agents forment une équipe pour affronter des mutants, mais c’est assez difficile à faire. Il y a plusieurs joueurs, le paramétrage est complexe, et la machine a du mal à le supporter. Ce qui a parfois tendance à arriver, c’est que la machine enregistre nos performances. Les programmeurs s’en servent pour confectionner des programmes autonomes... Ils appellent ça des ‘‘Boss’’. »
Carol en savait au moins assez sur les jeux vidéos pour savoir qu’un Boss était un ennemi plus puissant que les autres. L’idée consistait alors à ce que les agents s’entraînent à trouver un moyen de neutraliser cet adversaire. C’était un exercice assez difficile, car, contrairement à un jeu vidéo classique, les programmeurs cherchaient à créer des programmes très intelligents, afin d’amener les agents à avoir le sentiment d’affronter un humain. Autrement dit, les programmeurs travaillaient énormément le pattern des programmes utilisés, à défaut d’avoir un véritable mutant à disposition.
Carus expliqua ensuite à Akiko comment fonctionner la machine.
« Elle consomme énormément d’électricité, et il ne suffit donc pas d’appuyer simplement sur le bouton d’alimentation pour l’utiliser. Il est interdit de l’utiliser seul, Akiko. Si tu es surprise à l’essayer sans personne pour assurer ta sécurité depuis la salle d’observation, tu seras sanctionnée. »
Le règlement prévoyait au moins la présence de deux personnes, afin qu’une personne puisse, en cas de problème, si jamais l’utilisateur était en train de faire une crise d’épilepsie, par exemple, interrompre manuellement l’opération. Carus fit signe à Akiko de le suivre, et le trio retourna dans le secrétariat, où il lui montra un planning, contre un mur.
« Voici les créneaux de disponibilité de la machine, c’est-à-dire les moyens où nous la rechargeons. »
C’était un emploi du temps classique, comme celui qu’on pouvait donner à des lycéens, avec des cases, ici et là. Sur la journée du Mercredi, par exemple, il y avait quatre blocs, dont un était rempli de noms. Ce bloc-ci était donc réservé, mais les autres ne l’étaient pas.
« Il te suffit de demander à Anzu un créneau, en indiquant avec qui tu comptes faire la simulation, et elle s’occupera du reste. »
Anzu était la secrétaire responsable de cette section. Son bureau était pour l’heure vide. Anzu devait traîner quelque part.
« Si ça te convient, on va pouvoir commencer... Peut-être que Carol pourra te rejoindre, c’est toujours mieux pour une initiation... »
Carol soupira légèrement. Retourner dans cette coque de noix l’enchantait à moitié. Elle regarda Akiko, puis haussa les épaules.
« Okay, Carus. »
Elle se retourna vers Akiko, et croisa les bras.
« La machine n’est pas encore totalement chargée... Est-ce que ça te dirait de faire ton profil ? On peut personnaliser son apparence dans ce monde... Et quelque chose me dit que tu as déjà du réfléchir à ton apparence de super-héroïne. »
Il suffisait de se rendre dans la salle d’observation, qui servait donc aussi de salle de contrôle, pour le faire.