Virgile ne put s'empêcher de rester ébahi devant cette apparition. On lui avait parlé d'une femme qui voulait un rendez-vous de toute urgence, il avait maudit les Japonaises aux allures de princesses et de nobles dames, qui n'étaient en réalité que des gamines aussi capricieuse que des enfants en bas-âge, mais avait accepté ce rendez-vous. Il ne manquait pas d'argent, mais il était curieux. Le rendez-vous fut fixé en fin de journée, à l'heure où, habituellement, il fermait ses portes et partait se prélasser dans un bain brûlant, un verre de vin entre les doigts. Le Dr Lawton était un homme occupé, et son cabinet croulait sous les rendez-vous. Habituellement, il fallait attendre un mois avant de pouvoir être reçu chez lui. Mais, pour cette fois, il ferait une entorse au réglement. Virgile inspecta la grande vitrine aux allures de cabinets de curiosité, derrière lui, et elle entra. Dés qu'il la vit, il resta immobile, son visage ne trahissant aucune émotion. Puis il eut un sourire.
- Eleina, je suppose ?
Le sourire grandit, puis retomba. Il l'invita à s'asseoir, et encaissa ses questions sans vraiment répondre. Son café se reposait sur son bureau, embaumant les lieux de son odeur si caractéristique. Il lui arrivait de boire du café, oui. Le thé à tout bout de champs, au bout de 2 siécles, c'est franchement lassant. Quand elle termina son discours, il joignit les mains sur la table, sans répondre. Le silence s'installa pendant quelques secondes, qui semblérent aussi lourdes que des poignées de sable.
- Je ne suis pas Dieu.
Fut sa seule réponse, avant qu'il n'admette un sourire, à nouveau, sur son visage. Pour cette fois, ses longs cheveux étaient détachés, coulant sur ses épaules.
- "Le monde est cruel. Et la seule chose morale, dans un monde cruel, c’est le hasard. Impartial. Equitable. Juste."
Récita t'il sans cesser de sourire. Le docteur sépara ses mains, pour venir attraper sa tasse de café. Il en but une gorgée, puis reposa sa tasse sans aucun bruit. Virgile avait appris la discrétion ... C'était une nécessité, pour quelqu'un comme lui.
- Je vous ais choisis par hasard. Vous êtiez là, j'avais besoin de votre sang, et je me suis servis. Sans aucun scrupule, certes, mais ... Jamais je ne permettrais de mordre un de mes patients. Ce serait une grave faute professionnelle, et ... Je ne peux pas juger quelqu'un. Je ne peux pas choisir de tuer une personne comme ça, parce que je juge qu'elle est un cas désespéré. Je préfére le hasard ... Il m'embarrasse moins.
C'était un fait. Et puis, tuer un de ses patients voudrait dire " plus de sous ". Il avait beau être humaniste, il n'était pas naïf pour autant.
- Quant à hier soir ... J'avoue ne pas avoir compris ma réaction.
Un sourire, à nouveau, peut-être un peu gêné.
- Je ne veux pas avoir à tuer quelqu'un à qui j'ai parlé ... Cela me déplaît. Une inconnue, oui, mais une femme qui chante, non. Je ne pourrais pas me le pardonner. Croyez-moi ou non, je suis sensible.
Et il trancha, enfin, sur un ton loin d'être douceureux.
- Je ne suis pas un monstre. Je ne tue pas pour m'amuser, comme le font certains, mais pour me nourrir. Comme tout le monde le fait, ici-bas. Je ne veux pas me priver de cela, au nom d'une morale qui n'arrange que certaines personnes. Je suis un damné. Je me débrouille comme je peux.