Il fallait évidemment s’attendre à ce que les choses se compliquent. Edessa laissa Tsukuda filer dans la douche, tout en restant assise sur le lit, un peu confuse. Certes, elles avaient agi rapidement, mais… En réalité, et même de manière ironique, Edessa trouvait que c’était plutôt l’inverse ! Qu’on tienne aussi longtemps face à la succube, c’était rare ! Elle savait que les humains étaient du genre à vouloir prendre leur temps en cette matière, mais ils ne tenaient pas longtemps face aux arguments d’Edessa. La succube, en effet, savait convaincre même les plus récalcitrants. Tsukuda avait assurément déjà hérité du comportement des Warren en recevant leur sang. La jeune fille était une tête brûlée, en plein doute sur sa sexualité, et il revenait à Edessa de l’aiguiller. Mélinda aurait sûrement été ravie d’être à sa place, mais Tsukuda avait clairement indiqué qu’elle ne voulait pas la voir, le caractère incestueux de leur relation semblant la choquer au plus haut point. Mélinda venait néanmoins d’Ashnard, un Empire démoniaque, une zone où l’inceste était toléré. C’était l’une des principales raisons qui expliquaient pourquoi les Ashnardiens étaient vus comme des êtres barbares et sauvages. Dans les grandes familles démoniaques, la morale sexuelle était peu forte, ce qui entraînait une multiplication des orgies, les mères voyant l’éducation sexuelle de leurs enfants comme faisant partie des enseignements à leur dispenser.
*Et puis, est-ce vraiment si condamnable que toutes ces bonnes familles qui, par calcul politique, vendent la virginité de jeunes filles totalement ignares en matière de sexe à de vieux pervers cruels et sadiques ? Au moins, ce n’est pas hypocrite.*
Expliquer ça à Tsukuda serait toutefois difficile, car très éloigné de ses préoccupations actuelles. Entendant l’eau circuler, Edessa sursauta soudain quand Tsukuda hurla, et tapa à plusieurs reprises contre la vitre de la cabine de douche. Craignant qu’elle ne se soit fait mal, la succube se rapprocha de la salle de bains, et constata que Tsukuda était recroquevillée sur le sol, pleurant silencieusement. Il y avait une trace de sang sur la vitre de la douche, ainsi que quelques bris dessus, et la succube, naturellement, se sentit peinée.
Tsukuda était un peu comme sa Maîtresse, et, loin de l’avoir soulagé, elle était en train de la faire pleurer… C’est ce qui amena la succube à hésiter. Hésiter entre venir, ou attendre. Elle ne comptait pas partir, car Tsukuda lui avait ordonné de rester, tout en lui ordonnant aussi de ne plus rien tenter, même si, par la suite, elle le lui ordonnait. Des ordres contradictoires, pour Edessa, il n’y avait rien de pire. La petite succube hésitait donc, puis finit par se rapprocher.
Sa robe se défit rapidement, tout comme ses collants et ses gants, et, toute nue, elle ouvrit la cabine de la douche, puis fléchit les genoux, et alla enlacer Tsukuda, sans rien dire, et sans aucune tentative de palper ses parties intimes.
« J’ai été abandonnée par mes parents. Abandonnée sous le porche d’un orphelinat. Je suppose que l’un d’eux était d’une haute classe sociale, et n’avait guère envie d’avoir comme enfant une bâtarde. C’est Mélinda qui m’a recueilli, dans les premiers jours qui ont suivi mon internement. Elle m’a éduqué comme si j’étais sa fille. Et, quand mes pouvoirs magiques ont commencé à se manifester, elle m’a laissé partir pendant des mois, afin de perfectionner mes sorts. J’ai beaucoup voyagé, Tsukuda. Et j’ai compris que j’avais eu beaucoup de chance. »
Edessa restait nichée contre elle, assise sur les genoux, en continuant à consoler la jeune femme.
« La liberté, ce n’est pas la faculté de faire ce qu’on veut. La liberté, c’est pouvoir choisir… Et, pour pouvoir choisir, il faut être éclairé, il faut être… Cultivé. Mélinda m’a éduqué, elle m’a appris l’algèbre, lire, écrire, la géographie, l’Histoire… Elle m’a offert le choix, et j’ai accepté de rester avec elle, par fidélité, par loyauté, par amour. Je lui suis entièrement dévouée, mais pas parce qu’elle me force, mais parce que… Parce que je ne vois pas quoi faire d’autre de ma vie que d’être avec elle. Je suis une prostituée, je suis une magicienne, une femme qui adore le sexe au-delà de tout ce que tu peux imaginer Mais, avant toute autre chose, Tsukuda, je reste l’esclave de Mélinda, parce que c’est ce que je veux faire. Tu comprends ? On ne m’a pas forcé, et on ne te forcera pas… Pas nous, en tout cas. Tu es des nôtres, ma chérie. »
La succube continua à rester blottie contre elle.
« Ce que tu ressens, je l’ai ressenti aussi. Il m’a fallu du temps pour admettre que j’avais un appétit sexuel disproportionné. Mais tu ne dois pas te faire du mal, Tsukuda, ce que tu ressens est parfaitement normal. Le vampirisme peut influer sur tes pulsions sexuelles, mais les simples êtres humains ressentent aussi cela. Si tu crois que les aphrodisiaques n’existent que pour les vampires, ma chérie, tu es bien naïve. »
Maintenant, il fallait conclure, et, après quelques hésitations, la jeune femme lâcha :
« Sache que tu pourras toujours compter sur nous, Tsukuda. Toujours… »