La sonnerie résonna brièvement dans les couloirs, et Carol perçut de légers bruits émanant de l’autre côté des murs. Que ce soit au Japon ou aux États-Unis, la sonnerie de fin de journée avait toujours un petit côté libérateur, comme une sorte de douce rétribution. Même l’élève le plus avachi en cours, l’éternel feignant qui préférait voir depuis la fenêtre les séances de sport, ou celui qui passait le cours à jouer au morpion avec son voisin de tablée, sentait un regain d’énergie quand la sonnerie, doucereuse et merveilleuse, se faisait entendre. Elle annonçait l’action, la liberté. Les élèves japonais sortirent assez studieusement, en comparaison des troupeaux occidentaux. Après tout, même à Mishima, la discipline restait la marque fondamentale de l’éducation japonaise, particulièrement stricte. Cependant, même les esprits les plus stricts n’étaient pas aseptisés, et la vue de deux militaires dans leurs uniformes ne les laissèrent pas sans réaction. Il y eut des murmures, des réactions, tandis que Carol restait contre le mur, bras croisés, attendant surtout Akiko.
« C’est des militaires !
- Tu crois qu’il y a une fille de général à Mishima ?
- Qu’est-ce que c’est moche, un militaire ! »
Misuishi se mit à rougir, et haussa le ton :
« Circulez, il n’y a rien à voir ! »
Sous ce ton ferme, les enfants se dispersèrent, tandis que Misuishi serrait les dents. La pique lui était clairement adressée, et Jun faisait appel à toute sa formation militaire pour ne pas bouffer.
« Sales gosses, ronchonna-t-il. Tout ça, c’est la faute de ces sales mangas.
- Oui, Capitaine ! » lança Jun sur un ton un peu trop énergique.
Misuishi dut sans doute comprendre qu’elle se moquait de lui, et il soupira en rehaussant son buste, n’oubliant pas qu’il devait montrer une bonne image de l’armée japonaise à la gaijin. Carol, elle, s’étonnait surtout de ne pas voir Akiko. Que faisait-elle ? Les avaient-ils loupé ? Ce n’était pas impossible, il y avait eu tellement d’élèves d’un seul coup, mais Misuishi et Jun étaient aussi visibles que deux éléphants dans un magasin de porcelaine. Akiko avait forcément du les voir. Cependant, leur professeur n’était pas sorti, et, alors que Carol hésitait, une jeune fille sortit, une capuche rabattue sur sa tête, un appareil MP3 dans la main. Aucun doute possible, c’était elle.
Akiko releva la tête, et aperçut Jun et Misuishi. En les voyant, elle soupira, visiblement agacée, et remit son baladeur dans sa poche, tandis que Carol observait, consternée, la beauté de ses yeux. Elle avait deux magnifiques yeux bleus, faisant penser à une eau azur. Elle salua le trio d’une voix terriblement douce. Carol s’était un peu redressée.
*Voici donc la fameuse Akiko...*
Jun lui répondit la première, sans que cela ne surprenne vraiment Carol :
« Nous... Nous avons quelque chose de très important à te dire, Akiko. On devrait peut-être aller prendre un café, ça risque d’être long, et tu dois avoir faim...
- Il y a un magasin à côté du lycée », lâcha alors Carol.
Elle regarda Akiko, et essaya de lui sourire. Si on l’avait envoyé, c’était aussi parce qu’elle s’était déjà chargée d’enrôler une lycéenne, Nina Nagami, qui avait choisi pour nom de baptême Psychic Girl.
« Je m’appelle Carol, Akiko. »
Elle estimait nécessaire de se présenter, et s’avança. Bras croisés dans le dos, Misuishi fermait la marche, tandis que Jun s’intéressait à Akiko, essayant de savoir si sa journée s’était bien passée, si elle avait appris des choses, ou si elle n’était pas trop fatiguée. Si Misuishi n’avait pas été là, Jun aurait probablement pris Akiko dans ses bras.
*Elle doit sans doute la voir comme la fille qu’elle n’aura jamais...*
Pour autant, Jun restait très informelle, détachée. Déformation professionnelle ? Carol n’aurait pas su le dire. Le quatuor sortit du lycée. Il faisait beau et chaud dehors, avec un soleil bleu éclatant, le ciel étant parsemé ici et là de quelques nuages blancs. Un temps magnifique pour aller à la plage... Ou pour voler dans le ciel, afin d’obtenir un peu de fraîcheur. Carol se voyait bien faire ça ce soir.
Elle rejoignit donc un petit restaurant, et s’assit à la terrasse. Jun et Misuishi ne manquaient pas d’attirer l’attention. Misuishi hésita un peu avant de s’asseoir. Il fut le dernier à s’asseoir, mais estima rapidement qu’il avait l’air idiot ainsi, et entreprit de se poser. La serveuse, une étudiante, arriva. Elle avait un piercing sur la langue, et ne semblait guère à l’aise face à deux militaires. Carol commanda un flan avec un chocolat chaud, se tournant vers Akiko.
« Ce restaurant a un boulanger français, indiqua-t-elle. J’ignore si tu le savais déjà, mais leurs viennoiseries sont extra’ ! »
Au Japon, les boulangers français menaient la belle vie. Jun commanda un café, comme Misuishi, et, quand la serveuse s’en alla avec les commandes, Jun alla droit dans le vif du sujet :
« Nos... Hum... Nos supérieurs estiment tes résultats insuffisants, Akiko. Autant au niveau de tes résultats scolaires, de ton insertion sociale, que de tes... Euh... Capacités spéciales. »
Bien que ce dernier critère soit surtout le plus décisif pour l’armée, les autres jouaient aussi, dans la mesure où l’humeur d’Akiko influait naturellement sur ses pouvoirs. Jun avait visiblement du mal à aller droit au but, et Misuishi intervint :
« Le colonel Takagi s’est entretenu avec les Américains, et il a été décidé de te confier à eux. Mademoiselle Danvers, que voici, sera désormais en charge de ton instruction. »
Carol lui refit un autre sourire, et décida d’attaquer sur un autre angle :
« J’ai été envoyée par le SHIELD, mais je crois que tu en as déjà entendu parler, non ? D’après ce que Jun m’a dit, tu as effectué un voyage scolaire il y a quelques temps, et tu t’es rapprochée de Nina... J’imagine qu’elle a du t’en parler, non ? »