Absolument tout dans ce nouveau travail me gonflait d’avance. Ce n’était déjà pas ma tasse de thé de bosser pour un tiers, mais alors être en partenariat avec madame-je-fais-des-leçons, c’était la cerise sur le gâteau. La voilà qui se pointait dans son manteau blanc bien propre et son sourire poli. Qu’est-ce qu’elle peut bien s’imaginer cette truffe ? Que me passer de la pommade avec des bonnes manières, ça allait arranger notre relation ? Sa tenue lui donnait un charme particulier en tout cas. Ce qui me fit ronchonner de plus belle.
Moi qui aspirait à rentrer au chaud, afin de bosser peinard sur je ne sais quelle stratégie opératoire, me revoilà obligé de me geler les miches à l’extérieur. Cela dit, mieux valait la marche que la voiture. A la seule pensée de sa conduite, je sentis mon estomac faire des nœuds. Je resserrai ma veste et mon écharpe, afin de suivre ma nouvelle patronne dans les rues matinales encore peu peuplées. Avançant en silence, je fourrai mes mains dans mes poches en regardant les voitures défiler.
Clairement, j’avais la tête ailleurs. Mais surtout, je n’avais ni envie de papoter ni même de la regarder, de crainte que j’en vienne à ne plus supporter sa seule présence. Ce qui aurait été carrément pénible pour travailler ensemble. J’allais sérieusement devoir maitriser mes sauts d’humeur si je ne voulais pas qu’elle brise le contrat, ou pire, qu’elle me balance en taule.
Néanmoins, je fus complètement coupé dans mes pensées en sentant une poigne m’agripper par l’épaule, et me faire basculer vers l’avant. M’attendant à mordre le sol, je fus surprise de chuter à une vitesse incroyablement lente, comme si je nageai dans de la guimauve. C’était quoi ce merdier, sans rire. Et pendant ce temps, je voyais Lucie enchainer les mouvements à une allure hallucinante alors que tout mes membres semblaient littéralement collés à l’air. Il me semblait bien l’avoir entendu dire quelque chose, mais je n’avais absolument rien pigé, pas plus que je ne comprenais ce qu’il se passait.
J’eus l’impression que tout s’enchaina en une fraction de seconde à partir de cet instant. C’était délirant. Elle me pousse, un coup de feu part d’on ne sait où, elle sort son flingue, tire à son tour, le bruit d’un corps qui s’effondre et me rattrape avant que je me vautre. J’étais sidérée en voyant le docker de la dernière fois, étendu sur le sol, mort. Et avec un revolver à la main en prime. A ce stade, je commençai à perdre le fil de l’histoire, et je bouffai la moitié de mes mots.
"Mais… Qu’est-ce qui ? Quoi ? Qu’est-ce t’as foutu ? Comment t’as-…"
Toutefois, Lucie ne me laissa pas réellement le temps de développer puisqu’elle m’entraina à nouveau dans l'autre sens, demi-tour, direction les locaux. J’avais l’impression d’être un bagage qu’elle baladait, et voilà, retour au point de départ dans son bureau. Je me laissai tomber dans le même siège, littéralement sur le cul après ce qu’il s’était passé. Cette folle de la gâchette me noyait carrément sous un flot de questions précipitées. Je rêve où elle s’inquiète réellement pour moi ?
Alors là, c’est plus fort que tout. Elle m’en avait foutu plein la gueule il y a plusieurs jours, et voilà qu’elle se faisait du mauvais sang pour ma pomme maintenant. Néanmoins, je commençai à rassembler mes pensées, et à entrevoir les implications de cet incident. Me massant le cuir chevelu pour m’aider à réfléchir, je levai les mains pour lui faire signer de lever le pied sur les questions.
"Ok, ok, du calme sur l’interrogatoire ! Écoute, j’te remercie de m’avoir sauvé le cul, enfin si j’ai bien compris ce qu’il s’est passé, mais on va y aller mollo sur l’affection maternelle. Déjà, j’aimerai que tu m’expliques comment t'as fait ton truc là… T’as des sortes de super pouvoirs ou quoi ?"
Rien que le fait d’articuler cette question à voix haute, ça sonnait d’autant plus ridicule. Mais tout de même, je ne voyais pas d’autres explications à ce que je pensais avoir vu.
"Dis donc, t’as pas été très honnête là. Moi je t’ai rien caché sur ma vie, et là tu me sors… J’sais même pas quoi ! T’étais quand même pas sérieuse avec tes histoires de 200 ans d’âge ? T’es humaine ou une sorte de whisky ? Je dois m’attendre à d’autres surprises ?"
Certes, la vanne était peut-être de trop dans la situation actuelle. Je soupirai pour tâcher de mettre en ordre mes pensées, après tout, il valait mieux redevenir sérieuse vu la gravité de cet incident.
"Bon, j’vais te dire ce que j’en pense. Même si mon avis t’es égal parce que j’suis qu’une petite racaille, j’suppose. Bref. Non, j’ai pas d’organisation à dos, du moins jusqu’à présent. Sauf que t’as buté ces types devant un de leurs complices qui m’a vu avec toi, et donc ça implique pas mal de choses. Ils doivent croire que je t’ai aidé à les buter, en tendant un piège ou même en t’embauchant… Peu importe de toute façon, ils se sont fait un film en s’imaginant que leurs potes sont morts par ma faute, c’est pas difficile à comprendre. T’avais raison, t’as vachement amélioré ma vie."
Croisant les bras, je la regardai calmement. Lui balancer dans la figure que c’était sa faute n'était pas forcément la réaction la plus appropriée.
"J’dis pas que c’est la faute à quelqu’un. Ce qui est fait, est fait, pas la peine de revenir là-dessus. Maintenant, j’vais te dire un truc qui va peut-être te surprendre. J’ai beau être une criminelle comme tu me l’as bien rappelé, j’ai jamais buté personne de ma vie. J’sais même pas tirer avec une arme. Alors crois-moi, j’irai pas jouer la vendetta. J’ai déjà des tueurs au cul, ça m’suffit."
Et c’était vrai. Tuer quelqu’un est une étape que je m’étais toujours refusée de franchir et je n’avais aucune raison de lui mentir. D’ailleurs, ça me faisait sacrément chier qu’elle m’ait caché cette histoire de pouvoir.
"En attendant, va falloir que je récupère un minimum d’affaires chez moi. J’ai au moins besoin de mes fringues pour loger ailleurs. Ah et aussi, tu vas noter bien dans ta tête que j’suis réglo avec toi alors tu pourrais éviter de me cacher des trucs sauf si t’estimes que j’en vaux pas la peine. Ce qui m’étonnerai pas d’ailleurs."
Cette journée avait tellement mal commencé. C’est vrai que déménager me gonflait sacrément, mais avec des tarés aux fesses, c’était un mal pour bien.