Deirdre observe la ligne tracée par le colosse, et malgré la tension, un éclat amusé traverse son regard. Voilà un être qui ne connaît guère les demi-mesures. On aurait dit sa Main d’Argent lorsqu’elle était encore dans son monde. Une arme de destruction massive, dit-il ? Elle n’en doute pas, mais parfois, une parole bien placée peut frapper plus fort qu’une hache.
Elle s’avance d’un pas, se place aux côtés du mouflon et plante son regard clair dans celui de l’homme qui menace l’enfant.
“Vos lois, dites-vous ?” *lance-t-elle, sa voix projetant une clarté qui traverse le tumulte.* “De bien étranges lois que celles qui frappent un enfant affamé, mais tolèrent qu’un adulte s’en repaisse de cruauté.”
Elle désigne du menton le gamin, réfugié dans l’arbre, puis le capitaine.
“Voilà donc votre justice ? Pendre un enfant et sourire en le condamnant ? Si c’est là le visage de votre ordre, alors je préfère le chaos.”
Un murmure parcourt les gardes. Certains gardes échangent des regards, troublés. Une hésitation s’installe. Mais déjà, d’autres — les plus brutaux, les plus prompts à obéir sans réfléchir — s’avancent, armes brandies, vers le plus agité des deux protagonistes, tandis que trois soldats décident de sauter sur celle qui paraît humaine, pensant surprendre cette frêle silhouette qui n’a même pas encore tiré ses lames.
L’hybride, imperturbable, ne fait qu’un mouvement. Ses mains se dégagent de sa cape, et dans un éclat d’acier vif, ses lames jaillissent enfin de sa ceinture, dégageant une aura glaciale et venteuse.
La mercenaire fait reculer les assaillants d’un seul geste circulaire, l’acier sifflant dans l’air, puis se redresse de toute sa hauteur.
“Vous prétendez défendre la cité, mais je ne vois qu’un homme avide de sang. Et sachez-le : je ne laisserai personne poser la main sur ce gamin. Si vous franchissez cette ligne, vous ne trouverez pas seulement la colère des dieux… mais aussi la mienne.”
Puis, se tournant légèrement vers son interlocuteur, ses lèvres esquissent un sourire léger, presque complice.
“Quant à toi, ô grand destructeur dont je ne connais pas le prénom… laisse-moi donc jouer un instant du scalpel, comme tu dis. Si la persuasion échoue, alors ta hache fera le reste.”
Elle fait un pas en avant, ses deux lames abaissées mais prêtes, son port altier rappelant moins une guerrière fatiguée qu’une championne invaincue.
“Maintenant, messires, moi Deirdre, commandante de la Guilde des Mercenaires d’Argent, je vous le demande une dernière fois. Qui de vous osera se dire juste, et lever la main sur un enfant affamé ?”
Les trois gardes s’élancent sur elle, sûrs de leur avantage. Mais Deirdre se meut déjà. Son corps fluide, précis, esquive la première attaque avec la grâce d’un souffle de vent. D’un pivot sec, elle crocheta la jambe du soldat et, d’un revers de lame, fit voler son épée hors de ses mains. Il tomba lourdement, sonné mais vivant.
Le second, plus hardi, lève sa hallebarde. Deirdre ne recule pas. La demi-ange glisse sous le coup, dans un mouvement, une rapidité presque irréelle, et pose Charybde, froide contre la gorge de l’homme. Elle n'appuie pas. Son regard, clair et dur, suffit à le figer.
Quant au troisième, il hésite. Trop tard. D’un geste vif, elle fait claquer le plat de Scylla sur son poignet, lui arrachant un cri de douleur. Son arme tomba dans l’herbe. D’un coup de pied sec, Deirdre l'envoie rouler à plusieurs pas de là.
En un souffle, la mercenaire a neutralisé trois hommes sans verser une goutte de sang. Elle recule d’un pas, ses lames toujours levées, et laisse le silence retomber comme un couperet.
“Voilà.” *dit-elle calmement, sans même reprendre haleine.* “Trois de vos meilleurs soldats à terre en un instant… et je ne leur ai pas ôté la vie. Réfléchissez donc à ce que je ferai si vous osez franchir cette ligne."
La guerrière abaisse légèrement ses lames, mais sa posture demeure altière, inébranlable. Son regard brille d’une étincelle presque espiègle lorsqu’elle jette un coup d’œil à Barbak.
“À toi, colosse, de leur montrer ce que peut une montagne quand elle s’ébranle.”
Un silence pesant s’abat après la fulgurante démonstration de Deirdre. Trois gardes gisent au sol, grognant de douleur mais indemnes, leurs armes éparpillées autour d’eux. Le reste de la troupe, figé, n’ose ni avancer ni reculer. L’aura glaciale du mouflon, conjuguée à l’élégance tranchante de la semi-fée, rend l’air presque irrespirable.
Dans la foule, un vieil homme qui a tout vu porte une main tremblante à sa bouche. Ses yeux s’agrandissent comme ceux d’un enfant. Puis, sans attendre, se met à courir à toutes jambes vers le cœur du village, sa voix chevrotante perçant l’atmosphère tendue :
“Par les Dieux ! Deux étrangers ! Deux étrangers qui défendent un des orphelins !”
À ces mots, des murmures s’élevèrent. Les villageois, d’abord pétrifiés, échangent des regards. Les uns se signent comme devant une apparition divine, les autres hochent la tête avec un mélange d’effroi et de respect. L’histoire prend racine — déjà, elle se propage comme une traînée de poudre : les étrangers, la jeune femme aux lames de lumière et le colosse de pierre, se sont dressés contre l’injustice.
Face à eux, une partie des gardes se raidit, leurs pas hésitants les menant malgré tout vers la ligne tracée par le plus provocateur des deux. L’avidité dans leurs yeux les pousse plus que le devoir. Mais d’autres, troublés, baissent la pointe de leur arme. Pour certains encore, la voix de l’innocence crie en eux, plus forte que l’ordre d’un supérieur.
Deirdre, ses lames encore levées, perçoit cette hésitation. Elle laisse un mince sourire fendre son visage :
“Vous voyez ? Même parmi vous, certains savent encore distinguer le bien du mal. Faites comme eux. Posez vos armes, ou jurez que vos mains ne seront pas salies par le sang d’un enfant.”
Son regard clair défie les plus intrépides de franchir la ligne, intrépides au nombre de six qui franchissent quand même la ligne, tandis que dans leur dos, l’écho du vieil homme s’éloigne déjà, répandant leur intervention dans le village comme un feu sacré.