En réalité, l’émeraude divine avait une appréhension à avoir les cheveux plus courts. Quetzalcóatl a toujours eu l’habitude d’avoir les cheveux vraiment longs, que ce soit sous sa véritable forme divine, c’est-à-dire la jeune femme aux longues plumes vertes qui lui servent de chevelure, qu’aussi bien sous sa forme masculine à la peau mate aux mêmes longues plumes de quetzal. Mais sous son apparence humaine, cette crinière de feu avait toujours coulé dans son dos sans que cela ne la gêne. Cela ne la gêne toujours pas, mais elle souhaitait un changement. On avait dit adieu à cette divinité qui se rongeait le moral à coups de verres plein de téquila, minée de ne pas avoir su aider ses fidèles, disparus à cause de Conquistadors. La rouquine devait dire bonjour et bienvenue à une nouvelle Quetz, pleine d’espoir pour affronter ce que la vie lui réserve désormais, pleine d’espoir de regrouper des divinités oubliées pour remonter un panthéon digne de l’Olympe. Qu’importe si elle ne retrouve pas sa gloire d’autrefois, si l’âge d’or est définitivement fini. Ce qu’elle souhaite désormais, c’est avancer sans regarder loin derrière elle. Ce qu’elle souhaite, c’est changer, et tout ça passera dans l’immédiat, dans la coupe de cheveux qu’elle s’offre volontiers.
Assise au niveau des lavabos, déposant sa tête dans le creux, Quetz s’était parfaitement installée pour subir un doux shampouinage de la part de cette belle jeune femme aux cheveux de jais. C’était la première étape avant de se lancer dans la micro-disparition d’une partie de ses flammes. Et il faut dire que cette femme se débrouillait admirablement bien. La déesse se sentait partir dans les bras de Morphée quand elle lui massa le cuir chevelu, caresses mortelles qui peuvent vous plonger dans un profond sommeil. En lavant ses cheveux, par plusieurs fois, la coiffeuse demanda à la divinité si elle était vraiment sûre de couper une partie de sa si belle chevelure rousse. D’ailleurs, Quetz y avait décelé, dans ses paroles, une pointe de jalousie. Mais que la belle japonaise ne s’en fasse pas, elle possédait également de magnifiques cheveux noir corbeau, et qu’elle devait sûrement entretenir à merveille.
Ayant lavé, rincé et peigné la crinière de feu de l’immortelle afin d’en défaire les nœuds, la coiffeuse s’occupa d’égoutter les cheveux humides de la cliente, tout en passant la serviette autour de son cou. Un contact. Un seul. Écarquillant doucement les yeux de surprise, Quetzalcóatl observait avec attention celle qui allait lui offrir une nouvelle coupe. Ses doigts sur la peau de son cou étaient glacés. Réellement. L’image que la mésoaméricaine eût en tête, en comparaison, vu un blizzard de Sibérie…Serait-il possible que ce soit dû à la climatisation présente dans tout le salon ? Non, impossible. Pas aussi froid, et surtout après avoir bien pris soin de laver les cheveux de la déesse à l’eau un peu chaude. Quelque chose clochait. Mais ne sachant pas trop ce que cette jeune femme était, la seule chose que pouvait affirmer l’aztèque était que cette japonaise n’était pas humaine.
Pour ne pas attirer l’attention sur cette chose qu’elle avait découverte, l’émeraude divine se dirigea vers un siège avec, en face d’elle, le traditionnel grand miroir. Bien installée, elle regarda alors la jeune femme préparer tout son matériel nécessaire à la coupe. Se plaçant derrière la déesse, elle soupesa une dernière fois la chevelure rousse et humide de l’immortelle avant de passer un peigne et un premier coup de ciseaux. Les paroles poétiques de la japonaise fit sourire Quetz.
En temps normal, lorsque l’on va chez le coiffeur et que l’on passe sous les ciseaux, ou la tondeuse, la chose que l’on regarde, instinctivement, sont les morceaux de cheveux qui tombent sur nous ou le sol. Souvent par petites touffes humides qui s’étiolent par la suite. Oui, on fait cela à l’habitude. Mais pas la mésoaméricaine. Son regard émeraude plongé dans la glace, elle observait attentivement les traits, les gestes de cette jeune femme, qui pourraient lui dire ce qu’elle était. L’immortelle, bien trop faible, ne ressentait que peu les auras divines dans son état. Alors s’il s’agissait d’une créature plus « faible » qu’un dieu, elle passerait bien à côté de cet aura. Peut-être qu’à force de la fixer avec autant d’insistance, pas très discrète, la japonaise la remarquerait…