Soirée d'ennui. Assise mollement sur une petite chaise en bois, dans la chambre d'auberge qu'elle occupait depuis quelques semaines, Anastasia ressentait une sorte de lassitude, sans pour autant être prise d'une réelle fatigue. Elle n'avait pas la moindre envie de lire, ni de se coucher. Encore moins d'aller se mêler aux ivrognes en bas. Alors elle tapotait la petite table devant elle avec ses doigts, et elle regardait à travers les carreaux ternes de sa fenêtre d'un air absent. Ça n'était de toute façon pas comme s'il y avait quoi que ce soit d'intéressant à regarder : la vue était bouchée par une imposante façade sans fenêtre, qui, avec le mur de l'auberge, prenait en étau un petit cul de sac sordide. Rien de bien réjouissant.
Le bruit d'une agitation parvint soudain à ses oreilles; Tiens, ça crie dehors... pensa-t-elle distraitement. Ça n'était pas la première fois qu'il se passait des choses effrayantes, dehors. Nexus n'était pas non plus au top, niveau sûreté. Mais bon, cette fois, quand même, on pouvait dire qu'il y avait du peuple en action. Ça cavalait, ça gueulait à pleins poumons. Les cris s'approchèrent de plus en plus ; ils éclataient dans la nuit avec une puissance sauvage et Maelie, de derrière sa fenêtre, protégée par les murs d'une taverne remplie d'honnêtes poivrots, sentit un frisson de d'appréhension la traverser. Il y avait des hommes dehors, ou plutôt des animaux, prêts à en découdre. Prêts à détrousser leur prochain, le laminer sous leurs semelles, ou peut être l'égorger, qui sait ? Plus qu'à moitié hommes, impossibles à raisonner.
Bientôt, les cris furent si proches que la jeune froussarde dut se rendre à l'évidence : la troupe venait de s'engouffrer dans la voie sans issue, juste sous sa fenêtre; prise par une curiosité inquiète, elle colla son visage au carreau pour observer. Une petite silhouette était acculée, mais elle ne voyait pas bien, de là où elle était... les hommes portaient des lances, et l'un d'eux s'avançait couteau en main. Le ventre de la succube se noua soudain ; Putain. Elle ouvrit sa fenêtre, sans réfléchir, faisant hurler les vieux gonds rouillés. Les hommes levèrent la tête vers elle, une seconde, puis retournent à leur sujet d'attention principal : le lynchage à venir. Elle restait bouche bée devant cette foule, maintenant relativement silencieuse ; aucun mot ne voulait sortir de sa bouche. Que leur dirait-elle de toute manière ?
Elle jeta à regard à la future victime : un jeune garçon, un blondinet en larmes. L'homme avançait d'un pas sûr, sa lame à la main. Maelie déglutit, ses paumes agrippant furieusement le rebord de la fenêtre.
"Laissez moi tranquille!! Je vous en prie laissez moi!!"
Ça n'était pas possible. Pas tolérable. Ils ne pouvaient pas. On ne tue pas un enfant qui pleure. On ne touche pas à un enfant. Seule sa raison l'empêcha de sauter à travers l'ouverture de sa fenêtre, du deuxième étage, directement sur le pavé, pour prendre l'adolescent dans ses bras. Mais si elle ne pouvait pas sauter, elle pouvait au moins crier.
"L-laissez le !... Bande de fils de putains, je vous ordonne de foutre le camp !!"
Oui, rien que ça. Sa voix avait résonné dans l'atmosphere nocturne, stridente, et elle les pointait maintenant de son doigt accusateur, depuis sa fenêtre. Tremblez, brutes !