This Silence... [PV]

Quand il entendit sa première remarque, il acquiesca. Non, il ne la mordrait pas. Les remords se construisent avec les souvenirs. S'il ne la connaissait pas, s'il l'avait tué hier soir, Virgile ne s'en serait pas voulu. Enfin, peut-être pendant une heure, mais il oublierait ensuite. Après quelques gorgées d'un whisky délicieux, tout s'envolerait. Malgré tout, le vampire se souvenait avec exactitude de sa première victime : une femme, elle aussi. Aux yeux bleus. Il s'en souvenait encore ... C'était ses débuts, en tant que vampire. Quand il avait encore peur de ce qu'il était devenu sans jamais le vouloir : un immortel assoiffé de sang. Un putain de vampire. L'insulte, qu'il ne prononça pas mais pensa très fort, fit saigner toutes les régles de bienséance qu'il s'efforçait de respecter.

- La première femme que j'ai mordue m'a regardée avant de mourir. Alors qu'elle ne devait pas me voir. Alors que je devais me glisser derrière elle, la surprendre, la tuer sans état d'âme, sans aucune question. Il s'agissait de chasser, de se nourrir, tout simplement.

A tâtons, il chercha sa tasse de café.

- ... Mais elle m'a vue. Et ce regard que j'ai vu s'éteindre m'a hanté de nombreuses nuits durant, au point que je refuse de me nourrir. C'est pour dormir l'esprit tranquille que je ne tisse aucun lien avec mes victimes.

Et il but une gorgée. Qui réchauffa bien plus que son oesophage.

- Je ne pourrais tuer une personne que j'ai osé regarder dans les yeux.

Traitez-le de beau parleur si vous le voulez, mais cela voudrait dire que vous n'y connaissez rien. Virgile est un homme bon. Il l'a toujours été. Son statut de vampire ne l'a pas empêché de sauver de nombreuses vies : celles de ses patients. Rester un médecin était comme un exorcisme. Chaque vie qu'il prenait pour subsister en sauvait une autre. Celle d'une femme hydrophobe, d'un enfant qui hallucine sans cesse, d'un homme paranoïaque ... Il y en aurait beaucoup à citer, en vérité. Mais nous ne sommes pas là pour ça.

Quand Eleina, ou Miya, s'approcha de la table, et prononça sa dernière réplique, Virgile sourit. Personne ne pouvait survivre à une attaque de vampire, et pourtant elle était bien là, palpitante fraiche et rayonnante. Tant de beaux adjectifs l'étourdissait presque. Mais il devait avouer qu'elle avait ce quelque chose, dans sa voix, son allure, qui plaisait presque au vampire. Ainsi, il n'y avait qu'une seule solution ...

- Vous êtes immortelle, belle dame ?

Lança t'il dans un sourire. Il y croyait à peine. Il ne connaissait que trop d'immortels, et tous avaient les canines acérées. Il avait déjà mordu un vampire, et ce n'était guère bon. Mais le sang de cette femme n'avait pas le goût du sang d'un corps mort ... Il était délicieux.

L'homme, en face d'elle, était à des lieux de tout ce qu'elle avait pu lire sur les vampires. Sans être experte sur le sujet, Miya s'était renseignée sur ces légendes, au hasard d'un fait divers. Ce Virgile avait ce charme indéfinissable, ce prestige envoutant. Mais il était loin de la cruauté de certains de ses pairs, comme il l'avouait. Et il parlait, sans se cacher de quoi que ce soit, sans lui cacher le moindre aspect de la réalité, de ce qu'il pensait et ressentait. Comment pouvait on autant s'ouvrir à quelqu'un, une illustre inconnue dont il avait voulu la mort il y a quelques jours ?


Et la question tomba, dérangeante. Vous êtes immortelle, Belle Dame ? Elle ne parlait pas à coeur ouvert, elle. Contrairement à lui... Sa condition, elle la cachait, tentait de faire comme si elle n'existait pas, de vivre en l'ignorant. Un problème que l'on ignore n'existe pas, non ? Bref, l'immortalité, elle n'y repensait que lorsqu'elle devait s'y confronter. (Trop souvent à son goût, hélas.) Son regard est resté rivé à celui du Dr Lawton, comme pour lui signifier, par cette absence de mouvement ou de gêne, combien ce qu'il disait était ridicule. Mais ses yeux finirent par se détourner, bien malgré elle. Miya trouvait qu'elle s'était fichue, toute seule, dans une bien belle situation pourrie.


- Si c'était le cas, que se passerait-il ?


En fait, elle n'attendit même pas sa réponse. Miya se leva, passa la lanière de son sac à main sur son épaule. Après tout, pourquoi ne pas s'essayer, elle aussi, aux confessions à coeur ouvert ? Elle le domine légèrement, de toute sa hauteur. Sa voix tremble à peine.


- Vous croyez quoi ? Que l'immortalité est un cadeau ? Elle n'est qu'un fardeau, et une fatalité loin d'être agréable. Je suis immortelle, oui. Et je n'ai pas besoin de sacrifier de vies pour subsister. Vous pensiez à quoi ? Que seules des aberrations telles que vous, et vos semblables, puissiez posséder la vie éternelle ? Oh, et avant que vous ne me le renvoyez en pleine figure : oui, je me considère aussi comme une aberration de la nature.


Alors pourquoi restait-elle ici, à attendre une réponse de sa part ? Pourquoi ne faisait-elle pas ce qu'elle faisait de mieux, fuir hors de cet endroit, fuir cet homme ?

Qu'elle le veuille ou non, ses paroles l'avaient blessé. Elle était immortelle, alors ... Tout dans son attitude le disait. Et puis, le fait qu'elle soit encore vivante après une telle morsure ... Peu de gens survivent à cela. Si ce n'est personne. Toujours assis, Virgile ouvrit un des tiroirs de son bureau, pour en sortir une photo, joliment encadrée, parfaitement soignée, sans aucune once de poussière. Une photo de famille, où on le voyait lui, son épouse, ses deux filles, alors qu'elles avaient la dizaine. Il posa la photo face à elle, avant se chercher une cigarette, dans un paquet qu'un de ses patients avait oublié quelques heures auparavant. Le vampire ne cherchait même pas à regarder la photo, il la connaissait déjà par coeur : lui, debout, sa femme tout contre lui, souriante, et leurs deux filles assises dans l'herbe, vêtues de robes pâles. Une photo prise dans son jardin, à l'époque, par un cousin photographe. La photo était dans les tons sépias, et tout indiquait qu'elle datait du 19e siécle.

Il prit une lente inspiration, et fit le choix, finalement, de ne pas allumer cette cigarette.

- J'ai vu mes deux filles mourir, alors que je n'aurais pas du. J'ai vu ma femme devenir vampire elle aussi, puis je l'ai vu disparaitre, s'évaporer, comme un songe. Désormais, nous sommes deux immortels, et nous n'avons plus aucun lien. Je la sais en vie, car elle est comme moi, mais j'ignore où elle est, ce qu'elle fait, si je ne la verrais pas débarquer demain, ici. Je ne trouve aucun repos, et je ne saurais jamais faire mon deuil, alors ...

Il se permit un sourire.

- Comprenez bien que je ne considére aucunement l'immortalité comme un cadeau.

Virgile récupéra prestement la photographie, la rangeant dans son tiroir. Puis il afficha un sourire serein, calme, avant de lui indiquer la porte, toujours élégamment, sans hausser le ton.

- Je vous prierais de bien vouloir quitter cet endroit. L'abberation apprécierait de se retrouver seule.

Ah, la mort. Le sujet le plus sensible pour des immortels qui vivaient parmi ces mortels. La mort leur fichait une paix qu'ils ne désiraient, préférant qu'Elle les étreigne plutôt que de les laisser souffrir. Oui, la Mort les touchait, de loin, et s'amusait à les torturer. Ce n'était pas juste, s'était souvent dit Miya. Son jumeau lui avait souvent répondu : "Ca met toujours un peu d'émotions dans nos vies. La mort nous met devant notre propre mortalité, notre vie... On fait des choses folles juste au cas où." Combien de fois Miya lui avait elle répondu : Tu ne mourras jamais, toi. Et Jhun se contentait toujours de sourire, simplement. Et il était mort, bien entendu. Ce jumeau qu'elle aimait bien plus que de raison. Et ceux qu'elle avait apprécié, avaient fini par succomber, eux aussi. La triste réalité de la vie...


Que cet homme ait perdu les deux petits anges de la photo remua une vieille blessure. Un enfant qu'elle n'avait pas désiré, qu'elle détestait alors qu'il était encore minuscule, mais un enfant qu'elle avait pleuré, à s'en faire souffrir mille tortures, quand elle l'avait perdu. Ses doigts s'étaient approchés pour dessiner le contour de ces deux visages angéliques, mais arrêta son geste ; peu après, Virgile rangea la photo, sans lui avoir jeté le moindre coup d'oeil. Il souriait - comment pouvait il parler de morts, de gens qu'il avait aimé, et sourire ainsi ? Miya avait mal pour lui. Et il la congédia.


Son sale caractère n'arriva même pas à prendre le dessus, pour mal prendre ce rejet. La demi déesse se contenta de baisser les yeux. Elle ne s'excuserait pas, non. Parce qu'elle ne le faisait jamais. Il est trop aisé de s'excuser une fois que le mal avait été fait. Alors elle reprit son sac, au pied du siège, et ne regarda même pas Virgile.


- La mort est cruelle, Dr Lawton. Pas pour ceux qu'elle étreint, mais pour ceux qui restent. Je suis navrée pour vos deux filles. J'ai... ... Qu'importe. Au revoir, donc. Et si un jour, l'envie d'arrêter de tuer pour subsister vous prenait... Vous saurez où me retrouver, je suppose.


Elle n'en revenait pas de ce qu'elle lui proposait, là, sur fond de soleil couchant, dans un cabinet bien trop silencieux pour elle. Miya releva la tête, s'inclina poliment, et quitta la pièce. Elle retrouva avec une certaine délectation le bruit de l'extérieur, la foule oppressante. Pourtant, avant de repartir chez elle, elle releva la tête, vers le cabinet du psy. Comme si elle espérait le voir, une dernière fois. Elle avait si peu souvent eu l'occasion d'être en contact avec un immortel qui n'était pas une fichue divinité...

Quatre jours après.

Quatre journées s'étaient écoulées depuis la visite de Miya au cabinet du Dr Lawton. Ce soir là, alors qu'il allait fermer les portes plus tôt, il se mit à penser. Sa dernière patiente était une femme rendue amnésique par ses névroses, et il peinait beaucoup à s'occuper d'elle. Mais, cette fois, tandis qu'elle enfilait son manteau, elle avait murmurée quelque chose. A propos de l'immortalité. Virgile s'en souvenait peu, mais cela lui avait rappelé Miya. Et ses dernières paroles, avant qu'il ne la somme de quitter ces lieux. Il ne s'était guére montré gentleman, sur ce coup là, et s'en voulait encore de son comportement. On ne congédie pas une femme aussi violemment, sous l'effet d'une impulsion. Il n'avait cessé de penser à ce qu'il avait fait. Et il se reprochait de l'avoir laissée partir aussi facilement. Perdu dans ses pensées, et prêt à aller se coucher, il se souvint de ce bar. Cet endroit où il l'avait vu, pour la première fois. Et sa décision fut immédiatement prise.

Virgile attrapa son manteau, son chapeau, noua ses cheveux avec un fin ruban pourpre, et se dirigea vers le bar. La pluie n'allait pas tarder à tomber, déjà l'orage grondait et agitait la mer. Un vent salé donnait à l'air un goût peu plaisant, ce qui invita le vampire à marcher plus rapidement. Il mit un certain temps à retrouver le bar, perdu dans un entrelacs de ruelles. Et quand il se retrouva face à la porte ...

... Il poussa un soupir.

- Tu es con.

Il croisa ses doigts, comme ses filles le faisaient pour se donner du courage, et entra dans le bar. Il était rempli de gens plus ou moins aimables, et la scéne était vide. Il n'y avait qu'un micro, et des objets qu'il n'arrivait pas à identifier. Mais aucune lueur de vie. Tant pis. Virgile commanda un scotch, tout en s'installant au bar. Il n'osait même pas demander au barman si la dénommée Miya allait venir ... Le vampire avait trop peur qu'on lui réponde que ce n'était pas le cas.

Cette scène là était vide de sa présence, oui. Miya se trouvait ailleurs, dans un autre bar... Deux chansons, très dure à chanter, avant qu'elle ne finisse par partir, prétextant un peu de fièvre. Cette sensation, elle ne la connaissait que trop. Un orage se préparait. Et l'électricité était la seule faiblesse de l'immortelle, au point qu'elle se retrouvait, effectivement, très mal, comme prise d'une grippe puissante. En cet instant, la chanteuse n'aspirait qu'à une chose : un lit, où elle souffrirait en attendant la fin de ce nuage d'électricité qui la rendait si faible, si... Mortelle.


Ses talons claquèrent sur le trottoir. Elle avait les idées embrumées, Miya n'arrivait pas à réfléchir à quelque chose de simple, comme... Appeler un taxi. Simplement cela. Elle avançait, devait faire quelques arrêts lorsque le grondement de l'orage lui faisait se boucher les oreilles. Avant même de savoir quelle était sa faiblesse qui pouvait la tuer, elle avait toujours eu peur de l'orage, parce que c'est un coup de tonnerre qui fit paniquer les chevaux au cirque, et qui lui enleva ses parents... Alors, Miya continue a avancer, pour fuir le dehors, et le temps qui va finir par la faire s'effondrer sur le trottoir, affaiblie, et incapable du moindre geste. Quelle horreur, hors de question de se montrer faible en public ! Le bruit de ses talons est alors, petit à petit, rejoint par le clapotis de la pluie qui tombe, le tonnerre gronda plus fort, et après un cri de peur, Miya sait qu'elle n'arrivera pas jusqu'à son appartement. Appuyée contre le mur, elle regarde autour d'elle, pour prendre conscience d'où elle est. Elle ne voit pas tout de suite, mais elle reconnait la façade de ce bar... Avec un peu de chance, il y a des chambres à l'étage ?


C'est une silhouette qui grelotte, dont le maquillage a un peu coulé sur les joues, et aux bras qui enserrent son manteau tout contre elle, qui entre misérablement dans le bar. La chaleur de l'endroit ne la réchauffe pas, et elle avance pour échapper au roulement de tonnerre dehors. Mais elle chancèle, c'est évident pour n'importe qui qui la regarderait. Ses pas sont difficiles jusqu'au comptoir, où elle demande au comptoir, d'une voix essoufflée, ou fatiguée :


- Une... Chambre, s'il... Vous plaît...


Ses yeux brillent, elle semble au bord des larmes. Le barman lui lance un regard désolé, avant de lui répondre que ce n'est pas un hôtel, ici... Il y a un éclair qui traverse le ciel, et le tonnerre qui gronde ; Miya se couvre les oreilles, ferme les yeux aussi fort qu'elle le peut, et doit se mordre les joues pour ne pas crier. Elle rouvrit les yeux, regarda vers dehors, mais ses yeux virent d'abord quelqu'un. Si elle avait eu les idées claires, elle aurait pensé : Encore lui... Mais non, elle était en mauvais état, sur le point de s'évanouir, voir même de mourir, en fait...


- Aidez moi...", supplia-t-elle avant de s'évanouir à ses pieds.

... Elle n'eut même pas la chance de toucher le sol, que déjà Virgile la prenait contre lui. Il s'était agenouillé avec une rapidité dont il ne serait jamais cru capable, et portait désormais à bout de bras le corps assoupi de la chanteuse aux yeux d'écume. Autour d'eux, tout s'était arrêté. Certains réclamaient que l'on appelle une ambulance, d'autres regardaient avec une curiosité navrante la scéne. Le vampire ne pouvait guère leur en vouloir ... Ce qui échappe au quotidien attire et inquiéte. L'équilibre des choses est ainsi faite. Il la releva légérement, prit son pouls et constata qu'il était plutôt lent. Trop pour être normal, mais assez peu pour qu'on s'alarme vraiment. Il réclama d'une femme qu'elle appelle un taxi, ce qu'elle fit au bout de dix longues secondes, tandis qu'il la prenait carrément dans ses bras. Elle était frêle, et l'immortel ne s'étonna même pas qu'elle soit si légére.

Le taxi arriva prestement, et il l'allongea sur la banquette arrière. Le temps de récupérer ses affaires, de boire puis payer le verre, et ils se mirent en route. Les deux minutes de trajet lui semblérent durer une éternité. Même les heures qu'il avait passé, autrefois, à se cacher de la lumière du jour, dans des caves qui suintaient la moisissure et la pisse, lui parurent plus rapide que ces minutes. Une fois arrivé à l'appartement, il somma une de ses domestiques de prendre en charge la jeune femme. Pas question que ce soit lui qui s'occupe de la dévêtir, et de lui faire porter une tenue plus légére. La domestique en question, une japonaise qui se nommait Yume, l'installa dans le lit du vampire, et resta à la veiller tandis qu'il fumait longuement dans le salon. Virgile prépara un thé, pour s'occuper l'esprit, et essaya de lire. Autant dire qu'il n'y parvint aucunement, et qu'il resta là à guetter la pluie grasse qui suivit l'orage.



Il ne sut dire combien de temps s'était écoulé, mais, au moment où Miya ouvrit les yeux, c'est Yume qu'elle put voir en face d'elle. Une Yume vêtue d'une de ces tenues de domestique qui datait de la vieille Angleterre, qui veillait sur elle tout en laissant du thé infusait à ses côtés. On l'avait couchée dans un immense lit baldaquin, où des voiles pastels la laissait à l'écart du reste du monde, dans une chambre asse grande et bien tenue. Il y avait là une vaste fenêtre, devant laquelle de larges rideaux pourpres étaient repliés. Le sol était couvert d'une moquette couleur écorce, et les murs étaient garnis d'un de ces papiers peints ancien, mais de bon goût. On discernait une armoire, un bureau, une petite bibliothéque, et un tapis persan mangeait la moitiée de la pièce.

- Ne vous inquiétez pas, tout va bien, murmura Yume avec sa voix délicate. Je vous ai retiré vos vêtements trempés, et je vous ai prêté une de mes chemise de nuit. Le docteur est à côté, il n'a pas souhaité vous déranger. C'est moi qui veille sur vous.

La domestique avait ce sourire que l'on prête aux mères attentives et douces, et son ton était calme et reposant. Elle remit en place un morceau de tissu frais, qu'elle avait maintenue sur le front de Miya.

- Ne prenez pas mal le fait qu'il ne soit pas là ... Le Docteur est très poli. Il n'a pas voulu vous dévêtir, ni même vous gêner.

Continua t'elle dans un sourire.

L'orage fut long. Pour Miya en tout cas. elle se retrouvait dans un étrange état second, entre la conscience et l'inconscience. Elle se sentait mourir, et revivre à chaque fois qu'un éclair zébrait le ciel. Comme à chaque fois, elle fit des cauchemars, alors qu'elle était brulante de fièvre. Elle revit ses parents mourir un nombre incalculable de fois, et encore davantage pour son frère. Ses pires cauchemars... Si on le lui avait demandé, Miya aurait accepté de mourir si cela pouvait tout arrêter. Au lieu de cela, l'orage se calmait, pour qu'elle puisse se sentir en sécurité, entre deux bras, ou dans un lit, avant que la fièvre ne reprenne le dessus. Dans son demi sommeil, elle gémissait souvent, et elle eut même quelques larmes. Mais elle ne parvenait jamais à s'éveiller totalement, tant que l'électricité saturait l'air.

Puis, elle eut quelques minutes, peut-être deux heures, d'un sommeil réparateur, alors que l'orage s'éloignait à la fin de la nuit. Miya battit des paupières, s'éveilla doucement, dans un lit inconnu. La femme, près du lit, lui sourit immédiatement, si tant est que ce sourire n'ait pas déjà quitté ces lèvres. Il faisait encore sombre, et Miya eut besoin de quelques secondes pour savoir où elle était, sur ce qui s'était passé la veille. Elle se souvint d'un bar, de l'orage, et de bras qui la rattrapaient, de l'odeur de son sauveur... La même que celle qui flottait dans cette chambre.

La domestique eut tôt fait de confirmer ses pensées. Le docteur est à côté... Cette femme là savait-elle qu'elle servait un vampire ? L'idée ne fit même pas frémir Miya, l'idée que celui qu'elle avait traité de monstre - et même pire que ça - avait accepté de la sauver, et de l'emmener en sa demeure. Allait-il la jeter dehors, maintenant qu'elle était réveillée ?

Miya sourit à la jeune femme en retour - comment aurait-elle pu s'en empêcher ? Et d'une voix rauque, éloignée de sa mélodie habituelle, Miya murmura :

 - Merci.

Elle se racla la gorge, comme pour s'éclaircir la voix. C'était vain. Encore quelques minutes, elle conserverait cette voix de camionneur qui a trop fumé. La demi déesse ferma les yeux, enfonça sa tête un peu plus dans l'oreiller moelleux. Et maintenant ? Qu'allait-il se passer ? Miya se redressa, pour commencer, et Yume lui tendit aussitôt une tasse de thé encore chaud, et une fois de plus, la demi déesse la remercia, mais d'un simple hochement de tête, cette fois ci. Le liquide ambré lui fit un bien fou, et elle retrouva une voix normale, dont elle se servit pour demander si elle pouvait voir le docteur...

Yume resta encore cinq bonnes minutes dans la pièce, veillant attentivement aux moindres détails concernant le réveil de cette hôte. La jeune domestique était la seule qui était au courant de la véritable nature de Virgile. C'était elle qui lui prêtait son sang, afin qu'il fasse des expériences, qu'il le prépare. Oh, ce n'était guère un fardeau pour elle, donc les parents étaient des junkies finis qui l'avaient abandonnés de nombreuses fois dans des lieux publics afin de s'en débarasser. Virgile l'avait recueilli le jour de ses 16 ans, alors qu'elle cherchait un emploi de serveuse. Il avait su, allez savoir comment, qu'il pouvait lui faire confiance, qu'il pouvait se reposer sur elle, et réciproquement. Depuis, la jeune femme était à son service. Cela ferait bientôt deux années qu'elle travaillait ici, aussi bien comme domestique que comme secrétaire médicale. Ils avaient davantage une relation d'oncle et niéce que de maitre et de domestique. C'était presque touchant. Ils veillaient l'un sur l'autre, en somme.

Au bout de ces cinq minutes, Yume quitta les lieux, informant Miya qu'elle partait "quérir le Docteur". Les bonnes manières de Virgile avaient eu un impact important sur l'attitude de Yume, au point qu'elle se mette à bien parler, à être aussi polie que raffinée. On aurait presque pu croire qu'elle était la fille de Virgile. Mais ne vous égarez pas à cette comparaison ... Parler de la famille du Docteur avait le mérite de le chagriner plus qu'autre chose. La domestique referma la porte, entrant dans le salon où se tenait Virgile.

- Vous fumez depuis trois heures ? demanda t'elle, avec ce ton calme et apaisant qu'on lui connaissait si bien.

Il ne lui répondit que par un sourire.

- Votre hôte s'est remise de ses émotions. Elle est réveillée. Et elle a demandée à vous voir, continua t'elle. Je vais préparer quelque chose à grignoter. Cela vous fera du bien à tout les deux.

- Tu es un ange, répondit-il en se levant de son fauteuil.

Il s'apprêtait à écraser sa cigarette à moitié entamée, quand Yume la lui prit des mains, pour la planter entre ses lèvres.

- Permettez ?

Un échange de sourires, et le docteur se dirigea vers la chambre. Il poussa la porte doucement, afin de ne faire aucun mouvement brusque. Sa tenue n'avait pas changée ; toujours aussi soignée, chemise blanche et veston noir sur pantalon noir. Une montre à gousset pendait d'une de ses poches, et ses cheveux étaient détachés. Il avait retiré ses lunettes, s'offrant ainsi une vue pas franchement nette, mais convenable. Un sourire, à cette jeune femme qu'il avait sauvé, et il s'installa sur le siège où se tenait, juste avant, Yume, après avoir entrouvert légérement un rideau. Aucune lumière de l'aube. Il devait être presque minuit. Un coup d'oeil sur la montre lui indiqua qu'il était en réalité bientôt une heure du matin. Virgile ne s'étonna même pas de cette absence de sommeil ... Il était, aprés tout, un vampire. Un de ceux qui dorment peu.

Sans oser la toucher - il est rempli de bonnes manières, vous dis-je ! - Virgile se permit tout de même de poser une main sur le lit, proche d'une de celle de Miya.

- Êtes-vous suffisamment reposée ? demanda t'il avec un ton rassurant. Avez-vous faim, soif ? Voulez-vous quelque chose en particulier ?

C'est assez étrange, d'ailleurs, de voir un vampire s'exprimer avec une telle douceur. On reconnaissait bien là l'homme qui avait été, attentif et sensible, prêt à aider son prochain, élevé avec un range et une classe typiquement anglaise. L'homme qu'il s'efforçait d'être encore, d'ailleurs ...

- Yume m'a dit que vous souhaitiez me voir, continua t'il sans même attendre de réponse. Y a t'il le moindre problème ?

Virgile avait quasiment oublié leur précédente conversation, dans son bureau. Il ne souhaitait que la revoir sur pied. Jamais il ne se serait permis de la mordre, ou de se repaître de son sang pendant qu'elle était assoupie.

La domestique avait quitté la pièce, et Miya profita de ces quelques instants de solitude. Elle ne savait même pas ce qu'elle allait dire, hormis les politesses d'usage. Merci de m'avoir sauvée, de m'avoir évité l'hôpital, de m'héberger. La demi déesse respira profondément, se massa les tempes dans lesquelles battaient encore un fourmillement désagréable. Non, ça n'allait pas : elle se mettait à remercier les gens, maintenant ? Appuyée contre les oreillers calés dans son dos, elle croisa les jambes sous la couette, les mains posées sur son ventre. Elle attendant, et entendit Virgile s'asseoir à ses côtés. Elle rouvrit les yeux, et fut surprise de ne pas ressentir la moindre peur envers Virgile. Sans doute sa faiblesse encore trop présente, cette espèce de langueur qui lui collait à la peau alors que l'orage grondait toujours au loin. Elle se sentait mieux, oui, mais elle ne pétait pas encore la forme... Miya se mordilla la lèvre incapable dans un premier temps de répondre quoi que ce fut à son sauveur. Son regard se faisait fuyant, mais gêné cette fois.

- Non, il n'y a pas le moindre problème...

Sa voix était toujours un peu éraillée, alors même qu'elle murmurait simplement. Elle respira, avec moins de difficulté que plus tôt dans la soirée, mais toujours comme si un poids lui pesait sur la poitrine. Miya finit par regarder le vampire dans les yeux :

- Merci... De m'avoir sauvée. Je veux dire, vous n'étiez pas obligé, après ce qui s'est passé l'autre jour... Le fait que vous m'ayez amenée ici... m'a évité pas mal de soucis...

Mais c'était une situation qu'il devait connaître, ou avoir connu. Finalement, lui avoir pazrlé de son immortalité n'était pas une si mauvaise chose. La demi déesse baissa le regard, vers cette main simplement posée sur le lit. Son mal de tête se dissipait en même temps que la fièvre, et Miya pressa à nouveau ses doigts contre ses tempes, comme pour encourager cette faiblesse à la quitter plus vite. Et elle murmura, d'ailleurs, d'une voix qui redevenait plus claire :

- J'aurai pu mourir ce soir, vous savez... Vraiment mourir, je veux dire. Je... Vous dois une fière chandelle.

Miya se sentait mieux, maintenant, vraiment. Elle avait retrouvé ses couleurs, sa voix, et n'était plus fiévreuse. Virgile allait-il être curieux au point de demander ce qui lui avait causé un tel état ? La demi déesse n'était pas sure de vouloir y répondre, mais c'était la moindre des choses à faire en retour. Elle sortit les jambes du lit, frôlant la main de Virgile au travers des draps, et s'apprêtait à se servir une nouvelle tasse de thé ; elle suspendit son geste alors qu'elle adressait une question muette au maître des lieux, d'un simple regard : Prendrez vous un thé ?

Regard fuyant, voix légérement tremblante, geste imprécis ... Non, Virgile ne lui ferait pas l'offense de lui demander ce qui l'avait mise dans cet état. Elle était bien trop mal en point pour cela. Et le dernier souhait du vampire était de la mettre mal à l'aise. Alors, il se contenta d'acquiescer à ses mots, avec un sourire aussi rassurant que possible. Quand elle remua, et qu'elle frôla la main de l'immortel, il ne put s'empêcher de la reculer doucement, en se raclant légérement la gorge. Je vous l'avais dit ... Virgile est un homme plein de bonnes intentions, et surtout plein de bonnes manières. Jamais il n'oserait se montrer pressant, ni même faire de lourdes avances à une femme. Et encore moins chercher à la peloter pendant qu'elle était en "mauvais état". Il détestait ce genre de comportements, d'ailleurs, qui était malheureusement propre à cette génération. Le profit, encore, toujours, que ce soit autour de l'argent ou de l'être humain. Profiter d'une femme ne lui ressemblait guère, et ne lui ressemblerait jamais.

Quand elle l'interrogea du regard, il répondit en accentuant son sourire. Sa main vint stopper doucement le geste de la belle chanteuse, et il prit soin de servir deux tasses, avant de lui en tendre une.

- Vous êtes mon invitée ... Bon, peut-être pas de votre plein gré, mais les régles disent que c'est moi qui m'occuperais de vous. Et non le contraire. Vous êtes là pour vous reposer.

Encore ce sourire bienveillant ... Ah, un chasseur de vampire s'y serait mordu les doigts ! Comment croire qu'une créature aussi sanguinaire puisse être aussi aimable ?

- J'ai essayé de vous tuer, et maintenant je vous sauve la vie, soupira t'il. Disons que nous sommes quittes. Je ne pouvais, de toute manière, pas vous laisser dans cet état ...

C'était un fait. Virgile n'était pas du genre à laisser une personne dans l'embarras. Eh, il est médecin, après tout ! Sauver et aider, c'est presque sa seule litanie ! Le vampire s'installa plus confortablement sur son siège - à voir comme il était peu confortable, il se jura d'offrir une heure de massage à cette Yume qui avait veillée pendant trois heures, assise sur ce fauteuil - et but une gorgée de thé.

- Cela me rappelle l'Angleterre, admit-il dans un sourire. Ce thé est délicieux. Il vient tout droit de Londres. A l'époque, il était meilleur, mais ... Faisons avec ce qu'on a.

Il ne cachait même pas à cette femme qu'il était un immortel. Enfin, elle avait du s'en douter. Cela faisait, tout de même, vingt et une décennies et 2 années qu'il vivait. Y penser lui donna le vertige.

- Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas, ajouta t'il en posant un instant sa tasse.

Miya laissa donc la théière à Virgile, et recouvrit un peu mieux ses jambes du drap, tirant un peu plus dessus. Elle saisit la tasse des deux mains, comme si elle cherchait un peu de réconfort dans la chaleur qui se dégageait de la porcelaine. Son regard se faisait moins fuyant, même si elle ne fixait pas directement son hôte, trouvant dans le liquide ambré quelque chose de passionnant à voir. Virgile soupira ; la boucle était bouclée, selon lui. C'était une façon simple de voir les choses, et intérieurement, Miya râlait sur des détails ; cependant, elle ne dit rien et but son thé, lentement, en appréciant le goût âpre sur sa langue. Nouvelle remarque de la part du vampire, ce à quoi Miya répondit dans un murmure :

- Il n'y avait pas de thé, là d'où je viens.

Elle non plus ne lui cachait pas, à lui, qu'elle était immortelle. Au moins, cette fois, c'était dit, et clair comme de l'eau de roche. Elle s'interrompit pour continuer à boire, par petite gorgées, sa tasse de thé, et quand elle l'eut finie, elle parvint enfin à fixer Virgile, raide sur son siège. Miya l'observa, un long moment même. elle était un peu gênée, elle même, de ce qu'elle faisait, évidemment. Pourtant, elle ne vit rien d'inhumain chez cet homme, au point que c'en était troublant.

- Vous êtes...

Elle s'interrompit, consciente que ce qu'elle allait dire était étrange, déplacé, bizarre, n'importe quoi dans ce sens là. Miya s'accorda quelques secondes pour réfléchir un peu, mais aucune formule moins ridicule ne lui vint en tête.

- Vous êtes... Le premier immortel que je vois ici. Vous n'êtes pas un Dieu, vous êtes... un être d'une autre légende. C'est déstabilisant. Je croyais que seuls les divinités avaient accès à l'immortalité.

Courte hésitation, son regard se durcit tandis qu'elle le détourne.

- Je déteste les Dieux.

Les yeux de Miya s'attardèrent sur la décoration de la pièce, d'un style qui venait indéniablement d'un autre temps. Tiens donc, elle n'était donc pas la seule à regretter une époque révolue. Il venait donc de "là", quoi que ça puisse signifier. Elle se tourna vers lui à nouveau, et osa même un demi sourire.

- Merci de m'avoir sauvée. Vous n'étiez vraiment pas obligé de le faire, surtout après la façon dont je vous ai traité. J'ai... Une peur bleue de l'orage... Alors merci de m'avoir sortie de cette situation.

Elle ne disait pas tout. C'était inutile. Il demanderait s'il voulait des précisions.

- - Vous êtes... Le premier immortel que je vois ici. Vous n'êtes pas un Dieu, vous êtes... un être d'une autre légende. C'est déstabilisant. Je croyais que seuls les divinités avaient accès à l'immortalité.

Cette remarque eut le mérite de le faire sourire, tandis qu'il s'était levé de son siège, un instant. Ne serait-ce que pour se dégourdir les jambes. Depuis qu'elle s'était assoupie, il n'avait fait que rester assis, en fumant, immobile. Son organisme le lui reprochait, le lui faisant comprendre en lui envoyant des armées de fourmis dans le corps. Et Dieu sait que Virgile détestait avoir des fourmis. Enfant, sa mère lui racontait que cette sensation, ce fourmillement incessant était dû aux péchés et fautes non-avouées qui s'emmagasinait dans le corps. Il en avait culpabilisé pendant de longues nuits ... Et, même si, devenu médecin, il avait découvert que les paroles de sa mère étaient fausses, il n'en demeurait pas moins mal à l'aise quand des fourmis s'installaient sous sa peau. Ainsi, il déambula dans la pièce, cherchant ses cigarettes, tandis qu'elle continuait à parler. Virgile se surprit à apprécier la tonalité de sa voix.

" Je n'ai jamais rencontré de divinité " dit-il enfin, tout en plantant une cigarette entre ses lèvres.

Il posa le paquet prés de Miya, l'invitant à en prendre si elle s'en sentait l'envie.

" Je pensais que rencontrer des vampires était devenu le lot quotidien de la population de Seikusu " continua t'il. " J'en ai croisé tellement, depuis que je suis ici ... "

Le médecin soupira. Il n'avait croisé que des connards présomptueux, qu'il apparentait plus à des vandales qu'à de véritables vampires. Des créatures qui tuaient allégrement, sans envisager la cohabitation.

" ... De sombres idiots " murmura t'il. " Je fréquente peu mes semblables. Trop sanguinaires, trop cruels, trop sadiques, trop imbus d'eux-même ... "

Même Yume s'était faite agresser par un vampire. A qui Virgile s'était chargé de couper plus que les parties. Ce n'était qu'un jeune con, alors que lui avait l'expérience des siècles. Puis il se revint vers Miya, s'installant à nouveau sur le fauteuil. Sa main trouva furtivement la sienne, pour se loger ensuite contre son poignet, puis sur son front. Chaque geste était méthodique. La médecin prit patiemment son pouls, tâtant par la même occasion la tiédeur de sa peau. Elle allait bien. En tout cas, bien mieux. Si les battements de son cœur étaient encore faibles, et si son front était encore chaud, c'était normal. Elle se remettait lentement de ses émotions.

" Je suis médecin, Miya. Je sauve les gens. "

Dit-il finalement, se reculant pour fumer à nouveau.

Au moins, leur rencontre était inédite pour eux deux... Bien que Miya ne soit pas tout à fait une divinité, évidemment, seulement en partie. Cependant, elle ne dit rien à ce propos, préférant laisser Virgile se faire sa propre idée d'elle, ou bien attendant qu'il lui demande des précisions. en tout cas, Elle se rendit compte qu'elle ferait une bien piètre divinité, dans le cas où celles ci pourraient être autre chose que des abrutis imbus d'eux mêmes et égocentriques au possible. Elle tendit la main vers le paquet de cigarettes, avant de stopper son geste : hum, il ne ferait pas bon de fumer déjà...


Virgile lui apprit l'existence d'autres vampires dans la ville, au point qu'elle en eu un frisson : non, jamais elle n'en avait rencontré d'autres, ou du moins, ils n'avaient pas tenté de la dévorer... Et elle fut surprise d'entendre le murmure de Virgile, ses commentaires acerbes et sans doute blasés sur ses semblables. Etait-il donc... réellement différent des autres ? De cette image que l'on se faisait aujourd'hui des vampires ? Etait-il de cette génération de vampire gothique, dandy ? Miya l'observa réellement pour la première fois, et constata qu'une fois toute peur désertée d'elle, il... n'avait rien de terrifiant. Virgile semblait coincé dans une autre époque, bien entendu, faisant de lui un original, sans doute, aux yeux de la société. Mais non, il n'était surement pas sanguinaire comme elle se l'était imaginé... et même persuadé... Elle sursauta cependant légèrement quand il lui prit la main, vérifia son pouls, et la température de son front. La demi déesse était restée coite, trop surprise pour esquisser le moindre geste.


Il était médecin, lui rappelait-il. Elle fronça le nez, et détourna légèrement le visage, rétorqua :


- Je ne suis pas une patiente commune. Mon coeur bat seulement parce que je me raccroche à une vie de mortelle en me forçant à respirer. L'orage... ... est parti. Cela suffit à ce que je me sente mieux.


L'air était bien moins lourd, et Miya moins oppressée ; il n'y avait plus ce poids sur son coeur, et au creux de son estomac, ni la douleur de la mort qui vous étreint, vous relâche, pour mieux vous étouffer à nouveau. Son regard revint vers l'homme qui fumait.


- Je... Ne sais pas comment vous remercier, Docteur.


C'était un demi mensonge. Miya avait bien une idée en tête, mais ne pouvait se résoudre à lancer : "Hey, mordez moi, après tout, je ne mourrai pas de votre morsure !" Car l'autre soir, elle avait eu peur, oui ; elle avait été terrifiée par ce qui s'était passé. Mais il y avait eu autre chose, qui la hantait ; quelque chose d'indéfinissable qu'elle souhaitait ressentir à nouveau. Elle avait frôlé la mort, ce soir, et elle en redemandait presque : rien de tel pour arrêter de se croire invincible, et se sentir tellement vivante... Elle baissa le nez, et finit par se lever. La chemise de nuit suivait le moindre de ses mouvements alors qu'elle se dirigeait jusqu'à la fenêtre, tirant un peu les rideaux pourpre pour regarder au dehors. La nuit avait ce petit quelque chose qui apaisait son coeur... Le tissu toujours tenu dans une main, elle se retourna vers Virgile :


- Merci pour tout. Je regrette ce que je vous ai dit, l'autre jour... J'étais tellement obnubilée par... Votre condition... Et la peur que cela m'inspirait, que je n'ai pas vu, ou je n'ai pas voulu voir, la personne que vous étiez réellement. Si je peux quoi que ce soit pour vous, je me ferai une joie de vous rendre la pareille.

- Dites-moi qui vous êtes.

C'était un ordre souple, prononcé calmement, alors que le vampire expirait une épaisse fumée blanchâtre. Il ne prenait même pas le temps de poser une question aimablement, avec ce qu'il fallait e délicatesse. Sa curiosité était bien trop forte. Elle s'était étendue dans tout son esprit, au point qu'il souhaite savoir qui elle était vraiment. C'était sans doute un excès d'altruisme impromptu, voir une foutu curiosité qu'il ne savait même plus contenir. Mais bon. Il avait devant elle une femme qui était passé du statut de victime à celui de patiente. De plus, il ne pouvait se permettre de la mordre à nouveau, sentant presque qu'il s'attachait à elle. Qu'on le croie ou non, le vampire avait tendance à s'attacher aux humains, cherchant à s'accaparer leur empathie. Ce qui était, il fallait l'avouer, bien complexe ... Beaucoup d'humains avaient peur de la mort, alors que lui avait ignoré son existence. Parfois, il oubliait même que certaines créatures pouvaient s'éteindre.

Il tira une nouvelle bouffée de tabac, retirant un instant ses lunettes.

- Navré de cette ... intervention abrupte.

Virgile secoua la tête, s'excusant, avant de s'asseoir sur le bord du lit.

- Vous n'êtes ni une déesse, ni une vampire, alors je me demande quelle immortelle vous pouvez être. Voilà tout. Je suis curieux.

La cigarette mourrait entre ses doigts, aussi l'écrasa t'il prestement dans un cendrier, achevant ensuite de boire son thé. Les saveurs de cette boisson lui rappelait tant de choses ... Il releva les yeux vers elle, debout face à cette fenêtre. Cette femme semblait être quelque peu meurtrie, nostalgique. Ou peut-être que les immortels étaient voués à être éternellement mélancoliques, comme une malédiction. Jamais ils ne pourrait oublier.

Virgile reposa sa tasse, sans quitter des yeux son hôte.