Koorkyn nota rapidement que l’homme qu’il avait assommé devait être robuste. Il espérait ne pas l’avoir tué. Grégoire était également plutôt costaud, et avait volontiers tendance à oublier que, avec son armure, les coups qu’il portait étaient encore plus efficaces. Les gifles portées par son gantelet pouvaient en effet briser quelques os. L’homme était inerte, et Grégoire le traîna sur le sol, retournant près de son cheval. Un autre soldat avait soulevé la Terranide, visiblement une kitsune, et la tenait sur son épaule. Ils s’étaient enfoncés dans la profondeur de la forêt pour les retrouver, et, outre les Scoia’tael, il fallait aussi se méfier des monstres. Grégoire n’était pas rassuré, car il venait effectivement de réaliser qu’ils étaient loin du sentier. Or, les forêts entourant Nexus étaient des forêts millénaires, abritant des sanctuaires elfiques et druidiques, et des bandes d’
Écureuils, le surnom officieux donné aux Scoia’tael.
«
Dépêchez-vous, les gars, il faut partir d’ici le plus rapidement possible ! »
Les inquiétudes du chevalier étaient fondées. Dans les feuillages, quelques monstres s’approchaient. Ils avaient de longs cous proéminents, des crêtes le long du corps, des courtes ailes, et une gueule édentée : de redoutables
wyverns. Proches des dragons, les wyverns pouvaient voler sur de courtes distances, et se trouvaient généralement près de la mer. Ils étaient carnivores, et tout ce bruit les avait attirés. Grégoire était en train de harnacher l’homme, quand il entendit les bruits discrets des feuillages glissant entre eux. Il eut tout juste le temps de se retourner et de brandir son épée. Une wyvern bondit sur lui, mais se reçut l’épée du chevalier à hauteur du cou, fendant sa solide peau écailleuse, faisant couler le sang du monstre. La wyvern poussa un cri de délire, et se reçut sur ses pieds, crachant et sifflant, ses dents claquant devant le chevalier, qui se mit en position de combat. Un autre monstre attaqua l’un des archers nexusiens, qui poussa un hurlement paniqué, qui mourut cependant aussi vite qu’il était arrivé. Le monstre planta en effet ses crocs dans sa gorge, et tira, faisant jaillir le sang, sa gueule démoniaque aux dents triangulaires étant hérissée de lambeaux de peau et de veines.
Grégoire raffermit la prise sur son épée. La wyvern l’attaqua à nouveau, et son épée la décapita. Il se rua alors sur un autre monstre, et tenta de l’attaquer au flanc, d’un coup d’épée vertical, de bas vers le haut, mais la bête l’esquive en bondissant sur le côté, avant de le mordre au flanc. Malgré son armure, Grégoire sentit les crocs s’enfoncer dans sa chair. Il retint un cri de douleur, et frappa la tête du monstre avec son gantelet de fer, repoussant la bête. La queue fourchue de la wyvern le frappa alors au torse, le renversant sur le sol. Du sang s’échappait de son flanc, et il vit le monstre bondir sur lui, visant sa gorge... Mais le second archer de son quatuor réussit à planter une flèche dans les cotes du monstre, qui couina de douleur, libérant Grégoire. L’homme se releva rapidement, tandis que l’archer décochait une autre flèche... Avant de s’en recevoir une dans l’arrière de la gorge, filant de l’autre côté. Les yeux de l’archer s’écarquillèrent de stupeur, et du sang s’échappa de ses lèvres, avant qu’il ne tombe lentement au sol, fléchissant d’abord les genoux, puis s’affalant ensuite dans l’herbe.
*
Merde ! Les Écureuils !*
Grégoire se releva rapidement, saisissant son épée, tandis que d’autres flèches jaillirent des arbres, de l’obscurité, heurtant la wyvern au flanc. La bestiole entreprit de s’enfuir, filant dans les fougères, mais Grégoire entendit des hurlements guerriers, des sons rocailleux caractéristiques des nains, ainsi que le sifflement d’une hache, et le bruit caractéristique d’un cou tranché. Grégoire comprit rapidement qu’il était
encerclé, et choisit alors de faire la chose la plus censée qui soit : il jeta son épée au sol en levant les mains.
«
Je me rends ! » annonça-t-il à la silencieuse cantonade, d’une voix forte.
Il espérait pouvoir parlementer auprès des Écureuils, voire même rançonner sa liberté... Mais la seule réponse diplomatique qu’il reçut fut une flèche plantée dans le crâne.
L’aube se levait quand Cahir ouvrit les yeux. Il avait légèrement mal au crâne, et prit conscience qu’il n’était désormais plus que torse nu. On avait daigné lui laisser son pantalon, cette fois, etil n’était pas attaché. Le soleil filtrait à travers la tente, et il entendit du bruit à côté de lui. Sa mémoire était relativement vive, ce qui fait qu’il se souvenait de tout : Versen, l’auberge, Louane, leurs retrouvailles dans la chambre, puis l’intervention d’Anila, le fort côtier, les Nexusiens menant un assaut contre ce dernier... Et leur fuite éperdue dans la forêt, jusqu’à ce combat perdu d’avance contre ce chevalier nexusien.
Il prit alors conscience que Louane était juste à côté de lui, et que c’était elle qui venait de le réveiller. Cette vue le soulagea, et il lui offrit un petit sourire, qui s’avéra en fait être une grimace.
«
Ça va, rien de cassé ? s’enquit-elle.
Je suis désolée... je pensais bien faire. »
Il secoua la tête, et attrapa alors la nuque de la femme. Réagissant à l’instinct, Cahir alla tendrement l’embrasser. Le baiser fut plus bref que ce qu’il aurait voulu, car il le rompit assez vite pour lui faire un sourire un peu mieux assuré cette fois :
«
J’avais envie de t’embrasser depuis que tu m’as vu nu dans ce fort », plaisanta-t-il alors.
C’était une tentative comme une autre d’apaiser l’atmosphère.
«
Tu n’as pas à te reprocher tes actions, Louane... Ils nous auraient capturé, de toute manière. Cependant, je ne pense pas que ce soit les Nexusiens qui nous détiennent en ce moment. »
Ils se seraient probablement réveillés dans un corps de garde, avec des chaînes aux pieds. De plus, on pouvait entendre les bruits de la forêt, comme le gazouillement des oiseaux. Ils étaient dans une tente en pleine nature, et Cahir savait ce que ça signifiait. Ils étaient dans un camp rebelle.
Les Scoia’tael.