Cette femme n’avait eu aucun formateur spécial ? Juliette était surprise. La magie était un domaine très difficile à comprendre, et Juliette était bien placée pour le savoir. Sans livres, il était virtuellement impossible d’apprendre la magie. Les légendes disaient que le premier mage de Terra, historiquement parlant, était un mage légendaire, Maerlyn, qui était à l’origine de la création fondamentale de la magie élémentaire. On disait que le pouvoir de Maerlyn était sans fin, et qu’il pouvait déconstruire la matière rien qu’avec la puissance de son regard. Historiquement parlant, il n’existait cependant aucune preuve de l’existence de Maerlyn, ce qui faisait que Maerlyn s’apparentait plus à un mythe primitif, comme le mythe d’Adam et d’Ève, plutôt que comme une personne authentique. Quoiqu’il en soit, Juliette savait que, en ne s’aidant que de livres, il fallait s’armer de patience, et disposer d’un certain talent, pour réussir à maîtriser la magie. Le plus grand risque était de se lancer dans des aventures ambitieuses, de réaliser des invocations en se trompant dans les runes de protection. Si Décatis avait réussi, c’est qu’elle devait effectivement être une femme fortement disciplinée. Elle méritait le respect de Juliette, et cette dernière se sentait délicieusement enjouée à l’idée de travailler auprès de cette femme.
La visite préliminaire était terminée. Juliette ne pouvait pas encore travailler, tant que certaines formalités administratives n’étaient pas remplies. Il fallait qu’elle fasse sa convention de stage, que l’administration de l’académie l’homologue, et qu’elle en envoie une copie à Décatis, afin que cette dernière donne son approbation. Ensuite, Juliette pourrait commencer à travailler. En attendant, Décatis lui avait soumis une petite énigme : deviner les effets enchanteurs d’une mystérieuse amulette. L’amulette était un pendentif, et Juliette pouvait sentir la magie irradier entre ses doigts.
*
Il va falloir que je me livre à des expériences pour en savoir plus sur le fonctionnement de cet engin...*
Elle était toute excitée à cette idée. Elle se voyait déjà dans sa chambre magique, au manoir familial, à se livrer à des expériences, comme quand elle était encore jeune, et qu’elle essayait de réaliser des boules de feu. Certes, ses expériences n’avaient jamais vraiment réussi, mais elle se souvenait encore de cette excitation fébrile qu’elle avait ressenti en sentant le frisson de la magie caresser son échine, remonter le long de son corps. C’était une sensation incroyable, presque divine, l’une des plus grandes joies qu’elle n’avait jamais ressenti au cours de son existence. Juliette était impatiente à l’idée de le faire, et son excitation devait être palpable.
«
Vous pouvez passer m'apporter les papiers ou vos résultats quand vous voulez. »
Juliette retint son sourire. Elle tenait le pendentif entre ses doigts, et lui répondit rapidement, divulguant quelques explications :
«
L’administration postale vous enverra la convention d’ici quelques jours. Vous n’aurez qu’à la signer, et la renvoyer. Ça ne devrait prendre qu’une semaine, je m’y attellerai tout de suite. »
Elle sortit ensuite de la boutique, et salua Décatis.
«
J’ai hâte de vous revoir. »
Et, sur ce, elle retourna vers le grand manoir familial.
Chez elle, Juliette ne croisa pas sa Mère, fort heureusement, et elle se rendit vers l’un des nombreux salons du manoir. La propriété des Beaumont, selon les datations réalisées il y a plusieurs années sur les pierres, indiquait qu’elle avait fait partie des premiers bâtiments construits lors de la création de l’Empire, il y a des millénaires. Ceci en faisait l’une des bâtisses les plus onéreuses de la ville. C’était presque un château, avec des cours, une piscine interne, des dépendances, incluant des écuries. La propriété faisait plusieurs hectares, et se trouvait dans les quartiers luxueux d’Ashnard, là où on ne trouvait que des familles militaires et des manoirs immenses. Il y avait en tout une centaine de gardes surveillant la propriété, et de nombreux pièges magiques.
Juliette se rendit dans un agréable salon, pour y rédiger sa convention, et eut la surprise de constater qu’il y avait déjà quelqu’un.
Izaël se tenait là, dans sa magnifique robe bleue, et une tête était glissée à l’intérieur, appartenant à un esclave tout nu, et plutôt bien bâti. Elle tenait un verre de sang frais dans la main. Juliette sentit sa bonne humeur s’envoler, et allait entreprendre de faire demi-tour, quand Izaël, dans un léger soupir, tourna la tête vers elle.
«
Tiens donc... Je ne t’avais pas vu si enjouée depuis l’époque de ce cher Valentin... »
De toutes ses sœurs, Izaël était celle que Juliette craignait le plus. Elle avait le don constant de rappeler à Juliette à quel point cette dernière faisait honte aux Beaumont. Elle buvait de son verre de sang en l’observant, une lueur amusée sur le visage. Izaël savait très bien que mentionner Valentin, cet homme qui avait fait battre le cœur de Juliette, suffisait à énerver cette dernière, car on lui renvoyait son image de «
boulet » en pleine figure. Elle se retourna alors.
«
Je... C’est que... J’ai trouvé un... -
Suis-je donc à ce point intimidante pour que même ma sœur ait à ce point peur de me parler ? Mon rôle est de te protéger, Juliette, tu le sais bien. »
Izaël était d’une telle hypocrisie qu’elle savait très bien comment masquer le dégoût profond que Juliette lui inspirait.
«
Je... Je suis désolée, Izaël, je... Je ne voulais pas te déranger... Je... Euh... -
Me déranger ?! Mais pourquoi me dérangerais-tu ? »
Juliette rougit confusément, et ses yeux glissèrent sur l’homme nu. Le brave avait une érection, mais elle ne voyait pas le haut de son corps. Izaël capta sans difficulté son regard, et rit doucement. Un rire beau, cristallin, mais qui, sans qu’elle ne puisse se l’expliquer, avait toujours sonné faux aux oreilles de Juliette.
«
Oh, ça ! Allons, ma chérie, ce n’est qu’un esclave... C’est lui qui t’intimide ? -
Non, mais... »
Elle n’eut pas le temps d’achever que l’une des mains d’Izaël plongea sous sa robe, griffes dehors. L’esclave poussa un bref couinement, tout son corps se tendit pendant quelques secondes, puis Juliette, les yeux écarquillés, vit des rivières de sang pourpre glisser du corps de l’homme. Izaël ramena sa main, pleine de sang, et la lécha tendrement, sensuellement, doigt après doigt, en observant une Juliette effrayée. Le corps de l’esclave glissa lentement, et s’écroula sur le sol. Les cinq griffes s’étaient abattues dans son dos, juste sous sa tempe. Il était mort sous le coup, et une flaque de sang était progressivement en train de se constituer sous son corps.
Izaël se releva alors, et s’avança vers Juliette. Sa main ensanglantée caressa la joue droite de sa sœur, et Izaël, en souriant, l’embrassa alors tendrement sur les lèvres. Juliette essaya de se dérober, mais, comme à chaque fois, la présence de sa sœur aînée l’hypnotisait.
«
Tu es pathétique, Juliette... Tu continues à te soucier de la vie de tels minables... N’oublie pas qui tu es, Juliette... Tu as déjà apporté le déshonneur sur ton nom par deux fois : en naissant, et en réussissant à t’enticher d’un traître. Si Mère n’était pas aussi laxiste à ton égard, il y a bien longtemps que je t’aurais appris à agir comme une Beaumont, et non pas comme une petite pucelle de Nexus. »
Juliette déglutit faiblement. Izaël sourit à nouveau, et s’écarta, puis partit.
Juliette réalisait qu’elle avait failli vomir. Elle ne pouvait s’empêcher d’observer le cadavre sur le sol.
*
Elle l’a fait pour que je me sente coupable...*