Les choses s'accéléraient. Wakyu avait bien prévenu Saïki que les choses allaient devoir se faire, mais il n'avait pas vraiment posé de date. Qui pouvait vraiment voir le futur, après tout ? Même un archidémon ne le pouvait pas. Alors, évidemment, les choses s'accéléraient, soudainement, rapidement, et s'il savait que l'idole voulait absolument rester sur le devant de la scène, il savait aussi que c'était, pour elle, un renouveau, un nouveau départ, et, par certains aspects, aussi stressant et perturbant que son premier départ. Il pouvait sentir le risque, à ce stade : elle pouvait bien choisir de se retirer, se dire que tout ça n'était qu'un acte d'orgueil, ce qui n'était pas tout à fait faux, compter ses avoirs et juger qu'elle vivrait bien jusqu'à la fin de ses jours en s'occupant avec un compte social, ce qui était certainement vrai ; mais Asmodée ne venait pas sur Terre pour de petites ambitions et il savait qu'elle irait jusqu'au bout.
Et, s'il le fallait, il lui donnerait le coup de boost nécessaire. Après tout, elle était maintenant assez engagée avec lui pour qu'il puisse songer à l'influencer plus régulièrement.
Rajeuni de cinq ans au moins par les talents d'une maquilleuse surmenée, Wakyu rejoignit finalement la belle à cinq minutes du top, et la tension était à son comble. Ce nouveau départ n'était, effectivement, pas une mince affaire.
Mais il savait comment gérer ce genre de pression. Voyez-vous, amours et ambitions partageaient bien des choses, et il fut un temps où Asmodée était un ange chérubin, agent de Cupidon, patron des amoureux. Et une ambition saine, comme un amour sain, se devait d'être séduisante et prometteuse. Personne ne s'attachait à la médiocrité. On pouvait s'accrocher à la souffrance si elle apportait suffisamment, mais pas à l'ennui.
Alors, face à l'idole angoissée, l'agent sourit et passa des mains apaisantes sur ses bras nus, un regard serein dans le sien. Une vague d'assurance vint relaxer Saï, moitié spontanée, moitié influencée par la volonté du démon caché sous les traits communs de l'homme qui lui faisait face.
"Sois juste honnête, Saï. Le statut d'idole ne te collait plus, tout le monde est d'accord avec ça. Tu n'es plus une enfant et il est temps de le reconnaître. Ne rejette pas ton passé, ne critique pas le système, ne parle pas d'ambitions : ce n'est pas ce qu'ils veulent. Parle de toi et de ce qui est bon pour toi ! Le public a de l'affection pour toi, il te suit depuis si longtemps ! Il te soutiendra, crois-moi."
Un sourire plus appuyé, un bref exercice de respiration spontané, et ils étaient déjà interrompus par le chef.
"C'est le moment, allez vous installer. Jingle dans 30 secondes ! La régie a terminé ce montage ?!"
Wakyu regarda l'homme filer, se retourna vers Saïki et hocha la tête, confiant.
Et ils entrèrent tous les deux sur scène.
Le temps de se faire à l'éclairage et à leur nouveau cadre flashy et énergique, ils étaient assis sur des fauteuils côte à côte. Le jingle démarrait et un écran laissait voir le direct. Après un bref écran-titre, un narrateur faisait un bilan surexcité des événements ayant conduit au changement brutal de programmation. Dans la tradition japonaise, des images du récent esclandre succédèrent à un photo-montage radieux de Toshiro et sa nouvelle star, des visages de personnages d'animé hilares ou sidérés cachant ce qu'on ne pouvait pas montrer. Gouttes de sueur et observations piquantes en police rondouillarde et colorée réhaussaient le caractère odieux du moment.
Lorsque Saïki apparut pour tancer Toshiro, elle était mise en scène comme une figure divine jetant un sort au misérable bonhomme nu comme un ver.
C'était certain : le show business japonais était impitoyable. Les égéries d'il y a une heure étaient devenus des parias en trente secondes.
Puis, un fondu ouvrit sur le visage resplendissant d'amusement de Reika Murakami, qui annonça le nouveau programme comme la banderole s'ouvrait à l'écran.
"Bonsoir à tous ! Bienvenue à vous qui nous regardez ! Ce soir, des invités imprévus et inattendus sont venus remplacer au pied levé nos invités précédents après un... malheureux accident de loge."
Un effet sonore clownesque et un public complice soutinrent la boutade de qualité moyenne de la journaliste, qui devait son succès à d'autres qualités fort heureusement.
"Merci à vous deux d'être venus ! Nous avons M. Kanda... "
"Merci, Reika, ravi d'être ici."
Wakyu fit une courbette souriante sur son fauteuil.
"Il est le nouvel agent-surprise de la star de cette soirée, Saïki Nakamura !"
Le public se leva en tapant dans les mains et se laissa même aller à quelques vivats. Saï pouvait évaluer sa cote à l'aune de cette réaction et réaliser qu'elle n'était ni oubliée, ni has been. De son côté, Wakyu se tourna vers elle en se joignant à eux.
"Tu vois bien qu'ils n'attendent que toi."