Cela risque d'être compliqué d'oublier sa compagnie alors que je suis en simple serviette dans la chambre, sans rien en dessous, mais je vais faire en sorte de me concentrer sur autre chose. Je ne veux pas qu'il croit qu'il va y avoir plus entre nous ce soir. Yerk, rien qu'à l'idée, j'en ai des frissons désagréables dans le dos. Assise sur un tabouret à côté du bureau, non loin du lit, j'ai pourtant tout le loisir de le voir se déshabiller et d'admirer ses cicatrices. Ce n'est pas nouveau pour moi d'en voir sur un corps mais...Donc toi aussi, ta vie ne se résume qu'à des voyages et des combats ? Nous ne sommes pas si différents, finalement ? Mmh...J'avais déjà remarqué cette cicatrice sur ton beau visage, et ça n'enlève rien de ton charme...Que...MERDE ! Putain, Yukka ! À quoi tu penses encore ? C'est sérieux ! Je me sens si honteuse de penser tout ça...Si honteuse que je sens le rouge me monter aux joues. Ce n'est qu'un homme, et les hommes sont tous les mêmes : ils ne sont là que pour chercher à amadouer et planter leur bite entre des cuisses. T'avais oublié ça, ma vieille ? T'es qu'une abrutie de Nunaat.
Je peste contre moi-même, la mâchoire serrée et les narines détendues pour expulser ma rage d'une certaine manière. Je dois me reprendre. Je me reconcentre alors sur le nettoyage de mon armure. Elle a beau ne pas être imposante et recouvrir tout mon corps, ce bout de métal n'en reste pas moins dégueulasse. Alors j'ai piqué une serviette de plus dans la salle de bain et je l'ai humidifiée pour retirer toute cette boue que j'ai accumulé lors de mon dernier voyage jusqu'à Nexus. J'en ai pris des trombes d'eau dans la figure et des terrains impraticables. On aurait pu croire à des sables mouvants à certains endroits, mais j'ai de bons yeux, et de bons réflexes. Je tombe pas facilement dans un piège. En plus de cette boue séchée sur mon armure, des gouttelettes de sang, pour ne pas dire quelques traînées. Un voyage n'est jamais tranquille. JE ne suis JAMAIS tranquille. Entre les hommes qui me prennent pour une curiosité à baiser, ou une femme sans défense, ceux qui me prennent pour une Terranide et qui pense pouvoir faire de moi un bon toutou à son pépère...C'est usant.
D'ailleurs, il est bien usé ce tas de ferrailles. Je demanderai à Miuggrayd de m'aider à trouver quelqu'un pour m'en confectionner une autre. Je me penche un peu pour attraper mon fameux compagnon de route, ce sac de cuir qui n'est pas à ses débuts malheureusement. Je l'entrouvre pour trouver cette petite fiole au liquide orangé, l'ouvrant puis en déversant un peu sur la pointe de la serviette humide. Avec précaution, je fais passer le tissu sur le métal en faisant des cercles, sans oublier le moindre recoin. Elle doit au moins tenir jusqu'à Lenwë, et elle tiendra.
Tiens, il est déjà là et propre ? Un de mes sourcils se hausse un peu plus au dessus de mes yeux, surprise de voir que j'étais autant prise dans mon nettoyage, que je n'ai même pas entendu ce bougre prendre une douche. Attends...Il est encore tout trempé ? Merde, il n'y avait que deux serviettes ? La conne que j'suis. Désolée, je n'ai pas fait attention...Mais impossible de t'en passer une désormais. L'une est dégueulasse, l'autre est sur moi, et tu peux toujours rêver pour que je l'enlève devant tes yeux. Ou alors, je te les crève avant...
À son tour de faire l'entretien de son armement. Continuant le mien, je lève parfois mon regard sur lui, en face de moi. Cette peau encore brillante de l'eau de la douche...Il a du charme, c'est indéniable, et il doit en faire tomber des minettes...Non, Yukka, arrête-toi ! Cela en devient ridicule. Je relève la tête, les cheveux qui sèchent en pagaille, quand Zorro s'approche de moi. Qu'est-ce qu'il va faire ? Ah. Un autre sourcil haussé et j'observe la pierre qu'il me tend puis qu'il laisse à côté de moi. Un geste appréciable mais pour le coup, pas nécessaire, du moins, pas pour ma hache. Arme dont je me saisis enfin, après avoir posé l'armure propre sur le bureau, et passe un coup de serviette humide dessus. Adieu gadou, adieu sang pourpre. Il ne manque plus qu'un peu de magie mais je vais m'abstenir. Je ne sais pas de quoi tu es capable, cher Zorro, et je ne voudrais pas que tu ai un avantage sur moi s'il s'avère que tu es un mécréant. Ce n'est qu'après que je dépose ma hache, pour farfouiller une nouvelle fois dans mon sac et sortir mon sécateur, utilisant enfin la pierre de Zorro pour affûter les bords tranchants, la tendant à son propriétaire une fois fini.
- Merci.
Je viens ranger mes affaires dans mon sac alors que Zorro semble vouloir me parler. Je lui lance un regard interrogatif, puis au final, lui réponds le plus simplement du monde.
- En effet, je ne te dirais pas où se trouve l'académie. Tu feras le chemin avec moi, c'est tout. Et je ne compte pas y amener un connard ou un manipulateur qui ferait des dégâts là-bas, compris?
Lenwë, c'était la seule maison qui me restait depuis des siècles. Zorro est sous ma responsabilité, et s'il n'est qu'un enculé de première qui veut du mal à ma maison, s'il en fait, je me sentirais...Comme cette fois-là. Un soupir s'échappe de mes lèvres alors que cet éphèbe continue de me harceler avec ses questions. Autant lui dire. Si je connais Lenwë, c'est parce que Miuggrayd m'y a amené alors que j'étais à l'article de la mort. Et pourquoi étais-je dans cet état ? Je ne peux avouer ça à un étranger. Cher Zorro, je ne fais que te tolérer, même si tu es beau comme pas possible, et même si tu as l'air honnête, c'est une blessure qu'il n'est pas bon d'ouvrir, surtout quand il s'agit d'une autre personne que mon sauveur et ami. Contente-toi de savoir que je suis une Nunaat, cette créature incroyable, grande et forte, qui pourrait t'apprendre bien des choses. J'en aurais presque un sourire sur le coin des lèvres, mais quand il me dit avoir vu des êtres similaires dans son pays, je peine à le croire. Bien des Nunaats ont traversé Terra. Certains ne sont jamais revenus, il est vrai, mais dans tous les cas, ils restaient de mon clan à l'origine, même après des siècles d'existence. C'était une fierté. Alors...D'où viens-tu ? Méfiance et curiosité se mêlent en mon âme.
Vient alors le moment d'aller dormir. Je grogne un peu, le temps de voir que cet homme s'installe dans le lit et se mette de dos. Je vérifie qu'il ne joue pas aux cons avec moi, puis fait tomber la serviette qui entourait mon corps nu, au sol, avant de finalement disparaître sous la couverture de notre couche. Dos à lui, je joue un instant avec ma queue pour qu'elle se retrouve entre nous, sans pour autant gêner personne. Je n'ai pas envie de me retrouver coincer sous son gros cul.
- Bonne nuit.
Puis, doucement, je ferme les yeux et mon esprit s'embrume...Un épais brouillard m'empêche de voir correctement autour de moi. Je peine à distinguer où mes sabots me portent. Aucun son. Où suis-je ? Je renifle fortement. Pas une odeur. Pas un brin de vent ne vient frotter sur mon visage, ni même agiter mes cheveux. Rien du tout. Que du vague autour de moi. Les bras en avant, je cherche à tâter quelque chose. En vain. Toujours rien. L'angoisse me monte. Je suis totalement seule au monde. Pas un insecte qui vole, ni d'oiseau qui chante. De fleurs qui poussent, ni même de pluie qui tombe...Encore toute seule, comme cette nuit-là. Je rêve, n'est-ce pas ? Ça ne peut être que ça...Pense à autre chose, Yukka, ou réveille-toi ! Rien ne change...Vite, je dois...Ah ! Je sursaute alors que j'entends un son parvenir de derrière moi. Pourtant, je me retourne et il n'y a rien. Une nouvelle fois, je l'entends derrière moi et encore une fois, rien. J'vais devenir folle ! Ce n'est qu'après plusieurs dizaines de secondes de silence que le son me parvient un peu mieux aux oreilles. Yukka...On m'appelle ? C'est...Un frisson parcourt mon dos, mais il est loin d'être désagréable. J'y ressens une douce chaleur, comme si on m'enveloppait, alors qu'à mon oreille, on susurre encore mon nom...
Mes yeux papillonnent un instant avant que je ne me rende compte que je délirais en plein rêve, et que je suis enfin revenue à la réalité. Bordel, c'était quoi ça ? Tiens, l'autre n'est plus dans le lit ? Je sens un courant d'air froid dans mon dos, comme une absence. Il s'est tiré, la queue entre les jambes ? Je me redresse dans le lit, gardant précieusement la couverture contre moi, vu que j'suis nue. On sait jamais, si l'autre barbu est enco...Merde, il est là. Il fait des exercices d'assouplissements, dirait-on. Je ricane un brin, le toisant de là où je suis.
- Tu t'entraînais à détaler le plus vite possible ? C'est raté, t'es vu, gamin. M'enfin, ça s'rait bien que t'ailles à la douche, juste histoire que je mette mon armure. J'ai pas envie qu'tu m'vois à poil, au risque que tu y perdes la vue.
Je crois que t'as compris, mon coco. J'attends qu'il se carapate dans l'autre pièce pour fouiller dans mon sac, et y trouver une culotte de coton, avant de mettre tout ce qui est mon armure, maintenant propre et brillante. Enfin, je réunis toutes mes affaires pour ne rien oublier. Mes cheveux qui vont dans tous les sens ? Je m'en fiche. D'une voix plus imposante -enfin je crois-, j'appelle Zorro.
- C'est bon ! Tu peux r'venir, le gringalet. Tu ne risques pas de perdre tes yeux.
Je l'attends patiemment, en profitant pour mettre mon sac sur le dos, ainsi ma hache. C'est bon ? Il est prêt. Allons-y. Nous avons du chemin à faire, mais avant ça, nous devons prendre quelques vivres. Sait-on jamais ! Descendant les escaliers, je jette un œil dans la taverne, observant s'il y a encore les deux guignols d'hier soir. Pas de cons en vue. Nous saluons le tavernier, avant de sortir d'ici. Il a beau y avoir du soleil à cette heure, je sens cette lourdeur dans l'air. Le ciel sera capricieux dans la journée, ou bien est-ce juste l'air infect de cette ville qui me titille les narines ? À voir les gens qui passent, j'en ai déjà mal au crâne, mais il faut bien se rendre sur le marché voisin et ses boutiques attenantes pour trouver ce que je souhaite. Ce qu'on souhaite.
C'est d'un pas lourd que je me suis une petite troupe, un essaim de commères avec des paniers à la main. Mes sabots claquent sur les pavés et je me fais facilement remarquer. J'en ai l'habitude. Je n'ai pas envie de faire attention, mais je garde mon air de grincheuse. Ça éloigne les connards et les emmerdeuses. Enfin, en temps normal, ça le fait. Mais ça n'a pas empêché les abrutis d'hier soir de me chercher des noises. Je reste muette. J'ai pas l'habitude d'avoir une compagnie. Tu vas devoir faire avec, mon cher éphèbe. Ah, nous arrivons au marché...Heureusement, il est tôt et il n'y a encore que peu de monde, et j'en remercie les dieux pour une fois. Cela m'évitera de vouloir éviscérer un tas de nigauds. Je pointe plusieurs étals à mon nouvel ami.
- Si tu veux acheter des trucs, vas-y. J'vais chercher ce qu'il me faut de mon côté. Si jamais, on se retrouve ici quand on a fini.
Qu'il soit d'accord ou non, dans tous les cas, j'avance sans lui vers un étal de maraîcher. Je guette les quelques fruits et légumes qu'il possède, d'un air dubitatif.
- Combien pour une tresse d'ail, et trois oignons jaunes ?
- Trente cuivrées pour la tresse et douze pour les oignons, ma p'tite dame!
- Vendu.
Fouillant dans mon sac puis dans ma bourse de cuir, je pars à la recherche des pièces de cuivre, et déleste le prix demandé au marchand, venant récupérer mon dû pour l'installer au chaud dans mon sac. Je regarde dans les allés, un peu plus grande que les autres, à la recherche de nourriture plus consistante. Ah ! Voilà d'la bonne bouffe : un charcutier. Avançant vers lui, j'inspecte ses biens un instant, histoire de voir si ça vaut le coup. Ses viandes n'ont pas l'air suspecte, je ne pense pas risquer une intoxication et de vomir partout. Ça serait con de vomir sur Zorro alors qu'il sent le propre !
- Trois allers-retours de votre saucisse de sanglier.
Je ne lui demande pas le prix. Je sais que ça va me coûter, mais on ne chasse pas des masses dans les neiges qui recouvrent les montagnes vers Lenwë. Ca sera de la saucisse de secours. Comme pour le maraîcher, je prends les cuivrées qu'il a besoin en échange de ses fameux mets, les rangeant avec soin dans mon sac. Et à dire vrai, à sentir la bonne odeur, j'ai bien envie de croquer un bout, mais on va se retenir. Il n'est pas question de céder à la tentation, comme avec Zorro...Putain ! Mais qu'est-ce que je viens de penser encore ?! Bordel, j'ai les hormones qui batifolent ou quoi ? Pff...Ridicule. Agacée, je m'en retourne au début du marché, patientant après le futur élève de l'Académie.
Mh...Les gens me regardent de travers, encore et toujours. Vous n'avez jamais vu une beauté pareille, je parie ! Et bien, moi aussi ! Je ricane toute seule de mon absurdité, les bras croisés sous ma poitrine. Attendons que le grand brun revienne ici, et espérons qu'on ne vienne pas me faire chier. Mh...Peut-être que j'aurais dû prendre aussi du romarin et de la sauge-ananas...Tant pis, je me débrouillerai avec ce que je vais trouver en forêt.