Cette journée semblait pourtant avoir bien commencé, même si les affaires m’avaient tiré bien trop tôt du plumard. La faute à un type m’ayant mise en contact avec de gros acheteurs, et là dessus, je n’étais jamais trop regardante quand il s’agissait d’une vente prometteuse. Les clients achetant en gros, c’était rare, je devais en prendre soin, les bichonner, les brosser dans le sens du poil. Bref, j’avais ravalé mes bougonnements matinaux pour rassembler la marchandise, et en avant pour le rendez-vous avec tout le barda bien arrimé.
C’était d’ailleurs des artefacts assez dangereux en soi, notamment des amulettes de protection, des parchemins de sorts, quelques boules contenant de la magie dont je n’avais aucune idée du fonctionnement. Du haut de gamme, quoi. Je ne voulais même pas savoir ce que ces types allaient en faire, ça m’était bien égal tant qu’ils achetaient tout ce bazar. Surtout après m’être démenée à venir sur Terre spécialement pour cette transaction, et à l’avance avec ça, trimballant tout ce merdier dans une chambre de motel miteuse qui sentait le jus de chaussette.
Pour une fois, il faisait plutôt doux aujourd’hui avec un soleil timide, et ça m’arrangeait bien lorsqu'on connait la vieille zone industrielle et ses rues ouvertes à tous les vents hivernaux. Emmitouflée dans un hoodie vert délavé, les mains dans les poches de mon jean noir et le gros sac de matos sur l’épaule, j’étais venu très en avance pour vérifier les alentours par précaution. Désert, comme d’habitude. Je n’avais plus qu’à prendre mon mal en patience et attendre à proximité de l’entrepôt abandonné comme convenu. Jusque là, tout allait bien, toutefois c’est après que tout a commencé à se gâter.
Tôt dans l’après-midi, un énorme pick-up gris avait déboulé entre les hangars et, aussitôt le moteur éteint, cinq types baraqués en étaient sortis. A se demander comment ils pouvaient tous loger dedans. Et armés avec ça, de grosses armes terriennes comme je n’en avais jamais vu. Autant dire que je n’étais pas en confiance sur ce coup là, et je n’avais qu’une envie, terminer au plus vite la vente pour m’éloigner de ces gars patibulaires. Le client s’appelait Ivan, un homme plutôt désagréable avec une voix sèche, probablement habitué à donner des ordres à sa bande de gorilles en veste de cuir qui me dévisageaient avec d'un air dédaigneux.
Voilà au moins vingt minutes qu’ils examinaient la marchandise entre eux sans même me refiler le paiement. Là-dessus, je n’avais même pas eu mon mot à dire et je devais patienter en attendant que ses messieurs se décident à honorer le deal, du moins s’ils le voulaient bien. C’était bien ça le pire, s’ils décidaient de ne pas me payer, je n’y pouvais strictement rien et je sentis le stress monter à mesure que les minutes filaient, oscillant nerveusement d'un pied sur l'autre. Merde, je n’étais même pas armée. Finalement, le dénommé Ivan revint vers moi, me balançant un sac d’argent dans les bras avec un sourire antipathique sur sa sale trogne.
- "T’es honnête, Sable, c’est bien. Tu vois, moi aussi je le suis. Et tu sais quoi ? Tu vas continuer à nous en fournir d’autres pour la semaine prochaine et les mois à venir. On est parti pour rester un long moment ensemble."
Ce con était sérieux ? Ses hommes ricanaient, et le ton employé ne souffrait vraiment pas de contradiction. J’étais sensée dire quoi ? Ça m’a pris des mois pour rassembler tout le contenu de ce sac, c’était littéralement impossible de me réapprovisionner en quelques jours. Quand bien même, je n’avais aucune envie de continuer à faire affaire avec ces types. Certes ils payaient correctement, mais on ne peut pas dire qu'ils inspirent la confiance.
- "Sable ? T’as pigé ? M’oblige pas me répéter, ma jolie."
Je pigeai surtout que je m’étais engagée dans un beau traquenard. Plus je réfléchissais, moins je trouvais de solution et le refus n’était pas envisageable. Ces types n’allaient pas lâcher l’affaire et à leurs expressions impatientes, ils attendaient visiblement que j’approuve leur offre forcée. Je sentis que je suai à grosse gouttes, la langue trop sèche pour articuler le moindre mot tandis qu'Ivan me fixait sans ciller.
*Et merde. Cette fois je suis dans la mouise. Si seulement ils pouvaient crever sur le champ…*