La première question fusa assez rapidement, de la part de Nika, qui était assise à côté de Rinako :
« Est-ce que la bombe a marché ? Ces saloperies de Formiens ont clamsé ou ça a chié ? »
Isabelle, depuis longtemps habituée aux questions très directes de Nika, haussa les épaules.
« La bombe a explosé, oui... Et la Fourmilière a été fortement endommagée. Toutes les couches la protégeant ont été détruites, ainsi que la grande majorité des cocons et des ruches qui se trouvent à l’intérieur. Les Hordes qui attaquaient les Tekhanes ont été pulvérisées.
- Ils ont chié dans leur froc, ces pédés, résuma Lorenza.
- Je n’aurais pas dit mieux, répliqua Isabelle, dont la patience, légendaire, se justifiait encore. Toutefois, les Tekhanes n’ont pas pu profiter de cet avantage pour porter un coup décisif. »
Il y avait, comme elle l’expliqua, plusieurs raisons à ça. La première, c’est que les lignes défensives avaient été sérieusement embouties. Épuisées, en sous-munition, les Tekhanes n’avaient pas pu réunir leurs maigres forces pour partir à l’assaut. La seconde raison, c’est que l’état-major avait sous-estimé la puissance de la bombe, et l’état fragilisé des terrains. Quand la bombe avait explosé, elle avait provoqué de grandes fissures, des gorges interminables, le sol ayant été profondément miné par les nombreux tunnels creusés par les Formiens. Cet effondrement du sol avait constitué un nouvel obstacle, provoquant un nuage de poussière qui s’était répandu dans toute la zone. De même, l’explosion électromagnétique de la bombe avait saturé les réseaux de communication, créant une sorte de black out.
« C’était la première fois qu’un équipement de ce genre était utilisé en situation réelle, et non à travers des simulations informatiques. Néanmoins, la Horde a été détruite, et les Formiens, en toute connaissance de cause, devront panser leurs nombreuses blessures, avant de pouvoir envisager un nouvel assaut de cet envergure. »
Dommage que la bombe n’ait pas permis d’en finir avec eux. Nika hocha la tête, n’ayant plus aucune question. Ce fut Penelo qui intervint à son tour.
« J’aimerais en savoir plus sur cette orbe que Nika et Rinako ont récupéré. D’après ce que j’ai compris, cet objet était ce que Mastermind recherchait. De quoi est-elle capable ? »
La voix de Penelo était douce et fluette.
« Je vous entretiendrais sur ce sujet plus tard. Aucune question supplémentaire ? »
Il y eut un léger silence. Overlord comprit qu’il n’y en aurait pas, et aborda le premier sujet, tandis qu’une diapositive fut enclenchée par Ryouka. Sur le fond blanc, le visage souriant d’une femme avec une queue-de-cheval apparut, fixant l’objectif.
« Voici Rayka Lochtis. Ce cliché a été amené par la colonelle Jun, qui est une invitée exceptionnelle. »
Jun hocha lentement la tête, comme pour saluer les différentes Héroïnes.
« Rayka Lochtis était une Celkhane d’élite, commença Jun. Une ancienne fille d’esclave qui s’est battue avec acharnement pour les idéaux celkhans. »
Une brève lueur de désapprobation traversa le regard d’Isabelle, qui eut toutefois la sagesse d’esprit de ne rien dire. Jun présenta sommairement Rayka, avant de venir sur cette fameuse mission, que Rayka avait, en une époque qui semblait appartenir à une vie, parlé à Rinako.
« Cette mission consistait à neutraliser un puissant seigneur esclavagiste, et à libérer un convoi comprenant 73 esclaves. Le convoi devait passer le long d’un canyon, les esclaves étant reliés entre eux par des chaînes, surveillés en hauteur par des bandits, des raiders, et des mercenaires. Il s’est cependant avéré que les renseignements étaient inexacts, et que le convoi était lourdement défendu. De plus, l’escouade à laquelle Rayka appartenait était poursuivie par les démons du seigneur. Elles s’étaient réfugiées dans une ferme, et prévoyaient d’attaquer le convoi, libérer les esclaves, et fuir. »
Jun s’éclaircit la gorge.
« Ce fut un désastre total. De toute l’escouade, Swedan est la seule à avoir réussi à rejoindre le point d’extraction, Rayka ayant été capturée par les ennemis. Les 73 esclaves, selon les dires de Swedan, avaient été abattus par les esclavagistes dans leur tentative de les délivrer, et Rayka les avait trahies. Cette version devint la version officielle, et Rayka fut considérée comme ennemie d’État. »
Isabelle choisit ce moment pour intervenir :
« Rayka étant toujours en vie, j’ai pu inspecter son esprit. Il a beau être morcelé et détruit, j’ai trouvé ses souvenirs, ce qui me permet d’apporter quelques précisions à cette version des faits. Quant à savoir si c’est la vérité, je ne peux l’affirmer, car les souvenirs sont, par nature, friables, et se modifient avec le temps, surtout quand votre esprit est en mille morceaux. »
Isabelle prit son temps, observant brièvement Rinako. Elle savait, car, en reconstruisant les esprits de Rinako et de Nika, elle avait eu accès à leurs souvenirs. Elle savait ainsi que Rinako avait côtoyé de très près Rayka, mais qu’elle n’avait pas eu toute la version des faits.
« Le convoi était effectivement lourdement défendu, et le projet de Swedan était d’utiliser un mortier au phosphore blanc pour détruire les véhicules ennemis, et pouvoir ainsi libérer les esclaves. Malheureusement, le phosphore blanc est une arme dangereuse, et les projectiles sont retombés dans le canyon. Tous les esclaves ont été tués. Les Celkhanes sont descendues par la suite dans le canyon. Ces 73 morts sont le prix de l’incompétence de Swedan, de son fanatisme et de sa hargne exacerbée envers les esclavagistes. »
73 morts... C’était plus qu’un désastre, c’était un véritable carnage. Le ton et le choix des mots étaient révélateurs ; cette critique s’adressait aussi à Caelestis. Ces 73 morts étaient le fait d’une nation qui confondait la justice et la vengeance, qui se livrait, sans tenir compte des conséquences, à une chasse aux sorcières.
« En retournant vers la ferme, Rayka a menacé de destituer Swedan, de porter tout ça aux supérieures. Les autres membres de l’escouade la soutenaient. Swedan savait ce qu’elle risquait pour avoir abattu les civils. La loi ne pardonne pas aux criminels de guerre. Il y a eu un combat. Rayka a été laissée pour morte, mais elle était plus résistante, pour son malheur, que ce que Swedan croyait. Le seigneur esclavagiste l’a retrouvé, et l’a torturé. Je vous passe les détails, mais elle n’en est pas ressortie indemne.
- Alors, elle cherchait à se venger de Caelestis ? demanda Tifa.
- Oui... Et non. C’est... C’est légèrement plus compliqué. Elle a fait partie des convois rouges. C’est de cette manière qu’elle est tombée entre les mains de l’Empereur fou, le Roi Cramoisi. »
Lorenza fronça les sourcils :
« Les convois rouges ?
- Je ne vais pas vous faire un cours d’Histoire, mais, pour simplifier, l’Empire a jadis connu une guerre civile, menée contre un Empereur d’une cruauté qui aurait fait rougir les Princes infernaux. Il s’appelait l’Aballah, mais on lui donnait bien des surnoms : le Roi Cramoisi, le Roi Pourpre, en raison du long manteau rouge qu’il porte, ou encore le Seigneur des Araignées, en raison de sa forme démoniaque arachnoïde, et de sa passion pour les araignées. La guerre civile a chassé l’Aballah, qui n’a pas été tué, et s’est rendu dans ses terres natales. L’Empire a tenté, à plusieurs reprises, de l’achever, envoyant des troupes, des mercenaires, des guerriers, mais personne n’a jamais réussi à le vaincre. Par conséquent, les Ashnardiens ont décidé de l’oublier, envoyant à ce dernier des condamnés à mort, afin qu’il puisse se nourrir, sans menacer la paix de l’Empire. Rayka a fait partie des convois, et le Roi a visiblement décidé de ne pas la tuer. »
Plusieurs Héroïnes clignèrent des yeux. Sur le coup, ça faisait beaucoup à avaler.