C’était assez bizarre comme sensation. Elle avait un peu déchanté, mais restait suffisamment pleine d’alcool pour ne pas se soucier de ses cheveux décoiffés, son visage qui devait rayonner comme un néon pour indiquer qu’elle venait de baiser, et elle avait les cuisses poisseuses sous sa jupe. Ca aurait dû la déranger, vraiment, mais… ça allait.
Elle restait accoudée au comptoir, les yeux rivés sur le Petit Kaito.
Il s’était déchaîné, elle se rendait compte à quel point il lui semblait différent, là-haut, si courageux et viril. Pas qu’il ne l’était pas là, derrière son bar à sourire avec un petit air coincé, mais… Il semblait jeune. Merde, elle cilla pour elle-même, perdu dans des réflexions floues plus ou moins absurdes. Elle avait baisé un Etudiant. C’était pathétique, ou cool ?
Un Etudiant bourré, en plus. Sur son lieu de travail. Devant des gens.
Est-ce qu’elle avait abusé de lui ? Genre, est-ce qu’elle s’était servie de son décolleté et de son petit minois pour lever des gamins ? Kara avait du mal à trouver cela mal placé, vu le plaisir qu’elle venait de prendre, et en réalité, ça allait beaucoup influencer sa réponse. Est-ce qu’elle voulait le revoir ? Souvent, les choses sont bien plus simple si c’est un one shot. Les suites de films sont souvent ratées. Mais le sourire du Barman était à tomber…
«
Ouais… j’aimerai bien qu’on se revoit. » Sincèrement, elle naviguait à vue, et ignorait si c’était une bonne idée. Mais elle était pompette, encore, et parlait plus librement. En se posant mille questions, mais en répondant avec franchise.
«
Bosse, je reviens te chercher après ton service. » Ah bon ? Elle avait été bien trop franche, sur ce coup. Elle savait qu’elle avait l’entretien le lendemain, qu’elle aurait la gueule de bois, que le plus raisonnable aurait été de prendre son numéro, de le rappeler à l’occasion quand elle s’ennuierait. Merde, elle dessoûlait. Elle le sentait parce qu’elle commençait à se sentir un peu méchante. Pas contre lui en réalité, mais contre elle-même, sauf que ses mots toucheraient le Petit Kaito. Elle n’avait aucune envie de le blesser, pas avec cette tête d’ange. Pas avec ce sourire. Ce regard. Oh, fuck, elle était dans la merde.
Elle attrapa une carte de visite dans sa poche, qu’elle vint glisser tout au creux de la main de l’Etudiant, son petit sourire attendri n’avait rien à voir avec l’impression intérieure qu’elle avait d’elle-même.
«
Tiens, mais s’te plait, note pas ‘MILF’ comme pseudo de contact. » Elle se rappelait amèrement la remarque de Gengis à son arrivée, maintenant qu’elle avait les idées plus claires, et fronça le nez. Son regard était moins vitreux, mais il y avait une intensité caractéristique de l’attachement qu’on a pour quelqu’un qu’on vient de prendre sauvagement sur un canapé. Son téléphone sonna brièvement, et elle enregistra « Petit Kaito » dans son répertoire.
Kara se redressa et au moment où il tendait la main pour prendre sa carte, lui saisit le poignet, ravivant quelques souvenirs, et le tira à lui pour presser ses lèvres sur les siennes furtivement.
«
Travaille bien. »
Elle sauta à bas de son tabouret, lui adressa un clin d’œil, et un peu plus gênée, un petit signe de menton à celle qui avait laissé sa pause au Barman, lui permettant ce moment hors du temps. Elle traversa la grande salle, s’effaçant dans la foule au milieu d’une musique de dingue qu’elle n’appréciait pas, et avant de sortir, se tourna pour voir si elle apercevait le comptoir d’ici.
S’il te plait, regarde-moi.
Elle se mordilla la lèvre, et sortit.
oOo
«
Merde ! »
Elle s’était endormie comme une loque sur son canapé. Après une douche froide, le thermostat ayant encore fait des siennes, Kara s’était jetée sans s’habiller sur son divan pour envoyer un sms à Kaito… Elle avait hésité, commencé à taper pleins de trucs mièvres, puis avait tout effacé et s’était finalement endormie sans rien envoyer du tout.
Réveillée en sursaut, elle réalisait qu’elle était vraiment en retard. Il allait croire qu’elle lui avait posé un lapin, qu’elle avait menti, qu’elle était une salope…
En panique, elle avait enfilé une robe au lieu de son traditionnel tailleur trop serré, mais visiblement Kara aimait les décolletés plongeants. Se cassant la figure en mettant ses bottes, attrapant au vol son sac à main, elle était dans le métro de nuit quand elle se demanda si elle avait bien fermé à clé son appartement.
Elle avait un bon quart d’heure de retard.
Et s’il s’était barré ? A sa place, à vrai dire, elle aurait sans doute fait cela. Oh non… Désormais bien lucide, Kara se souvenait combien elle avait été délurée et différente de ce qu’elle était tous les jours. Elle était de nouveau stressée, aussi. C’était peut-être une mauvaise idée de le retrouver maintenant ? Pourquoi avait-elle dit qu’elle le récupèrerait après son taff, aussi ?
Un clochard vint s’asseoir face à elle, accoudé sur ses genoux, et laissant clairement sa main aux ongles noirs trainer contre sa cuisse. Elle fronça les sourcils en lui lançant un regard furieux, mais fut sauvée par sa station.
Elle sortit vite, peu à l’aise dans les rues si tard, et courut jusqu’au club.
Pitié, pitié, faites qu’il soit encore là.