« Je vois. »
Sayako n’a jamais été une femme très ouverte d’esprit. Élevée par des parents traditionnalistes, elle ne n’a jamais aimé Mona. Vieille fille, personne ne saura jamais si c’est parce qu’elle est excédée par ses manières outrancières ou simplement parce qu’elle l’envie d’être aussi libre.
Mais son âme de jeune femme à rosit et s’est réchauffé devant la montagne de muscles. Sayako est surtout habituée aux types à l’air intellectuel que possèdent certains écrivains. Ou alors aux extravagants maigrelets qui passent dans les couloirs, errant tels des fantômes. Elle ne supporte personne si ce n’est elle-même et encore. Mona dirait l’inverse.
« Veuillez me suivre. »
Il y a encore du monde, qu’ils croisent. Sayako a une démarche déterminée. Mais tandis qu’elle dirige les pas de Johnny, elle semble plus légère, presque…sensuelle. Cela ferait beaucoup rire notre écrivain.
« Vous avez gagné le concours ? Félicitation… »
Ce ton qui désapprouve tout ce qui porte la marque de Mona. Sayako attend que les portes de l’ascenseurs s’ouvrent sur le dernier étage. Elle tient le carton d’invitation que Johnny lui a tendu plus tôt, le serrant contre sa poitrine.
« Madame Duval n’est pas encore là… » Est-ce surprenant, a-t-elle envie d’ajouter. « Mais elle ne devrait pas tarder. » C’est dit comme à contre-cœur. « Installez-vous…la salle est à vous. » Sayako est presque gentille dans ses paroles. « Je vous souhaite une bonne soirée. »
Elle s’éclipse, laissant Johnny seul au dernier étage. Une vaste pièce, sous le toit du bâtiment. De hautes vitres en constituent les murs, avec un accès à une petite terrasse. L’immeuble, de style européen, ne plaît pas à tous les japonais qui vivent par ici. Une table est dressée près de la porte ouverte du balcon, pour deux personnes. Un coin est meublé confortablement, d’une causeuse et d’un fauteuil, avec une petite table où est déjà dressé l’apéritif. Tout est décoré de sorte à donner un avant-goût du prochain roman de Mona.
L’histoire d’une jeune aristocrate qui faute avec une domestique et se trouve abaissée au rang d’esclave. Et pour ce soir, l’écrivain est allé jusqu’à enfiler
des vêtements qui rappellent l’héroïne dont un croquis a été posté sur son compte instagram.
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« Et donc toi, dans ta grande capacité à réfléchir, tu t’es dit qu’une rencontre avec un fan, était une bonne idée. Après TOUT…et je dis bien TOUT, ce qui t’es arrivé ces derniers temps ? Mais t’es malade Mona ? »
« Malade. Ce sont exactement les mots de ma psy. »« Sérieux ?...Mona. Elle n’a pas le droit de…je suis un ami, mais elle, ce n’est pas très… »
« Professionnel ? Je déconnais. Elle ne l’a pas dit comme ça, mais à son ton, c’était comme si elle m’avait craché au visage. Je vais changer de psy. »« Mona…est-ce qu’on peut revenir à notre conversation ? »
« C’était un monologue et tu avais terminé. Je te laisse. Bye. »Je raccroche et lance mon portable dans le lit. J’ai envie de tous les envoyer chier en ce moment. Depuis l’agression, ils me traitent en victime. Ils me parlent comme si j’avais le cancer et qu’il ne me restait pas beaucoup de temps à vivre. Ou alors, comme si j’étais la seule survivante d’un genre de Massacre à la tronçonneuse. Je déteste la manière qu’ils ont d’arrêter de parler lorsque j’entre dans la pièce. Ces regards dégoulinant de compassion…et ils ne savent pas ce qu’ils veulent…
Je me redresse, jette un regard à la fille fatiguée qui me rend le mien. Elle est la seule à savoir que je dors peu en ce moment. La seule à savoir que je bois trop. La seule à savoir. Elle est aussi la seule à savoir qu’il m’arrive de pleurer la nuit et d’ouvrir la fenêtre en me demandant si sauter ne serait pas une solution. Je lui souris. Elle me sourit aussi. Mouchetée de laque séchée. Je dois vraiment laver ce miroir.
Mon entourage veut que je me remette. Ils m’ont fait chier tous les jours depuis que j’ai osé leur parler de ce qui m’est arrivé. J’ai dû leur faire promettre de ne pas en parler autour d’eux. Je ne veux pas passer à la télévision et dans les journaux et que la misère que je vois dans les yeux de mes amis, devienne celle que je recevrai des milliers, peut-être plus, potentiellement moins, de téléspectateurs qui regarderont si oui ou non « elle va enfin se mettre à pleurer ! ». Avides, immondes, des détails croustillants de l’agression. Les gens veulent rêver et pouvoir se dire que leur merde est moins grosse que celles des autres. C’est rassurant.
Mon entourage veut que je me remette, mais sous certaines conditions, qui changent en fonction de l’interlocuteur. Il y a ceux qui me disent de porter plainte et retrouver la personne qui m’a fait ça. Il y a les autres, qui pensent que je devrais faire l’autruche et recommencer à sortir. Qu’une femme ne doit pas avoir peur de sortir de chez elle sous prétexte qu’un jour, un homme, quelque part, l’a choisie elle plutôt qu’une autre. Et il y en a d’autres. Je pourrais en faire un livre.
Le Soleil se couche déjà. La conversation que j’ai eue avec mon ancien assistant me reste en travers de la gorge. J’ai été habituée à son soutien. Même lorsque je faisais de la merde, il était là. Il me soutenait. Pourtant, dés qu’est parue l’annonce du concours pour un repas avec moi, Jona à bondit sur son portable pour m’insulter à distance. Peut-être est-il simplement inquiet. Mais pour le moment, je suis bien trop déçue par ce manque de soutien pour m’en rendre compte.
Le manque de soutien. Il hurle aujourd’hui. Tout le monde désapprouvait cette idée. Absolument tout le monde. Ils ne veulent pas et ne peuvent pas comprendre que c’est ma façon de reprendre confiance. Je ne veux pas devenir comme ces victimes d’agression qui ne peuvent plus jamais sortir de chez elle. Qui ont si peur, qu’elles s’enferment à double tour et qu’aucun homme ne peut approcher. Je ne dis pas que je ne les comprends pas. Je dis simplement que je ne veux pas leur ressembler.
Ce soir, j’ai rendez-vous avec Johnny. Un jeune homme que j’ai contacté après que son nom soit sorti lors du concours. Je suis allé voir qui il est. Je ne veux pas de mauvaise surprise. J’ai beau être « malade », je ne suis pas inconsciente. J’ai fait les choses bien.
Quelques échanges sans plus d’importance que ça. Nous débattions en toute légèreté. C’était sans importance, mais moi, j’aimais ces petits moments dans la journée, parfois la soirée. Ou même la nuit, lorsque le sommeil refuse de venir me soulager. Je ne vais pas mentir et bien que je m’attarde sur la personnalité de quelqu’un, du moins en amitié, pour le reste, l’extérieur ne peut être ignorer. Et celui de Johnny, ce qui s’affiche sur ses photos, est terriblement alléchant.
« Tu es bientôt prête Mona ? »
« Oui… »« Si tu ne veux plus…on peut annuler. »
Elle est belle Tamiko. Ses cheveux noirs, lisses. Un carré structuré, une frange épaisse au-dessus de deux yeux qu’elle habille de couleur au gré de ses envies. Aujourd’hui ils sont lavande.
« Non Tami. Et puis…regarde. »« Mmm ? »
Elle s’approche dans un nuage de Jasmin. Tamiko est japonaise. Homosexuelle, rejetée par sa famille, ses amis, elle a atterri dans un bar que je fréquente régulièrement. Puis elle a atterri dans mon lit. Amantes, puis amies…avec quelques privilèges. Tamiko fait les meilleurs cocktails du monde. Et ce n’est pas ma bite qui parle !
« Mouais. Pas mal. Pas mal du tout dans son genre. Et puis il a des gros seins. »
« Idiote…sérieusement. Tu penses que c’est vraiment lui ? »Tamiko se penche au-dessus de mon épaule et regarde l’écran de l’ordinateur. Je sens ses seins, faux, lourds, peser contre mes omoplates et j’ai beau être une femme, j’ai la sensation de me sentir à l’étroit dans mon short.
« Il a peu d’abonnement pour un tel physique. On ne voit pas forcément…son visage sur toutes les photos et…franchement Tami. Tu ne penses pas que ce pourrait être un montage ? »« Si tu penses que ça craint Mona. N’y va pas. »
Ferme dans ses propos. Aussi ferme que ses seins ne sont moelleux et chauds contre moi. Ce doit être une maladie cette obsession. Je la sens croiser les bras en se redressant. Elle me prive de sa chaleur, car elle aussi, elle trouve qu’au fond, c’est stupide cette histoire. Toute cette histoire. Car Tamiko, ici présente, pense qu’il faut que j’engage un détective et fasse retrouver le monstre qui m’a fait du mal. Elle me l’a dit, la première fois, avec tant de fermeté dans la voix. Sans ciller. « Engage ensuite quelqu’un pour te débarrasser de tes cauchemars. » Et son sourcil droit se haussant disait « Si tu vois ce que je veux dire. » Je vois. Et je ne veux pas en arriver là. A quoi bon. Je déteste la violence et cela ne ferait qu’engendrer plus de violence. D’autant que mon agresseur est quelqu’un de dangereux. Ça, c’est quelque chose dont je suis sûre.
« Alors Mona ? Tu t’es décidée ? »
« Oui. Je vais y aller… »Tamiko est totalement nue désormais. Allongée en travers de mon lit, les jambes écartées, elle me regarde me préparer. Je me lave les mains et les sèche lentement, tout en reprenant.
« Ce qui est fait est fait. Et puis…Johnny…nous avons discuté ces derniers temps. Je ne me vois pas…tu vois. »« Lui poser un lapin ? »
« Tu imagines ? S’il aime vraiment ce que je fais, il va se dire que l’auteur de ses nuits est une petite arrogante qui pète plus haut que son cul. »Je fouille dans ma penderie, essayant de ne pas laisser mes yeux errer sur le matelas. Car je sais qu’autrement, je serai en retard à mon rendez-vous.
« Et tu veux savoir si c’est un fake ? »
« Et…je veux savoir si c’est un fake. »« Le manger comme un cake s’il est mignon ! »
« Tais-toi ! »Elle reçoit la robe en plein visage et rit en retirant le morceau de satin blanc de sa tête. Du bout des doigts, elle la lève pour l’observer. La juger. Puis elle me regarde, avec un sourire amusé. Je me bats pour parer ma peau pâle d’or. De fines chaînettes que j’ai choisie pour une raison bien précise.
« Tu sais que c’est quand même vachement…sexy
tes bijoux là ? »
« Tu ne trouves pas ça vulgaire ? Pour une fois… »« Viens…tu sais bien que je dis souvent des bêtises. »
Insatiable Tamiko. Lorsque je la quitte enfin, il fait nuit et je suis en retard. Pour changer. Mon chauffeur m’attend. Il m’ouvre la portière. Deux mètres. Thaddeus est un géant d’ébène. Sa présence me rassure et bien qu’il se soit montré très froid et distant au début, nous avons fini par sympathiser. Je le sens, dans quelques mois, il me fera de vrai sourire.
Nous échangeons des banalités. Je n’arrive pas à suivre de toute manière. Mon cœur cavale et j’ai la boule au ventre. Lorsque la voiture s’arrête, Thaddeus à le temps de faire tout le tour de la voiture et m’ouvrir, avant que je ne me rende compte que nous sommes à l’arrêt. Le téléphone entre les doigts, que je sers un peu trop, je lève les yeux vers son visage rassurant.
« Mona. Si vous ne voulez pas y aller… »
« Thad…j’ai entendu ça toute ma vie. »J’attrape ses doigts épais et je sors du véhicule. Je sens son regard sur mon dos jusqu’à ce que je ne disparaisse dans l’immeuble. Mon cœur reprend la cavalcade dés que la voiture démarre et que la porte qui se referme, tait le vrombissement de la Bentley. Je soupir. Un regard à mon portable.
Je suis en retard.
L’ascenseur est lent, alors je retire mes talons et monte les marches aussi rapidement que possible, sentant les bijoux tinter entre eux. Je sens à chaque effort, les chaînettes se resserrent autour de mes cuisses et se desserrent à chaque contraction musculaire. C’est à un étage de Johnny que je me rend à l’ascenseur. Je bouscule avec un « désolé » des moins sincère, Sayako. Lorsque les portes se referment dans leur grincement métallique, je me laisse aller contre le fond, profitant des quelques minutes qu’il me reste pour me recoiffer. Mis à part un léger voile de sueur et ma respiration courte, ce n’est pas catastrophique.
« Bonsoir Johnny ! »Chaussures à la main, je m’avance.
J’aime beaucoup ce qu’ils ont fait de cette salle.
« Merci d’avoir patienté… »J’arrive à sa hauteur, si petite et je me trouve stupide.
Je ne sais absolument pas ce que je dois faire. Lui tendre la main ?
Mais tandis que je réfléchis, mon corps s’avance, me trahit et je sens ma bouche se déposer contre sa joue.
« Hem…viens. Tu as soif ? Je t’avoue que moi oui… »Fébrile, je n’ai même pas pris le temps de le détailler. Il faut que je me ressaisisse et un verre me fera le plus grand bien. Je tente de calmer ma main qui tremble lorsque je le sers, me tourne, les fesses en appui contre le canapé. Je me tourne.
« Je suis un peu nerveuse. »Mes chaussures, que j’avais oubliée, décide de se rappeler à moi de la pire des manières. Elles se balancent à mon poignet et lorsque Johnny tend la main, le verre bascule. J’ai l’impression que tout se passe au ralenti et que lorsque je reviens à moi, c’est pour le voir avec de l’alcool sur ses beaux vêtements.
« Merde…putain. C’est un euphémisme visiblement… »J’ai envie de rire et de pleurer en même temps. Il devait s’attendre à mieux de ma part. Le pauvre…