Kara ne semble pas du tout remarquer les regards, ou alors il est parano, et voit des œillades partout, ce qui peut être vrai. Elle frissonne lorsqu’il évoque la mafia, et ce qui est encore plus angoissant, c’est qu’il a l’air de bien connaître. Merde, c’est vraiment un mafieux ? Visiblement pas exactement, mais il avait dû tremper dans des affaires de pègre. En même temps… Il avait la gueule de l’emploi. Peut-être qu’elle allait finir dans un coffre de camionnette ? Elle frémit un peu, accélérant le pas jusqu’au bouiboui.
« Je. » Petite moue. « Pas gagné au départ ? C’est peu de le dire, ouais, on m’a filé ce secteur pour avoir une bonne excuse et m’engueuler. »
Souffla-t-elle, entre ses dents, un peu agacée par le faux compliment qu’il vient de lui servir. Il avait vraiment le chic pour dire de la merde la concernant. C’était toujours vexant !
Mais une fois dans le restaurant, l’odeur de l’encens l’apaise d’un coup, c’est cosy, feutré, très coloré et tout est tout joli et raffiné. Ignorant les regards de la serveuse, ne se disant même pas que c’était possible, elle s’installe dans une banquette avec soulagement, posant un petit sac à main près d’elle. C’est une réplique d’un comic peu connu, mais elle adore cet accessoire. Elle l’a eu sur le net, et a claqué un bon paquet de fric d’ailleurs…
Alors qu’elle prend la carte qu’on lui tend, Kara tique. Est-ce que la serveuse lui a effleuré les doigts volontairement en lui donnant le menu ? Elle lève les yeux sur elle, l’autre rougit, et semble attendre plus que leur commande. Okay, c’est gênant. Elle se racle la gorge.
« Euh. Alors. » Elle ouvre la carte, mais sait déjà ce qu’elle veut manger, annonce alors les plats avec un accent immonde. Des plats traditionnels à base de poulet, de noix diverses, de lait de coco, d’épices, beaucoup d’épices, parfumées et fortes. Elle conseille du riz parfumé légèrement sucré pour aller avec, deux petits pains cuits à la poêle et… Bon, bah, des bières alors. Elle allait lui indiquer qu’un thé à la cardamome était idéal avec ce plat, mais visiblement, il adorait picoler.
Quand ils furent seuls, Kara grimaça à sa remarque.
« Une… touche ? Non mais. Elle est jolie hein, c’est pas la question. » Elle n’avait jamais vraiment réfléchi à l’hypothèse de l’homosexualité et globalement, c’était assez troublant d’être la cible d’attentions, pour Kara.
« J’voudrais pas qu’elle pense qu’il y a moyen, moi j’aime les muscles et la b… » Elle se stoppa avant de dire une connerie, rectifiant. « Et la barbe, quoi. »
C’était maladroit, mais elle ricana toute seule, se dépêchant de boire une bonne gorgée de bière fraiche à l’arrivée des verres. Ecarquillant les yeux, elle leva un index réprobateur.
« Bordel, tu bois hyper vite, c’est super mauvais pour la santé. »
Il avait une sacrée descente, et il entamait déjà la seconde. Ce mec était incroyable. Pourtant, le récit de l’arrivée des billets dans son portefeuille lui fit plisser les yeux. Une… fille avec qui il avait passé le week-end ? Des kidnappeurs ? Un gros bobard au papa plein aux as ? C’était presque trop gros pour être un mensonge, son histoire, et lui il avait eu le bol de tomber sur une riche héritière comme ça, en ayant un appart dans le quartier le plus pourri de la ville ?
« T’as clairement abusé de ce mec qui craignait pour la vie de sa fille… » C’était super dégueulasse. Une seconde, elle se demanda ce qu’elle ferait, elle. Avant de fatalement se rappeler que ça ne lui arriverait surement jamais de passer le week-end avec un casanova friqué dont le papa pourrait la couvrir d’or sans avoir rien fait. Le karma…
« Et t’as jamais de problème de conscience ? Tu pourrais donner tout ce blé à une bonne œuvre, ou un truc du genre ? »
Oui, c’était moralisateur, parce que dès qu’elle touchait sa prime, Kara s’empressait d’aller le dilapider dans des bêtises. Après avoir remis à zéro son découvert, bien sûr. En parlant de bonne œuvre, il a l’air d’humeur généreuse, elle s’étouffe un peu dans sa bière.
« J’suis une cause perdue, laisse tomber, je sais pas demander de l’aide. Je suis la fille qui va rester dans la merde juste parce que… » C’est vrai ça, pourquoi ? Elle hausse les épaules. « Je sais pas trop. »
Si elle avait d’un coup tout un tas de lingot, qu’est-ce qu’elle achèterait en premier ? Un nouveau casque pour les parties en audio, sans doute. Une bonne bouteille de vin, pour goûter la différence avec la piquette qu’elle consommait parfois. La réplique en taille réelle de cette merveilleuse machine à voyager dans l’espace et le temps qui ressemblait à une cabine de police.
Elle prend une autre gorgée de boisson et esquisse un sourire, comme pour détourner son attention sur le fait qu’elle vient encore de refuser quelque chose de sa part, gênée. Elle noie le poisson.
« T’as qu’à payer le resto, si t'y tiens, même si je sais qu’ils font les ardoises, j’en ai une d’ouverte depuis trois ans. »
Leurs plats arrivent alors, et c’est une explosion de parfums et de couleurs. L’eau lui monte à la bouche, elle se dandine en lui désignant tour à tour ce qu’elle évoque.
« Commence par goûter séparément la viande, la sauce, et le riz. Ensuite, mélange. » Elle avait vraiment l’air d’adorer cet endroit. Si Souta était très différent de la vieille, c’était également le jour et la nuit pour Kara.
« T’aimes quand ça pique ? Moi j’adore. » Elle glousse en piquant un beau morceau de poulet qu’elle mâche malgré la brûlure sur son palais. « Oh merde, ché trop bon. »