Cette fois, c’est Sarah qui jubilait. Quand Yulia réalisa qu’une femme ne l’avait « jamais » touché, elle perdit de sa superbe, ne pouvant retenir sa surprise. La policière se permit d’en sourire, car elle supposait que cette femme d’affaires, une véritable prédatrice, ne devait pas avoir l’habitude de tomber de si haut, et d’être surprise, stupéfaite au point de ne plus savoir quoi dire. Ses yeux clignotaient lentement, alors que Sarah pouvait presque lire son esprit. Avait-elle bien entendu ? Est-ce que cette femme dans cette insolente tenue lui avait bien dit qu’elle n’avait jamais touché une femme de sa vie ? N’était-ce pas plutôt un fruit de son imagination ? De ses fantasmes lubriques ? Et, si c’était le cas, si cette femme avait vraiment dit ça, comment telle chose était-elle possible ? Sarah était policière depuis suffisamment longtemps pour avoir développé cette espèce de capacité intuitive à pouvoir deviner ce que ses interlocuteurs pouvaient penser. Elle sentait bien que la principale préoccupation de Yulia était de savoir si Sarah était hétérosexuelle ou non. Son raisonnement aurait alors tout d’un raisonnement policier. Un problème, des hésitations... On se rabattait alors sur les preuves, les éléments de faits, les indications objectives pouvant légitimement faire pencher la balance. Sarah était venue carrossée comme une pute de Brooklyn. Elle était dans une société hyper-sexualisée, où l’homosexualité féminine était la norme... Et, surtout, elle n’avait pas bronché à la présence intrusive du pied de Yulia. À partir de tout ce faisceau d’indices, que pouvait-on légitimement en déduire ?
Yulia finit par le comprendre, mettant fin à ce bref moment. Ce serait probablement le seul, de toute cette soirée, où Sarah avait alors eu l’ascendant psychologique, où elle pouvait se dire qu’elle avait déstabilisé cette femme si sûre d’elle. Yulia se releva rapidement, et, en la voyant s’approcher, avec cet air déterminé et serein qu’elle venait de retrouver, la policière se mit à frissonner. Maintenant, elle savait ce qui allait se passer. Elle s’écarta un peu de la table, sentant son cœur ralentir. D’où venait ce sentiment ? Cette palpitation ? Elle se sentait soudain toute chose. Le Witchblade n’avait jamais été aussi tendu, et ces quelques secondes, ces moments pendant lesquels Yulia s’avança vers son hôte, semblèrent durer une éternité. Quand le doigt de Yulia agrippa l’anneau doré entre les seins, Sarah, comme aimantée, ou envoûtée, se releva, et posa ses mains sur ses hanches, et l’embrassa. Elles n’eurent pas besoin de se parler. S’il devait y avoir un moment où le Witchblade avait pris le dessus, au point de se révéler à Sarah, ce fut bien celui-là. Si Sarah avait repoussé cette femme, et avait tenté de partir, le bracelet serait entré dans une rage noire, terrible. Combien de fois avait-il du affronter son bien-aimé au cours de ces derniers millénaires ? Cette fois, il ne pourrait pas le supporter. Cependant, Sarah n’était pas totalement hétérosexuelle, et, à travers ce baiser, elle découvrit, sans aucun doute possible, qu’elle était une bisexuelle.
Imaginez être sur une île déserte, sans avoir rien mangé depuis plusieurs jours. Poursuivez l’image, visualisez les palmiers, visualisez le ciel bleu, exempt du moindre petit nuage, remarquez le soleil chaud qui vous tombe sur la figure, et vous fait fondre vos cheveux... Imaginez cette faim qui vous tiraille le ventre, l’impossibilité de trouver un seul fruit sur votre bout d’îlot... Imaginez alors un navire venir, des individus vous amener en cuisine, devant un immense gâteau au chocolat, venant tout juste de sortir du four, fournie avec une crème anglaise qui fond comme du petit lait... Imaginez la sensation qui traverse vos lèvres lors des premières fournées. Visualisez-là, mémorisez-là, entretenez-là... Et vous pourrez alors avoir une chance de sentir ce que Sarah sentit quand Yulia l’embrassa.
Le Witchblade lui demanda de palper le cul de cette femme. Il tapa aux abonnés absents. Ce fut comme un choc, une sorte de bombe nucléaire qui pulvérisa son cerveau, arrachant digues, fenêtres, toitures, murs, silos, bunkers souterrains, stations spatiales, pulvérisant les planètes, les systèmes solaires, les galaxies, ravageant l’Univers tout entier. Les secondes fondirent comme la neige au soleil, laissant une Pezzini patraque. Des mois et des mois à compenser son absence totale de vie sexuelle en traquant des pervers, en gueulant après des avocates qui prenaient un malin plaisir à inventer des accusations grotesques sur son compte, des mois d’une discipline de fer, une sorte de psychorigidité caractéristique du milieu policier. Tout ça explosait contre les lèvres de Yulia. Sarah ne répondait pas, se laissait faire, en oubliant même de respirer. Ce baiser... Oh, mais ce baiser n’avait pas de mots ! Elle ne voyait rien, aucun mot dans sa tête ne venait. Comme si un choc électrique venait de tout détruire. Esclave des lèvres irrésistibles de cette femme, Yulia aurait pu lui demander de se jeter par la fenêtre que Sarah aurait probablement été jusqu’à le faire.
Quand le baiser se termina, ce délicieux baiser, Sarah observait Yulia avec de grands yeux écarquillés, sans savoir quoi dire, quoi faire, quoi penser. Comme un rêve, elle flottait, revenant peu à peu à la réalité, sentant un frisson sur ses lèvres, et un contact tendre, chaud, et doux entre ses doigts.
*Elle... Elle m’a... Embrassé ?*
Oui... Elle l’avait...Elle l’avait... Embrassé. Embrassé ! Et cet arrière-goût sur les lèvres, cette sensation qui remontait le long de son estomac, gargouillant dans son ventre...
*Em... Bras... Sé…* se répétait-elle, comme le leitmotiv d’un disque rayé.
Yulia se pencha alors vers elle, et murmura des mots doux à son oreille.
« Tu vas me suivre dans ma chambre. Toi et moi, nous allons passer la nuit à faire l'amour, et ce n'est pas négociable » conclut-elle.
Sarah répondit par un léger soupir, et Yulia la tira ensuite. Sans doute aurait-elle pu lui mettre un collier autour du cou que Sarah n’aurait pas réagi pour autant. Elle avait encore ce goût sur les lèvres, ce sentiment d’éclosion. Elle suivit la femme, et c’est quand elles se rapprochèrent de la porte que Sarah commença peu à peu à émerger, que la sensation de béatitude intense du Witchblade s’évanouit. Sarah aurait alors pu partir, et, alors que la porte coulissait, cette perspective la tentait. La poigne de Yulia était ferme, mais Sarah était résistante, musclée. Elle faisait du sport, et Yulia, malgré son allure, n’était qu’une femme d’affaires. Sarah aurait pu la laisser là, la remercier pour le dossier de Wyglott, et décamper à toute allure.
Pourtant, elle se retrouva à l’intérieur, et la porte coulissa derrière elles, se verrouillant. La chambre était grande, chaude, sensuelle, avec une grande baie vitrée donnant sur Tekhos... Une brusque vision, et elle s’imagina, nue, en sueur, baisée contre cette vitre, hurlant sa joie à tout Tekhos. L’inbaisable tekhane qui se faisait défoncer le cul au Palazia Hotel ! Filmez, paparazzis ! Admirez-là, louez son corps, sa beauté ! Sarah était fiévreuse, et se retrouva alors contre le mur.
*Cette femme a une force insoupçonnable...*
Yulia l’embrassa, plus fougueusement, et, cette fois, Sarah y répondit. Elle caressa la hanche de Yulia, et soupira, l’embrassant énergiquement, mordillant ses lèvres, tirant dessus, avançant son autre main pour caresser ses longs cheveux. Elle sentit ensuite Yulia attraper ses poignets, afin de les plaquer contre le mur. Sarah se laissa faire, gémissant de plaisir. Yulia se frotta contre elle, et le latex se mit à crisser, leurs seins remuant les uns contre les autres, glissant entre eux, se caressant, se titillant, se pressant. D’exquises sensations remuaient dans son ventre, et Sarah sentait son bas-ventre se liquéfier sur place.
Le baiser dura un certain temps, Sarah gémissant de plaisir, mordillant ses lèvres, et remua ses bras. Si le Darkness poussait, le Witchblade aussi, et le Darkness était en train de comprendre que ce qu’il avait devant lui n’était pas une soumise voulant se faire latter le cul par sa Maîtresse. C’était un putain de volcan en sommeil qui était en train d’exploser, d’entrer violemment en éruption. Les poignets de Sarah s’écartaient du mur, avant de revenir, tapant contre ce dernier, tandis qu’elle remuait son corps, frottant ses belles bottes contre les jambes de Yulia. Auraient-elles été moins excitées qu’elles auraient pu voir ici le signe avant-coureur de leur future déchéance, mais aucune des deux femmes n’était alors en état de pouvoir le prédire. Tout ça était tout simplement bien trop délicieux, et, avec le recul, quand Sarah repenserait à ça, elle se dirait que, si c’était à refaire...
...Et bien, elle le referait sans hésiter.