LUCIFER
L’Enfer était avant tout un monde souterrain, un monde gigantesque composé d’immenses grottes, si grandes que certaines contenaient des villes entières, et que des armées pouvaient se déplacer dans les galeries. Cependant, si on admettait qu’il y avait des souterrains, on admettait aussi qu’il y avait une surface. Et la surface de l’Enfer était aussi inaccessible et aussi dangereuse pour les démons que le ciel terrien. Ceux ayant une vision laïque des Enfers étaient convaincus que, jadis, un grand cataclysme était arrivé dans cette dimension. Quelque chose qui avait profondément déréglé l’écosystème des Enfers, afin de transformer ce monde en le désert rocailleux et sanglant qu’il était devenu. Cependant, le seul moyen de s’en assurer aurait été de faire des recherches à la surface, et d’essayer d’analyser l’Histoire géologique de ce monde cauchemardesque. Or, on restait rarement à la surface.
Entre les plaines cendrées où les Légions s’affrontaient régulièrement, le reste était composé de volcans en éruption, de canyons désertiques. Il y régnait parfois une chaleur terrifiante, et le ciel était chargé de rouges. Tous ceux qui avaient tenté de voler pour sortir avaient été frappés par les éclairs qui dansaient régulièrement dans le ciel, et par la pression, qui devenait de plus en plus forte, alourdissant les corps. Personne ne pouvait s’échapper des Enfers autrement que par les Portails dimensionnels et le Palais des Juges. Toute personne condamnée par les Trois Juges à séjourner en Enfer pouvait demander une révision de son procès afin de venir aux Élysées, mais la porte des Cieux n’était pas facile d’accès. Et le seul fait de rejoindre le Palais des Juges, quand on était un humain, relevait de l’exploit.
Quand Lucifer se retrouva à la surface, ce fut pour se faire agresser par les désagréments naturels de l’Enfer. Il pleuvait du sang et des cendres, les cendres venant probablement de l’éruption d’un volcan à quelques centaines de kilomètres. Quant au sang... C’était comme une pluie normale, même si, du fait de tout ce sang, elle était acide. Il regardait lentement autour de lui, voyant des dunes, des rochers... Lorsqu’il y eut un déplacement d’air sur sa gauche. L’ange démoniaque pivota alors, et son corps heurta celui de son adversaire, ce fameux Champion, qui le repoussa. Les jambes de Lucifer laissèrent deux longues traînées dans les cendres, et il posa sa main sur le sol, tendant ses ailes au maximum pour ralentir sa vitesse. Sans chercher à lui laisser le temps de se reposer, le Champion tendit la main, et envoya une boule de feu. Elle explosa en rencontrant Lucifer, et, à travers les flammes, son adversaire s’élança. Son poing le rencontra au visage, désarçonnant celui qui se faisait appeler «
Monarque », puis la main du Champion se posa sur son torse, et généra une autre boule de feu, qui propulsa Lucifer sur plusieurs mètres, de la fumée s’échappant de son torse noirci.
«
Je vis continuellement dans le soufre et la lave, et tu m’attaques avec du feu ? Serais-tu à ce point idiot ?! -
Pas autant que quelqu’un qui a choisi de quitter les Cieux pour venir vivre dans leurs poubelles... -
Tu étais un ancien Paladin, puissant et respecté. Qu’est-ce qui a pu t’amener à suivre les ordres d’un dégénéré comme le Roi Cramoisi ? -
Tu ne comprendrais pas, même si je te le disais. Pendant toutes ces années, Lucifer, tu as été incapable de voir le tableau d’ensemble, incapable de comprendre ce que tu poursuivais, car ton reflet dans ton miroir t’a toujours obnubilé. Prétends-tu donc toujours vouloir faire le ‘‘Bien’’ ? La seule chose qui te fait horreur, c’est de réaliser qu’il existe un plan plus grand que toi... Et dans lequel tu n’as aucune part. »
Lucifer se releva lentement, silencieux.
«
Je mentirais en disant que le Roi n’avait pas été tenté par toi... Il faut dire que tu t’es fait une sacrée réputation. Lucifer... Le Diable... Ha ! Roi Cramoisi, ça évoque juste un léger frisson auprès des paysans, mais Lucifer, ça... Mais c’est comme toute chose. Les légendes sont surfaites. En fin de compte, ce qui est le plus dangereux, c’est ce dont on ne parle pas. -
Tu penses pouvoir m’énerver si facilement ? -
Je ne suis pas venu pour me battre contre toi. Occupe-toi de ta déchetterie si cela te chante, reste con vaincu que la carcasse du Grand Ancien que les Anges ont balancé ici jadis peut t’aider à comprendre un dessein qui nous dépasse tous totalement... Mais donne-moi Shad. -
En quoi une Terranide perdue ici peut vous intéresser, vous et votre plan si génial ? rétorqua-t-il.
-
Rien qui ne soit ton affaire. Retourne tenter de soumettre les Grands-Princes, et ne viens pas te mêler de... »
Au même moment, un éclair déchira le ciel, et tomba en plein sur le Champion, qui en poussa un hurlement déchirant. C’était un éclair noir, et, quand il frappa l’homme, il y eut une lueur magique virevoltante tout autour de lui. Il tomba à genoux, de la fumée s’échappant de son corps. Quel était donc ce nouveau maléfice ? Lucifer, lui semblait tout simplement s’en, amuser, et déambula un peu.
«
Ça ne fait rien... Je te l’ai dit, j’aurais mes réponses. Tu es venu ici en tant que conquérant, petit, dans l’un des endroits les plus dangereux de l’Univers, en pensant pouvoir me soumettre. -
Que... ?! -
Ceci étant dit, tu as raison sur un point: cet endroit est une décharge... Mais c’est ma décharge, et je la connais mieux que personne. Et je sais comment contrôler les éclairs magiques qui viennent à ma surface. »
Lucifer leva à nouveau les yeux, et un autre éclair frappa l’homme, répandant une violente onde magique autour de lui.
«
J’ai compris dès le début que ton pouvoir reposait sur les Péchés Capitaux. Tu t’en engorges, et, plus une personne en est remplie, plus ton pouvoir croît... Mais il existe des forces naturelles contre lesquelles toute ta magie est inopérante, Champion, ou quel que soit ton nom d’esclave que le Roi Cramoisi ait bien voulu te donner. Et il existe ces éclairs... Ils broient la magie, et, plus une personne est puissante, d’un point de vue magique, et plus les éclairs sont douloureux... »
Pour Lucifer, le combat touchait maintenant à sa fin.
ALASTAR
L’intuition féminine tant vantée par Alastar les ramena tout droit dans la gueule du loup... Ou de l’araignée. La porte se referma derrière eux, les amenant dans une grande pièce, plus longue que large, avec une armada d’araignées. Cependant, contrairement à celles dans la chapelle, celles-ci ne s’écartèrent pas. Au contraire, elles grouillaient sur le sol, cliquetant avec leurs petites pattes. Alastar aurait pu lancer des boules de feu pour les faire toutes flamber, mais il avait peur que ceci ne déclenche une sorte de sécurité magique. Il n’était pas normal qu’il y ait autant d’araignées ici, et, en regardant autour de lui, il remarqua, sur leur droite, une sorte de socle de la taille d’une main, avec des lignes et des runes incrustées.
*
Illisibles...*
Shad proposa à Alastar d’utiliser ses ailes. Ce dernier fit la moue, mais hocha la tête. Oui, il n’aimait effectivement pas s’en saisir, il trouvait que ça lui donnait un air monstrueux, et il voulait paraître doux et mignon. Néanmoins, nécessité faisait loi. Il hocha donc lentement la tête, puis se concentra... Et une paire d’ailes poussa lentement hors de son dos, le faisant légèrement souffrir, avant qu’elles se retrouvent déployées.
«
Bien... Viens dans mes bras, Shad. »
Il la serra contre lui, puis commença à décoller du sol, et essaya de s’élancer au beau milieu de la pièce, sans trop se laisser tomber. Ses ailes étaient longues, et il frissonna quand quelques araignées tombèrent dessus, ou qu’il heurta des toiles. Là encore, il était anormal que toute la pièce ne soit pas remplie de toiles, ce qui aurait été logique, vu le nombre d’araignées. Il se passait définitivement des trucs incompréhensibles dans ce palais, renforçant le désir d’Alastar de foutre le camp d’ici aussi vite que possible. Pour rien au monde, il n’avait envie de faire de vieux os dans un endroit pareil, si effrayant, si...
Arachnéen.
Le duo se déplaça donc en volant, et Alastar se posa de l’autre côté, face à la grande porte, et fit flamboyer sa peau, repoussant les quelques araignées qui avaient élu domicile sur ses jambes, son dos, ou même sur sa queue caudale.
«
Bande de saloperies... »
Une porte se trouvait au fond de la salle, et elle s’ouvrit rapidement, les conduisant dans un autre endroit.
Ils arrivèrent dans une grande pièce avec un escalier devant eux conduisant au centre de la pièce. C’était une vaste pièce ovale avec d’énormes étagères...
«
Une bibliothèque... »
Toutes ces mesures de sécurité pour protéger une simple bibliothèque ? Alastar grommela, et descendit les marches. L’endroit semblait totalement vide. Quatre grandes étagères formaient la bibliothèque, avec, au centre, une sorte de pupitre. Un livre se trouvait là, et Alastar frémit en s’en approchant, et en voyant le nom figurant sur la couverture. Un nom écrit dans l’ancienne langue démoniaque.
Un livre sombre et sinistre.
«
Le Necronomicon... »