"-je regrette tellement que vous m’ayez kidnappée hier soir !"
"Allons, mademoiselle, vous êtes simplement ébranlée, vous dite des sot—"
Je ne parviens même pas à finir ma phrase qu'elle s'élance de nouveau.
" Je n’ai pas signé pour ça. Je veux une prime de risque. Une prime d’assurance santé. Une prime pour dommages moraux. Une prime pour avoir survécu sans faire de crise cardiaque. Et une prime pour ne pas vous vomir sur les chaussures à l’heure actuelle, et je veux l’accès complets aux Livres que je dois traduire."
Je dois l'admettre, encore une fois, me voilà stupéfait. Pis encore, je suis tout simplement sans voix devant la témérité que cette jeune femme démontre lorsque confronté avec une menace mortelle. Est-elle sincèrement en train de négocier un contrat d'embauche en plein raid, alors que sa vie est en danger? Sans même parler de l'arrogance même de faire des demandes à l'homme qui dirige une organisation suffisamment puissante pour enlever une jeune femme en pleine rue et faire passer cet événement pour un arrêt médical au reste du monde, c'est tout simplement inconcevable; elle est une otage, une prisonnière, et si je la traite comme une invitée, tel est mon choix, mais assurément pas le sien.
Une part de moi, la part qui se dit supérieur aux humains, supérieur à tous, finalement, manque d'éclater et je songe même à user de Dominance sur elle pour la forcer à fléchir et à m'obéir, ou même de Présence pour l'envoûter à ma personne. Deux réactions qui auraient été, pour un autre vampire, parfaitement justifié.
La part qui triomphe, cependant, est celle, plus humaine, qui me pousse à éclater de rire. Rire à me plier en deux. Un rire qui, aurais-je eu un corps fonctionnel, m'aurait fait mal au ventre et aux côtes. Je ne peux m'arrêter, jusqu'à ce que j'essuie une larme écarlate coulant au coin de mon œil.
"Ah, hah… haaaah… Caine, je crois que je n'ai jamais entendu autant de peur et autant de bravoure dans la même voix. Tu as entendu ça, Vanessa?"
Elle hoche simplement de la tête; elle a des oreilles, donc oui, elle a entendu.
Je sors un mouchoir de ma poche et j'essuie le sang au coin de mes yeux, et sur mes lèvres.
"Une captive qui demande salaire et bonus… Ah, quelle époque. Quelle époque." Je ramène mes yeux sur la gorgone, et je souris, mais sincèrement. "Très bien, Cypress. Très bien."
Je m'approche d'elle et, voyant qu'elle ne semble pas près de se relever, je glisse un bras sous ses jambes, l'autre autour de son tronc, et je la soulève de terre en laissant sa tête reposer contre mon épaule.
"On vous fera un vrai paquetage d'embauche. Avec un salaire, une déclaration d'impôt, une prime de risque, des assurances et un généreux bonus d'embauche pour le reste de vos malheurs. Pour ce qui est d'avoir accès aux Livres… on s'arrangera. Vous comprendrez qu'il me serait déplaisant de m'en départir après avoir risqué si cher pour les acquérir."
Voyant que les émotions commençaient à retomber, et qu'elle risquait de s'évanouir à tout moment, je lui souris et je lui pose la main sur les yeux.
"Vous pouvez vous évanouir, maintenant."
***
Les heures suivantes se déroulèrent assez rapidement. Hadrian escorta Cypress et, comme il l'aurait fait pour un trésor, la mit en sécurité dans son appartement. Tout comme la chambre de Cypress, celle-ci jouissait d'un renforcement en ciment ainsi que d'une porte blindée dans laquelle rien ne semblait passer. Une ventilation quinze fois filtrée pour éviter qu'aucun contaminant dans l'air ne se rende dans la résidence émettait un léger ronronnement dans les murs, mais rien d'envahissant.
L'appartement d'Hadrian était divisé en six pièces; le salon, bien sûr, dans lequel Cypress fut laissée, puis une chambre des maîtres, doublement sécurisés par l'absence de fenêtres et une porte renforcée, qui ressemblait donc davantage à un coffre-fort qu'à une chambre, hormis les décorations. À côté de la chambre, la salle de bain, qui était tout simplement impeccable, comme si jamais utilisée, et nettoyée religieusement, et à côté encore, une grande cuisine tout équipée et qui, encore une fois, ne semble jamais avoir servi. De l'autre côté, une autre chambre, celle-ci également sécurisé, mais avec un petit lit, petit bureau, une bibliothèque et des jouets; c'était la chambre de Lilyanne. Son occupante n'étant pas là, probablement de sortie pour se nourrir ou pour donner un signe de vie aux quelques institutions le requérant. À la gauche de cette chambre, le grand bureau d'Hadrian, dans lequel un nombre très restreint avaient été conviés.
Contrairement à son bureau officiel, situé dans l'aile ouest, le bureau personnel du vampire était plongé dans l'obscurité et dans le silence, avec un grand bureau en bois sur lequel se trouvait un moniteur, clavier et souris. Dans la pièce se trouvait quelques articles soigneusement conservés dans une petite chambre de verre personnelle; une dague de laquelle coulait du sang "frais", une coupe fragmentée en deux qui se déversait continuellement dans un drain, comme une fontaine, et, finalement, une étagère en pierre couverte d'une grande vitre en verre. Rangé précieusement sur les étagères se trouvaient des livres uniques et, contenu dans un grand rouleau enfermé dans un tube de protection, se trouvait le Livre de Noah.
Après avoir placé le tube de protection dans un lecteur, Vanessa expliqua le fonctionnement; comme le matériau dont était composé ce Livre était fragile et susceptible de se désintégrer, il était impossible de le lire directement. Le Lecteur, lui, utilisait une forme de radiation qui détectait le contenu d'une page, et un ordinateur s'occupait ensuite de traduire le rayonnement pour créer une image qui réflétait ce qui était écrit sur le rouleau.
Après tout, hormis la pierre, il existait peu de matériaux qui traversait les âges.
Mais, malgré ce désagrément, Cypress avait maintenant accès au Livre de Noah.
Lorsque dix-huit heures frappa, la porte s'ouvrit de nouveau, et entra alors Hadrian, couvert de la tête aux pieds de sang.
***
Je n'ai jamais vraiment mal. Je n'ai d'ailleurs pas souvenir d'avoir déjà été suffisamment blessé pour justifier une protestation quelconque, du moins depuis avoir rejoint les Caïnites. J'adresse à peine un regard à Cypress ou à Vanessa, donnant un ordre à cette dernière de foutre le camp sans lui adresser un mot, retirant mon veston, ma chemise, ma cravate et laissant le tout retomber dans le salon en me dirigeant vers la salle de bain, passant une main dans mes cheveux poisseux de sang, de poudre à fusil, de plâtre et de poussière. Une fois dans la salle de bain, je retire ce qui me reste de vêtement et je m'effondre sur le siège de la douche, et j'active tous les jets à fond, me faisant assaillir d'eau de tous les côtés. Le sol blanc vire au rouge, et je me frotte vivement le crâne pour me débarrasser de de la souillure qui s'y trouve. Putain de Tzimisce.