Son dernier livre avait hérité, sur Amazon, du précieux tag «
Meilleure vente #1 ». Il fallait bien avouer que, pour un roman érotique, recevoir une critique du «
New York Times » élogieuse n’était pas un mince exploit. Son éditeur venait en effet de publier le Tome 6 des escapades de Béatrice Harper et Nina Troy, un couple de femmes bisexuelles qui partaient en voyage au cours du monde, et qui, dans chaque État différent, y découvraient des pratiques sexuelles différentes. Ainsi, sous couvert de scènes érotiques mêlant domination, soumission, plaisirs sadomaschistes, et érotisme pur, l’auteur de cette saga littéraire en profitait pour parler des cultures identitaires des États que ses deux héroïnes visitaient, transformant ainsi sa saga en récit à la fois érotique et historique. Le Tome 1 emmenait les deux jeunes femmes dans un voyage organisé par un vicomte français dans la région de la Loire, un noble qui rêvait l’époque bénie de la monarchie, et qui, dans son château, organisait des orgies, ainsi qu’une variante parodique du droit de cuissage. C’était un livre intelligent et bien écrit.
Et, pour parfaire au succès de la saga, personne n’avait jamais vu, sur un seul plateau télévisé, son auteure, qui se faisait appeler Anna Loveclair. Le nom était un pseudonyme, ce que son éditeur avait rapidement précisé, tout en indiquant que l’auteure ne souhaitait pas divulguer son identité, et qu’il devrait mettre la clef sous la porte s’il venait à la trahir sur ce point. On parlait d’une adaptation en série de cette œuvre, qui était loin de se cantonner à l’érotisme, puisqu’elle évoquait aussi quantité de thèmes universaux : le racisme, la tolérance entre les peuples, ou, à des registres moins politiques, l’émancipation sexuelle des adolescents. Sur les interviews virtuels qu’elle faisait, Loveclair expliquait avoir réalisé cette saga dans le but de faire «
un parcours initiatique et culturel pour toutes les jeunes femmes et les jeunes hommes qui, à l’âge de la puberté, ont tendance à réagir n’importe comment ». Elle-même, en tant que femme divorcée, parlait en connaissance de cause. Son identité n’avait jamais été percée à jour, et constituait l’un des secrets littéraires du 21
ème siècle les mieux gardés, presque autant que l’identité d’Anonyme, cet autre écrivain à succès qui avait écrit la saga sanglante et jubilatoire du Bourbon Kid.
Anna Loveclair était un pseudonyme... Un pseudonyme faisant référence à une femme, une Américaine qui vivait à New York, dans un loft ayant vue sur Central Park. Son véritable nom n’était évidemment pas Anna Loveclair, mais
Maria Dawson. Elle était une immigrée venue d’Italie, qui s’était installée avec sa famille quand elle était encore adolescente, et qui avait toujours adoré voyager en Europe... D’où le choix de camper ses intrigues en Europe, même si, pour la suite de ses aventures littéraires, elle s’imaginait bien découvrir d’autres contrées.
Elle avait écrit le premier livre après son divorce, car elle avait toujours aimé lire et écrire, mais n’avait jamais eu le courage de se lancer dans l’édition. Elle se rappelait encore de la nervosité qu’elle avait ressenti en se rendant chez un éditeur, après avoir envoyé par mail son manuscrit. Maria était alors convaincue qu’on lui dirait qu’elle était nulle, incompétente, comme son mari avait toujours été avec elle. Au lieu de ça, l’éditeur avait été emballé, et lui avait dit que son œuvre serait un carton. Les parents de Maria étant de fervents catholiques intégristes (ce qui expliquait pourquoi elle était une athée convaincue), elle avait néanmoins choisi d’utiliser un pseudonyme, juste au cas où... Elle était de toute manière convaincue que son éditeur exagérait, et que son livre ferait un flop. Ce dernier l’avait mis en circulation, et l’avait tenu au courant des ventes.
Le Tome 1 ne s’était pas très bien vendu, mais c’était normal, car elle débarquait dans un milieu extrêmement concurrentiel, et, s’il ne s’était pas très bien vendu par rapport aux autres, pour un premier jet, il avait reçu de bonnes critiques. Elle avait alors écrit un deuxième livre, encore meilleur, en Italie véritable retour aux racines pour elle, et l’éditeur avait ici pris un risque, en se menant à une campagne de publicité pour promouvoir le livre. Le succès avait été au rendez-vous, et, dès la publication du livre 3, il avait reçu plusieurs propositions de produits dérivés, à savoir des éditeurs de
comics.
«
Des comics ? s’en était-elle étonnée.
-
C’est de plus en plus fréquent, vous savez. Vous n’imaginez pas le nombre de BD qu’on a eu sur Stephen King, et les BD érotiques se développent. Vous savez, il y a cette BD sur Internet... Elle a un tel succès que son éditeur a finalement décidé d’en faire une version papier. »
Elle avait accepté, ne voyant aucune raison de refuser.
Seulement voilà, il y avait, dans la vie de Maria, un problème... Son fils. Il était dans l’adolescence, et il ne cessait de se montrer rebelle, injurieux, provocateur... Elle n’arrivait pas à comprendre ce qu’il lui arrivait, et elle se demandait si sa relation avec
Chris n’y était pas pour quelque chose. Chris était un homme que Maria avait rencontré après son divorce, à un salon de lecture. Un homme charmant et distingué, avec lequel Maria avait une liaison... Même si son côté un peu pingre commençait à l’agacer un peu.
Elle se demandait si son fils ne l’aimait pas à cause de Chris, ce qui n’était pas sans l’embarrasser... Car Maria adorait énormément son fils. Il avait beau être adolescent, maintenant, elle lui préparait encore son petit-déjeuner, et venait chaque soir lui souhaiter bonne nuit en l’embrassant sur le front. Alan, son ancien mari, n'avait eu aucune chance de le récupérer, et il avait même renoncé à tout droit de visite sur son enfant, afin que Maria passe l’essentiel de son temps avec lui.
Aujourd’hui, alors qu’elle avait écrit les premières pages du septième volume de sa saga, qui se déroulait à Dubaï, et dont l’intrigue initiale était dans les locaux d’un club de nuit branché de la ville, elle avait laissé le PC allumé pour aller acheter le pain...
...Et elle était loin de se douter que sa vie allait prendre un tout autre tournant quand elle reviendrait.