NOTE INTRODUCTIVE
Je tiens à prévenir d’emblée que cette fiche ne reprend pas la biographie de Jessica Drew : d’une part, je connais pas des masses l’histoire des autres Spider-Women, et, d’autre part, j’ai trouvé plus intéressant, pour ce personnage, d‘inventer une autre histoire.
Pour cette fiche, j’ai adopté une présentation consistant à la découper en épisodes, un peu comme un comic. Il s’agit donc d’une sorte d’histoire qui se prolongera dans mes RP. Pour les paresseux, un résumé sera inclus en bas de cette fiche, sous forme de glossaire.
Veuillez noter que cette fiche s’inscrit comme un préambule aux aventures de Jessica Drew, une sorte d’introduction.
J’aurais bien aimé l’appeler « Jessica Drew », mais ce pseudonyme est malheureusement déjà pris.
J’espère que vous en apprécierez la lecture.
Et j'offre un câlin à celui qui aura réussi à tout lire =)
#001 : "A SPIDER IN MY BRAIN..." Elle courait sans s’arrêter, se rappelant toutes les étapes. La passerelle en bois avait été son premier objectif, et elle l’avait atteint, filant au-dessus de la rivière avec la cascade, en ne regardant pas en arrière. Surtout pas. Elle ne voulait pas regarder derrière elle, et elle courait, filant dans la forêt. Les arbres étaient méchants, sinistres, trop grands. Difformes, ils cherchaient à la stopper. La forêt était avec lui, mais elle les battrait. Elle avait réussi à surmonter sa peur en passant par le trou dans la clôture. Toutes lui avaient dit qu’elle n’avait aucune chance. Mais ce n’était pas ce qu’elle pensait. Elle était courageuse et intrépide, et elle connaissait le chemin à prendre. Suivre la grande étoile qui brillait dans le ciel, son guide immortel, contre lequel il ne pouvait rien. Quand elle ne savait plus où aller, elle cherchait un endroit dégagé d’où elle pouvait revoir, à travers les feuillages des arbres, la grande étoile, le guide silencieux et nocturne. Elle reprenait alors sa course, mais la forêt était traîtresse.
Son pied heurta une racine, et elle tomba sur le sol, se foulant la cheville, déchirant sa jupe blanche, roulant par terre. Secouant la tête, elle se redressa, et reprit sa course effrénée. Elle respirait lourdement. Sa poitrine lui faisait mal, et des mèches de cheveux rebelles avaient trop souvent tendance à se plaquer contre ses yeux. Elle devait les retirer, en continuant à courir. Elle finit par grimper un petit talus, et vit enfin ce qu’elle cherchait.
Le chemin gris et dur. Elle se posa dessus, épuisée, et tourna la tête à gauche et à droite. Au loin, elle voyait de grandes tours lumineuses qui brillaient furieusement. Là-bas, elle obtiendrait de l’aide. Assurément. Mais il fallait encore y aller, car l’endroit était éloigné. Très éloigné. Elle se mit donc à marcher, en suivant le chemin gris et dur, quand elle perçut dans son dos de vives lumières. Elle se retourna, plissant les yeux, établie, tandis que deux grosses lampes se rapprochaient en bourdonnant furieusement. C’était un engin similaire à celui qu’il y avait dans la ferme, et il s’arrêta face à elle. De soulagement, son cœur battait la chamade, mais elle sentit alors une présence dans son dos.
Elle n’eut pas le temps de penser quoi que ce soit qu’une main se posa sur ses lèvres. Elle poussa un cri de panique.
« Tu me déçois beaucoup, lâcha l’homme. Où donc cherchais-tu à aller ?
- Huuumm !! »
Elle mordilla dans sa peau, et il sembla s’énerver, en raffermissant sa prise.
« Je fais tout ce que je peux pour toi, j’essaie de t’éduquer, de bien t’élever, mais tu te refuses à obéir... L’obéissance est une vertu cardinale, martelait-il, tu comprends ce mot ? Je n’aime pas faire ça, mais tu ne me laisses pas le choix. »
Elle continuait à gémir, sentant des larmes couler sur ses yeux.
« Oh non, non, Charlotte, ne pleure pas... Les larmes et les gémissements seront pour plus tard. » *
* *
«
Et si tu me racontais ta journée, Jessica ? »
La voix de la femme était apaisante, comme les images qui défilaient autour d’elle, ou le fauteuil dans lequel elle était allongée. Mais son regard fuyant témoignait de la difficulté qu’elle avait à en parler. Elle ne voulait pas spécialement parler de cette journée, mais elle savait que Maman Carol serait fâchée... Et, si Maman Carol était fâchée, Maman Kelly ne lui donnerait pas sa visiosphère. Elle ne voulait pas que ça arrive, mais, d’un autre côté... Elle ferma les yeux, laissant s’échapper plusieurs secondes, avant que la doctoresse ne reprenne.
«
Tu as été à l’école, n’est-ce pas ? -
O-Oui... réussit-elle à dire.
Comme tous les jours... -
Et tu as fait quoi à l’école ? -
Ben, j’ai fait du dessin et j’ai appris mes leçons. »
Elle parlait lentement, sans trop rien dire, essayant de ne surtout pas repenser à ce moment.
«
Tu as eu un cours de dessin, reprit la femme.
-
Oui... -
Et ça s’est bien passé ? »
Jessica ne dit rien, n’arrivant pas à parler, les joues rouges. Dans sa tête, elle repensait à cette salle... Il fallait dessiner quelque chose, et elle avait entrepris de faire un beau dessin de sa maison. Elle était à côté de Danielle, son amie, qui dessinait aussi, et Danielle lui avait donné un coup de coude pour qu’elle regarde ce qu’elle avait dessiné. Alors, Jessica s’était penchée...
«
Tu sais que ce que tu as fait est très grave, n’est-ce pas ? -
Oui... Mais j’ai pas voulu le faire, je sais pas ce qui s’est passé... Je vous assure que je ne voulais pas ! -
Je ne suis pas là pour t’accuser, Jessica, okay ? Je sais que tu ne voulais pas blesser Danielle, que tu n’avais pas, à l’origine, d’intention malfaisante, mais le fait est qu’elle s’est retrouvée à l’infirmerie, et qu’elle a eu très peur... Tous tes camarades ont eu très peur, y compris tes mamans. -
Mais je voulais pas, je vous le jure ! »
Un léger silence s’installa, suite aux propos de Jessica. La doctoresse ne disait rien, et Jessica avait encore envie de pleurer. Elle avait des espèces de ventouses contre le front. Elles l’énervaient, mais elle n’avait pas le droit d’y toucher. Autrement, la doctoresse se fâchait. Elle pensa à ce dessin, ce dessin
affreux.
«
C’est son dessin, n’est-ce pas ? C’est ça qui t’a énervé ? Non, pardon... Qui t’a effrayé ? »
Elle ne dit rien, mais hocha la tête de haut en bas. Jessica ne pouvait pas voir la doctoresse, mais elle savait que elle, elle pouvait la voir. Elle serrait nerveusement ses petits poings, tandis que, dans sa tête, le dessin se formait à nouveau. Elle ferma les yeux, essayant de le chasser, mais c’était plus fort qu’elle. Et, quand elle revit l’image, son cœur se mit à s’emballer dangereusement. Elle avait planté son crayon dans la main de Danielle, parce qu’elle allait terminer son dessin.
Il représentait une araignée. Une belle et longue araignée.
Aujourd’hui, Jessica avait six ans.
#002 : "WE'RE GOING TO SEND THEM A MESSAGE !" « Nous faisons ce qui est nécessaire, c’est aussi simple que ça. Ce n’est pas une question de Bien ou de Mal, ces notions sont bien trop fluctuantes pour qu’on s’y accorde. C’est le dévouement qui est important, tu comprends ? »
Il ne répondit pas, se contentant d’hocher la tête. Les deux hommes avançaient le long des baraquements. Ils étaient plongés dans l’obscurité. Aucune fille n’avait le droit de veiller quand l’heure du couvre-feu sonnait. Il fallait respecter les règles. Lislee ne les avait pas respectés. Celle qui ne respecte pas les règles encoure des sanctions, c’est aussi simple que ça. Ils s’avançaient le long de l’allée. L’homme qui parlait était âgé, mais toujours vigoureux. Celui à côté de lui portait dans une main une carabine, qu’ils se servaient pour abattre le gibier qui s’approchait de la ferme. La menace hostile, extérieure. Le gibier... C’était exactement ce qui convenait.
« Manuel est prêt ?
- Il est dans le van, il n’attend plus que nous la déposions.
- Parfait. »
Elle avait vraiment cru qu’ils ne la verraient pas... Une sale petite journaliste, qui venait fouiner, qui venait perturber son exploitation. C’était elle qui avait du inciter Lislee à s’enfuir. Mais, dans le fond, il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Il avait été négligent dans la sécurité. Une erreur qu’il ne referait plus. Ils se dirigeaient vers une grange où aucune fille n’avait le droit d’entrer, et sortit de sa poche intérieure une clef, avec laquelle il ouvrit la lourde serrure de la porte du hangar. La porte s’ouvrit dans un couinement, et une odeur nauséabonde lui agressa les narines.
Ce qu’il restait de la journaliste était suspendu à des chaînes, enfoncées dans sa chair rougeoyante. Des moustiques entouraient son corps sanguinolent. Il contempla silencieusement ce qu’il restait du cadavre. Il savait comment Manuel faisait. Il incisait, au centre. Il avait toujours aimé les dissections. Petit, il passait son temps à tuer les rats et les autres animaux sauvages de la ferme, puis à aller dans son laboratoire, et à les découper, arrachant les organes, les inspectant, essayant d’en comprendre le sens... Avec cette fille, il avait fait pareil. Il l’avait ouvert avec un scalpel, puis avait mené ses recherches.
« Détache-là. »
L’homme se rendit près d’un levier, et appuya dessus. Les chaînes relâchèrent le cadavre, qui tomba sr le sol, dans un bruit d’explosion molle. Silencieusement, l’homme la glissa ensuite dans une housse, s’aidant de gants imperméables. Il ne tremblait pas en la portant, puis en la traînant dehors, vers le van.
« C’est bien, fils. Ne t’occupe pas de la saleté là-dedans, les filles feront le ménage demain. »
L’homme hocha la tête, puis fourra le corps à l’arrière du van.
« Tu es sûr qu’elles ne remonteront pas jusqu’ici ?
- Ai-je un jour commis une erreur ? répliqua-t-il, légèrement contrarié de voir son fils remettre en doute ses choix. Nous allons leur envoyer un message. »
Il avait bien senti le ton contrarié de l’homme, et préféra ne pas insister. Il se dirigea vers Manuel, et lui rappela où il devait déposer le colis. Dans un squat des Caligulas, un quartier de Tekhos Metropolis.
Ou plutôt un ghetto. *
* *
«
C’est bon, hein ? Tu l’as mérité... »
Jessica ne répondit pas, car elle savait qu’il n’était pas poli de parler la bouche pleine. Sa langue glissait sur sa belle glace à la fraise, alors que les deux femmes marchaient dans l’un des parcs de Tekhos Metropolis, vers l’aire de jeux. Comme à chaque fois, c’est Maman Kelly qui l’avait prise dans ses bras, la portant en lui faisant un gros bécot, et en lui demandant comment sa journée au collège s’était passée. Elle lui avait expliqué qu’elle avait eu un 18 à son contrôle de maths, et que c’était la meilleure note de toute la classe. Pour la récompenser, Maman Kelly avait décidé de lui acheter une glace, et Jessica avait presque bondi de plaisir. Elle adorait les glaces !
«
Est-ce qu’on ira encore voir Madame Holler ? -
Pas ce soir, ma puce. »
Jessica fut rassurée. Depuis des années, elle allait voir Madame Holler... Depuis ce qu’elle avait fait à Danielle, en fait. Mais, plus le temps passait, et plus les rendez-vous s’espaçaient, ou se raccourcissaient. Jessica n’en parlait pas trop, car c’était un sujet perpétuel de dispute entre Maman Kelly et Maman Carol, la deuxième insistant pour que Jessica continue à être suivie par Madame Holler, alors que Maman Kelly était plus réservée. Jessica n’aimait pas que ses mamans se disputent à cause d’elle, elle se sentait toujours coupable. Elle goûtait donc à sa glace avec appétit, jusqu’à rejoindre l’aire de jeux. Il y avait des toboggans, des cages, des filets, et tout ce qui faisait plaisir aux enfants.
Jessica avait toujours été une jeune fille dynamique, épuisante. Le genre de bébé qui courait dans tous les sens, et qui aimait faire des caprices quand ses mamans lui refusaient de la chantilly. À la maternité, Jessica avait été très gourmande. Kelly devait voler des biberons à la nurserie pour la satisfaire, et, dès l’âge de un mois, Jessica avait goûté avec joie à la crème chantilly. Une image dont les deux mères se souvenaient encore très bien. Kelly avait apporté la cuiller, et Jessica l’avait timidement léché, avant de la gober d’un seul coup, s’en mettant sur le bout du nez, avant de joyeusement taper dans ses mains. Elle avait toujours été gourmande, et, étrangement, elle avait toujours eu la phobie des araignées. Certes, l’arachnophobie était une phobie courante, très courante à Tekhos, mais, chez Jessica, elle était excessive, disproportionnée. La seule vue d’une araignée, dès qu’elle était bébé, la terrorisait, et, même au-delà de ça, la simple représentation visuelle d’une araignée était horrible. Carol et Kelly avaient du lutter contre ça, en mettant dans toute la maison des gadgets spéciaux répandant un gaz inodore faisant fuir les araignées, mais il arrivait toujours que des petites bestioles s’y faufilent. À cette fin, elles avaient même acheté un chat, qui avait été éduqué pour chasser les araignées.
Sur le toboggan, Jessica jouait avec joie, se lançant dans des odyssées incompréhensibles pour Kelly, qui l’observait avec un certain ravissement. Carol était une mère très exigeante, et Kelly, elle, l’était bien moins. Il n’était pas bien difficile de déterminer qui menait le couple à la baguette des deux. Carol était celle qui travaillait. Quand elles s’étaient rencontrées, Kelly avait un petit travail comme secrétaire, mais elle avait démissionné quand elle était tombée enceinte, et n’avait plus cherché à en retrouver un... Pas tant que Jessica serait si petite. Carol amenait de l’argent, et Kelly maintenait le ménage propre. C’était une manière de se répartir les tâches.
«
Regarde, Maman, je vole, je vole !! » s’extasiait Jessica en rigolant.
Kelly tapa joyeusement dans ses mains.
«
C’est bien, ma puce ! »
Aujourd’hui, Jessica avait dix ans.
#003 : "DO YOU WANT TO GO TO THE CALIGULAS ?" Quand le métro passait, on avait l’impression qu’un tremblement de terre se répandait. Ce n’était vraiment pas un endroit que l’inspecteur Dufy aimait aller. Mais le boulot vous forçait souvent à vous rendre dans les bas-fonds de Tekhos Metropolis. De l’autre côté de la ligne de métro, entre les sombres nuages, on pouvait voir les gratte-ciel du cœur de la ville. Elle souffla sur sa cigarette électronique, puis se décida à sortir de sa voiture, avançant vers le terrain vague où le cadavre avait été retrouvé.
Il y avait deux camions blindés des forces d’intervention, qui étaient surtout là pour repousser les badauds. Ceux qui n’étaient pas dans la rue regardaient nerveusement, depuis leurs fenêtres, cette présence policière, agressive, venant de l’autre monde. Pas le leur. Dufy portait un trench-coat supposée la protéger de la pluie. Elle jeta sa cigarette au sol, puis s’avança vers les cordons de sécurité. Les policières en armure étaient nerveuses. Aucune femme digne de ce nom n’aimait se promener dans les Caligulas, ce ghetto infâme et sinistre. Ce n’était qu’une succession de bâtiments abandonnés, d’entrepôts pourris, d’immeubles miteux rongés par la drogue, la moisissure, et les termites. Toute femme qui s’y aventurait avait toutes les chances de se faire sauvagement violer, torturer, et enterrer vivante.
Les Caligulas faisaient partie des quelques ghettos où la municipalité avait regroupé tous les mâles, la minorité sexuelle de Tekhos Metropolis. Comme il était indécent que des mâles se promènent dans les beaux quartiers, on avait pour coutume de leur trouver des logements sociaux ici. C’était un ghetto où la police avait du mal à imposer sa loi, l’État étant très mal perçu par les hommes. Comment s’en étonner ? Ils n’étaient que des bêtes sauvages, des animaux guidés par leurs pulsions primitives. Dufy le pensait sérieusement, comme bon nombre de Tekhanes, et elle craignait qu’une nouvelle émeute n’éclate dans les Caligulas. La tension était à son comble.
Le cadavre retrouvé ici était le cinquième d’une sinistre série qui n’avait rien d’habituel avec les meurtres habituels survenant dans les Caligulas. La presse avait d’ores et déjà donné un nom à ce psychopathe : le « Chirurgien fou ». Le mode opératoire du Chirurgien consistait à attacher ses victimes avec des sangles, puis à ouvrir leur ventre à l’aide d’un scalpel. Il faisait preuve d’une très grande précision chirurgicale, ses mains tremblant peu, et on ne relevait, sur les victimes, aucune trace de pénétration, de sperme, ou ce genre de choses. Tous les mâles étaient marqués à la naissance, en raison de leur degré de dangerosité naturelle. Des traces de sperme auraient permis de remonter la trace du Chirurgien, mais ce salopard était talentueux.
« Vous voilà, Dufy ! lâcha la lieutenante Bornell.
- J’ai fait aussi vite que j’ai pu, Madame.
- Je vous préviens, ce n’est pas beau à voir. »
Le cadavre avait été isolé dans une tente, qu’on avait dressé autour de la scène de crime. La tente était à côté d’un pont, et certains témoins affirmaient avoir vu un van gris s’arrêter le long du pont, avant qu’un homme ne balance le cadavre en ouvrant une housse. Il n’y avait aucune caméra de sécurité sur le pont, et les témoignages étaient contradictoires, résultant de camés et de junkies. Pour les uns, il était maigre. Pour les autres, gros. Mais tous s’accordaient sur la présence d’un van gris métallique, comme ceux que les boucheries utilisaient pour transporter de la viande. Un van frigorifique, en somme. C’était leur seule véritable piste, et Dufy avait utilisé les ressources de la police pour, en tenant compte de l’heure approximative du décès, grâce aux autopsies, essayer de trouver les différents vans frigorifiques des sociétés de boucherie en circulation. Elle avait étendu ses recherches à toute société susceptible d’employer ce genre de vans, et avait obtenu de nombreux résultats, qui s’affinaient au fur et à mesure que le nombre de morts augmentait.
Dufy se rapprochait de la tente. Les TIC se baladaient le long du terrain vague, à la recherche d’indices, ainsi que sur le pont. On retrouverait sûrement les mêmes traces de pneus. Des pneus classiques pour des vans de ce genre. Toute la difficulté, la réelle difficulté, était que l’enquête devait avoir lieu dans les Caligulas, mais qu’il était très difficile d’y entrer. Les témoins et les pistes se refroidissaient, par solidarité masculine envers l’étranger. Dufy avait l’intime conviction que les Caligulas savaient qui était le Chirurgien, et qu’il se protégeait à l’intérieur du ghetto.
« Vous avez relevé son identité ? »
Bornell hocha la tête, donnant quelques explications. La première victime avait été une journaliste. Il n’y avait aucun lien apparent entre les victimes, et la dernière était une simple étudiante en criminologie.
« Les médias vont se lâcher... Quelle foutue merde... grognait Bornell.
- La réponse est là-dedans, Madame. Dans ces immeubles délabrés. J’en ai l’intime conviction, le Chirurgien se cache à l’intérieur. J’ignore s’il est natif des Caligulas, mais il ne pourrait pas balancer toutes ces victimes sans qu’on ne sache qui il est.
- Alors, il va falloir convaincre le commissaire-major d’autoriser une intervention armée pour appréhender Ballas. »
Ballas était un humain, un trafiquant de drogue, un marchand d’armes, et chef de l’un des plus puissants gangs de rues des Caligulas, qui allait jusqu’à mettre leurs tags hors du ghetto. Ballas saurait des informations sur le Chirurgien, mais il ne les communiquerait jamais. Retranché dans son bunker, le seul moyen de le déloger était d’envoyer une force de frappe, ce à quoi le maire, les Sénatrices, et le commissaire-major, étaient réticents.
Pendant ce temps, l’enquête n’avançait pas.
En deux ans, c’était la cinquième victime, et le rythme s’accélérait. *
* *
«
...En 1742, le Professeur Silverstone réussit à obtenir du Sénat les crédits nécessaires à la poursuite de ses théories. Ce sont ces dernières qui ont permis à Silverstone d’inventer le moteur à explosion, faisant partie de cette vague de chercheurs et de scientifiques qui ont réussi à moderniser notre État... »
C’était un cours soporifique.
Vraiment ! Jessica avait beau être attentive, elle s’ennuyait royalement. Au sein du lycée Meadrow, chaque journée était organisée par thème. Aujourd’hui, le Jeudi, le thème du jour était l’Histoire. Tous les cours de la journée étaient liés à l’Histoire. Hier, il s’agissait des sciences naturelles, et, avant-hier, des sciences sociales. Les cours d’Histoire se distinguaient en plusieurs catégories : Histoire de l’art, Histoire de la société tekhane, Histoire du monde... Et, en ce moment, c’était un cours barbant : Histoire de la science. Les disciplines étaient nombreuses, et ce cours-ci ne durait que quelques semaines. Son objectif était d’apprendre comment la civilisation tekhane avait réussi à se développer par rapport aux autres.
Tous les élèves étaient assis, prenant des notes sur un pupitre. Il s’agissait d’une espèce de terminal d’ordinateur, avec un écran tactile. Jessica notait soigneusement. Le terminal donnait accès au réseau interne du lycée, l’Intranet local, d’où chaque élève avait une messagerie, et pouvait accéder aux ressources pédagogiques ou administratives du lycée. Tandis que la prof’ parlait, Jessica se retenait de bailler... Lorsqu’elle reçut un message. Il émanait de Beth, l’une de ses copines, et elle l’ouvrit rapidement, avant de voir un message :
« REGROUPEMENT CE MIDI !
Et t’as pas les moyens de refuser ! »
Elle ravala brièvement son sourire, afin que la prof’ ne le voit pas, et continua à noter. On était Jeudi... Les filles avaient sûrement un plan pour passer la soirée Vendredi. Pour le coup, Jessica était impatiente de savoir de quoi il s’agissait.
*
* *
«
Les Caligulas ? s’exclama-t-elle, confuse.
-
C’est un endroit très sympa, rétorqua Beth, assise sur le banc.
-
C’est un regroupement d’hommes ! objecta Jessica.
-
Tu ne m’apprends rien, là, trésor... »
Elles formaient un groupe de cinq filles, dont Jessica était la dernière arrivée, Beth étant la leader officieuse et reconnue de leur clan. Maman Carol n’aimait pas Beth, ce qui, pour Jessica, était justement une excellente raison d’aller vers elle. Le plan de Beth était d’emmener ses copines aux Caligulas, car elle y avait été la semaine dernière avec sa sœur aînée, qui était à la fac’. Toutes les filles connaissaient ces quartiers d’hommes, qui étaient les banlieues de Tekhos Metropolis, des endroits dangereux et mal famés. Combien de fois Maman Carol lui avait dit que, si elle couinait trop longtemps, elle finirait aux Caligulas ?
«
Mais les mâles sont dangereux ! C’est ce que Madame Tichiry nous explique ! -
Cette grosse vache ridée ? souffla Beth en secouant la tête.
C’est grotesque ! »
Il était vrai que Madame Tichiry était vraiment moche. Elle était âgée, ridée, avec un ventre énorme, et les filles passaient leur temps à se moquer d’elle. Mais, pour autant, la perspective d’aller aux Caligulas inquiétait un peu Jessica.
«
Et pourquoi tu veux qu’on y aille, d’abord ? -
Parce que c’est cool ! C’est vrai qu’il y a des coins craignos, ouais, mais y a aussi pas mal d’endroits sympas. Des boîtes de nuit, des bars... Et, crois-moi, les mecs, ça a rien à voir avec toute ce que ces frigides en disent. -
Ça veut dire quoi, ça ? »
Beth se contenta d’un petit sourire malicieux.
«
Je préfère te laisser la surprise. -
J’ai pas dit que je viendrais... -
Tu fais ta timide, Jess’ ? Ça ne te ressemble pas vraiment... »
Jessica eut une petite mine boudeuse. Au fond d’elle, elle savait toutefois qu’elle avait envie de voir ce fameux quartier, dont on lui disait tant de mal. Et puis, contrairement à ce que sa mère disait, Beth n’exerçait pas du tout une mauvaise influence sur elle. Elle était intelligente, drôle, vivace... Même si Jessica la soupçonnait de l’avoir fait. Bien sûr, elle ne devrait rien dire à ses parents. Mais ce ne serait pas la première fois qu’elle leur mentirait, après tout.
#004 : "THEY SEEM TO BE LIKE US..." Elles l’amusaient. Il aimait la manière dont elles le surnommaient. Le Chirurgien. Ça lui donnait une certaine authenticité, une certaine crédibilité. Elles l’amusaient, elles, elles et leurs efforts pathétiques de le comprendre, de le neutraliser, de l’appréhender, de le poursuivre. Ils avaient tendu un appât, et, empêtrées dans leurs clichés, dans leurs fantasmes, dans leur sexisme, elles avaient mordu à l’hameçon, plongeant dedans. Les Caligulas. Le Chirurgien n’était pas considéré comme un psychopathe isolé, mais comme quelqu’un qui tuait dans les Caligulas. Ça faisait une différence, ça donnait à ses crimes une dimension politique. Il aimait ça. Il contribuait au bonheur de sa famille, et, parallèlement, il était sur les feux de la rampe. Lui, l’incompris, le rejeté. Il n’y avait pas plus grande fierté qu’il pouvait en tirer, et il espérait que ça continuerait. Il n’y avait bien sûr aucune raison que ça s’arrête.
Les Caligulas étaient un endroit qu’il n’aimait pas, mais c’était conforme à toutes les villes. Il préférait la bonne odeur de la campagne, la compagnie des animaux à celle des humains. Les humains grouillaient comme de sinistres cafards répugnants, et ils l’effrayaient. Il n’osait pas l’admettre, mais c’était la vérité. Il ne supportait pas qu’on le touche. Il était ainsi, avec ses petites manies. L’homme avançait lentement à travers les ruelles poussiéreuses, évitant les toxicos qui jonchaient le sol, les types qui buvaient comme des trous, les dealers à la sauvette. Il se dirigeait vers un immeuble délabré, qu’il connaissait bien, et ouvrit la porte d’entrée. Le hall d’entrée était rempli de boîte aux lettres explosées, de tags insipides, et d’une odeur de crasse dégueulasse.
Comment pouvait-on vivre dans une telle odeur ? Tous ces gens puaient. Rien que pour ça, il aurait aimé tous les tuer. Mais il ne devait pas se laisser aller. Enfonçant profondément les mains dans ses poches, il s’avança vers un escalier, l’ascenseur n’étant plus qu’une ruine rouillée, et le gravit, deux par deux. Dans l’escalier, un homme noir, avec une cagoule sur la tête, et des yeux exsangues, lui proposa un fix’. Il suffit d’un regard pour le faire taire. Il ne répondit pas, et se contenta de monter au troisième étage.
Quand il avait tué la journalise, il avait compris quelque chose d’important. Il avait compris pourquoi ça bloquait quand il essayait de le faire. En la découpant, en ouvrant son ventre, en voyant l’intérieur de son corps, en l’entendant gémir, la supplier, il avait ressenti le frisson. Une caresse le long de son corps, et, alors qu’il continuait, et qu’elle n’exprimait plus que de la douleur, il s’était lâché. Pas en elle, non. Ce n’est pas qu’il avait peur que la police le retrouve (pour lui, elles appartenaient à un autre monde, et elles ne pouvaient rien contre lui), mais il trouvait ça répugnant de le glisser dans une femme. C’était tout, et c’était aussi simple que ça. Il était un agriculteur, pas un animal. Pas comme elles, pas comme ces salopes qui se croyaient supérieures à lui. Il leur donnait une leçon.
Dans le fond, c’était peut-être un peu politique. Mais il n’y avait pas que ça. Ce sentiment de puissance, c’était comme une drogue. Il voulait encore le retrouver, encore le sentir. C’était plus fort que lui.
Il s’avança le long d’un couloir sinistre. Trois des quatre ampoules étaient mortes, et il s’avança vers une porte, et tapa lourdement contre cette dernière. Il entendit cinq ou six déclics, avant que toutes les serrures ne s’ouvrent, et la porte s’ouvrit. Il lut la peur habituelle dans les yeux de l’homme. Il tenait une arme dans sa main, mais la rangea bien vite.
« Tu en as ? » demanda-t-il simplement.
Il hocha la tête lentement. C’était un petit blondinet.
« Au Squeezie. Cinq filles... Des citadines, bien éduquées. Tu n’auras qu’à faire ton choix. »
Il était content. C’était tout ce dont il avait besoin. *
* *
Elles y étaient. La station de métro les avait déposé à quelques blocs d’ici, et elles avaient marché, Beth en tête. Carol croyait que sa fille allait passer sa soirée chez Luna, une autre amie que Carol ne considérait pas, fait exceptionnel, comme une «
voyou ». Elles avançaient vers
une espèce de tunnel poussiéreux, la fumée des égouts s’échappant par des canalisations. Depuis cet endroit, on pouvait voir, en hauteur, d’énormes et élégants gratte-ciel. Tekhos Metropolis dominait de toute sa hauteur ce tunnel d’accès. Elles auraient pu passer par les ponts menant aux Caligulas, mais elles tenaient à éviter d’attirer l’attention. Ce tunnel était plus discret, même si, pour le coup, il était carrément flippant.
«
T’inquiètes, Jess’, je te protègerai... »
Les filles parlaient entre elles, amusées, impatientes. Jessica, de son côté, avait attrapé son portable, afin d’envoyer un message rassurant à Kelly.
«
Tu te grouilles le cul, ou quoi ?! -
Ouais, ouais, deux secondes ! »
Elle appuya sur «
Envoyer », puis remit son portable dans sa poche arrière, et entreprit de suivre ses amies. Le tunnel était assez sinistre, avec une vieille odeur d’égout qui remontait. Il y avait essentiellement des portes de maintenance, et quelques clochards. Jessica vivait dans l’un des beaux quartiers de Tekhos Metropolis, et elle n’avait jamais rencontré de mendiants... Dieu, qu’ils étaient moches ! Et ils puaient ! Ils dormaient contre des cartons, comme des animaux ! Nerveuse, elle se blottissait contre le dos de Beth, en osant à peine regarder les clochards.
«
Mais c’est sinistre, par ici ! s’épouvantait-elle.
-
’Te fie pas à l’apparence des choses, trésor... »
Facile à dire... Le groupe sortit toutefois du tunnel, pour arriver dans des rues étroites, n’ayant rien à voir avec les grandes rues de la ville.
«
Mais tu nous emmènes où ?! s’agaçait Jessica.
-
Déstresse, ma vieille, on dirait que t’as jamais fait le mur ! »
Si jamais Carol apprenait ça, Jessica prendrait cher... Elle préférait ne pas penser à cette éventualité. Tout se passerait bien ! Beth avançait d’un pas déterminé, et il y avait déjà moins de clochards. Par contre, les bâtiments étaient vraiment sinistres.
Gris, métalliques, rapiécés, avec des câbles électriques noirâtres nus qui pendaient le long de gros tuyaux, ils donnaient vraiment le ton.
«
C’est là... Prépare-toi à voir un endroit cool, Jess’... »
Le peu qu’elle avait vu n’avait pour l’heure rien de cool. Beth se dirigea vers une porte colorée, avec une inscription au-dessus. «
SQUEEZIE ». Le «
Squeezie » était l’un des bars les plus branchés des Caligulas, ce qui n’était pas peu dire, vu l’atmosphère générale qui se dégageait de l’endroit. Beth se dirigea vers le comptoir, et Jessica remarqua que le bar se découpait en plusieurs parties : un tripot, une salle de danse, et un autre endroit, plus réservé, qui était le club de strip-tease. Il y avait quantité d’hommes, qui les observaient silencieusement, ce qui ne rassurait pas énormément Jessica. Les filles s’assirent à une table, commandant un peu d’alcool, avant qu’un ami de Beth ne les rejoigne : Marco.
«
Bonsoir, les filles ! -
Yo, Marco ! » s’exclama Beth.
Jessica apprit que Beth avait entendu parler du «
Squeezie » par le biais de Marco. Il se présentait comme une espèce de coursier, faisant des livraisons à l’extérieur des Caligulas. Il était originaire du ghetto, et n’avait jamais oublié ses racines. En réalité, il ne pouvait pas vivre «
dehors », dans la ville.
«
Les flics passent leur temps à me contrôler, c’est atroce ! Sans aucune raison légitime ! -
Tu es un mâle, c’est normal, avait rétorqué Jessica.
Vous êtes bien plus dangereux que nous autres, les femmes... »
Jessica regardait Marco, qui l’observa silencieusement.
«
Et d’où sors-tu une aussi brillante conclusion ? -
Il suffit de voir l’état du monde. Partout où le mâle est le sexe dominant, il y a la guerre. Ashnard, Nexus, et l’Histoire ne manque pas... C’est une question de gènes, ça a été prouvé. -
Prouvé ? Prouvé mon cul, ouais ! Toutes ces conneries sur le gène criminel, sur la propension du sexe masculin à la violence, c’est de la connerie de comptoir ! »
Jessica découvrit rapidement que Marco était quelqu’un d’enflammé, de passionné, et aussi intelligent. Dans ses pauses, il passait beaucoup de temps à lire, prenant des livres à l’une des bibliothèques municipales de Tekhos, la bibliothèque des Caligulas étant particulièrement dangereuse. Jessica et Marco passèrent une bonne partie de la soirée à se disputer, ce qui était une manière de se prouver qu’ils s’attiraient. Le groupe se rendit ensuite dans le club de danse, où Beth trouva un ami de Marco : Stan, un beau blondinet séducteur.
«
Alors, Princesse ? Toujours convaincu par notre bestialité ? »
Elle fit la moue, sans répondre. Ils étaient assis à une table, revenus dans le bar, près de la porte ouverte menant au club de danse. La piste était enfumée, et on pouvait entendre les accents de la musique électronique qui en sortait. Jessica aimait bien danser. En réalité, elle aimait bien tout ce qui, physiquement parlant, lui permettait de se dépenser, ayant toujours été une femme très active. Cependant, elle devait bien admettre qu’il y avait, dans la danse, une sorte d’enchantement qu’elle ne trouvait pas forcément en faisant du sport.
Les deux buvaient du Jet, une sorte de boisson gazeuse noirâtre légèrement alcoolisé. Jessica s’humecta les lèvres, secouant la tête en faisant remuer ses longs cheveux noirs.
«
’Te fous pas de moi... J’suis pas une Princesse... -
Ça m’empêche pas de le dire. »
En réalité, Jessica trouvait que les mâles étaient assez différents de ce que ses mères, ou ses profs, lui en avaient dit. À les entendre, les Caligulas n’était qu’un baisodrome malsain, où une fille avait toutes les chances du monde de se faire violer. Mais Marco n’avait pas essayé de la coincer contre un mur, et se montrait particulièrement incisif, en lui expliquant que le fort taux de criminalité aux Caligulas trouvait plutôt ses explications dans la société, que par rapport à de vaseuses théories pseudo-scientifiques sur la propension des hommes à la violence. Elle devait bien admettre que ce n’était pas idiot, d’autant plus qu’elle s’était elle-même déjà faite ce genre de réflexions.
«
Il commence à se faire tard... Je devrais te ramener à la sortie du quartier, avant que les transports en commun ne s’arrêtent. »
Jessica n’avait cependant pas envie de partir. Elle pouvait rester ici toute la nuit, ses mères croiraient juste qu’elle s’était endormie chez son amie. Elle secoua la tête, disant qu’elle préférait encore rester ici un peu. Marco haussa les épaules, nullement dérangé à cette idée. Elle se releva, et alla voir Beth, qui discutait avec d’autres membres de leur groupe. Quand elle s’approcha, elles s’esclaffaient.
«
Dis-moi, Jess’, on se demandait... Tu trouves pas que Stan a un beau cul ? »
Prise en traître, l’intéressée rougit, légèrement gênée, et tourna la tête vers Stan. Il était penché sur le comptoir, avec un pantalon en cuir qui moulait son postérieur. Elle répondit par un «
Euh... » éloquent, mais il en fallait plus, comme toujours, pour arrêter Beth.
«
Lindsay se disait toutefois que Marco avait un très beau cul aussi... -
Et il a l’air de beaucoup t’apprécier ! » renchérit Lindsay.
Jessica n’en fut que plus gênée encore, et secoua la tête.
«
Allons, on n’est pas venues ici pour... -
Tu t’es déjà tapée un mec, Jess’ ? » la coupa Beth, en la regardant sérieusement.
Un nouveau silence, qui amena Beth à hocher la tête.
«
C’est largement différent de coucher avec une nana, même une qui s’est fait implanter des couilles. T’as qu’à essayer avec Marco, tiens... -
Beth ! »
Les filles gloussèrent, mais Jessica ne trouvait pas ça drôle. Beth se releva alors, et posa ses mains sur les épaules de sa copine.
«
J’déconne pas, Jess’. Je suis même foutrement sérieuse ! »
En un sens, c’était encore pire. Jessica rougit encore, se mordillant les lèvres. Elle avait maintenant la conviction que Beth n’était plus vierge, mais... Elle ne se sentait pas prête à franchir le pas.
«
Jess’ ? -
C’est... Écoute, j’ai pas envie de... -
Y’a que les nonnes du couvent qu’ont pas envie, ma grande... Et encore, mon expérience m’amène à émettre des réserves sur ce point. »
Son expérience ? Qu’est-ce que c’était censé vouloir dire, exactement ? Jessica avait un peu peur de savoir ce que Beth voulait dire par là. Elle se sentait affreusement gênée, avec l’impression que tout le monde l’observait. Le sexe n’aurait pourtant pas du la choquer autant que ça, car elle plaisantait volontiers avec ses copines... Mais, là, Beth ne déconnait pas. Et, pire, elle voulait qu’elle le fasse avec un
mâle ! Pour Jessica, c’était presque une forme de zoophilie, comme si on lui demandait de coucher avec un singe. Certes, Marco était un garçon adorable, mais, de là à... Et, comme cette pensée venait lui traverser l’esprit, elle vit que le regard de Beth avait légèrement changé. À se demander si elle n’était pas télépathe, tiens ! Jessica secoua la tête, et se retourna, cherchant n’importe quelle excuse.
«
Je... C’est un mâle, Beth ! Comment peux-tu ? -
Putain, Jess’ ! Sorte-toi ces conneries que tu regardes à la télé, merde ! Les mâles sont pas des animaux sauvages ! Est-ce qu’il y en a un qui a essayé de te mettre la main au collier ? »
Elle devait bien admettre que ce n’était pas le cas, mais ce n’était pas pour autant qu’elle se sentait toujours pleinement rassurée. En réalité, tout ça l’effrayait un peu, mais elle ne voulait pas admettre qu’un
mâle lui faisait peur.
«
Je... Et puis, de toute manière, je ne pense pas que je l’intéresse... »
Beth pencha la tête sur le côté, sceptique à en crever. Elle connaissait ce regard. Ce foutu regard qui semblait dire qu’elle savait qu’on se foutait de sa gueule. Beth avait toujours été d’une honnêteté à toute épreuve, ce qui expliquait pourquoi elle avait du mal à avancer à l’école.
«
Tu te fous de moi ? Il a passé toute la soirée à reluquer ton cul ! »
Elle se mit instantanément à rougir, secouant la tête de droite à gauche.
«
Et je le comprends, t’as un de ces culs... »
Leur conversation s’interrompit par le retour de Marco. Il proposa à nouveau à Jessica de danser, et la seconde partie de la soirée fut légèrement plus différente de la première. Jessica s’attachait à observer chaque détail du corps de l’homme, de son anatomie. Il se rasait proprement le visage, et n’avait donc pas de ces affreuses barbes collantes qui piquaient, comme le disait si bien Carol. Mais est-ce qu’il matait vraiment ses fesses ? Elle n’arrivait pas à lire son regard. C’était vrai qu’elle avait un si joli cul ? Elle se souvenait encore quand Polly, une amie, lui avait claqué les fesses une fois, en lui faisant un clin d’œil des plus lubriques.
«
Il se fait tard... -
Hum ? J’ai pas entendu, excuse ! »
Marco se fendit d’un sourire, un beau sourire charmeur révélant ses belles dents blanches, et il reprit. Ils étaient assis au bar, et elle buvait encore du Jet. Beth était partie avec Stan en hauteur, et cette soirée semblait magique... Interminable. Jessica s’était souvent éclatée avec Beth, mais jamais à ce point. Il n’y avait aucune patrouille qui venait, et le bar semblait ne jamais devoir fermer. Les Caligulas ne ressemblaient vraiment pas à un ghetto sinistre !
«
Tu veux que je te raccompagne à la sortie du quartier ? »
Elle réfléchit brièvement, et secoua la tête.
«
J’veux rester ici encore un peu ! »
Il sourit, en haussant les épaules.
«
C’est toi qui voit ! rétorqua-t-il.
Mais le dernier métro s’arrêtera dans une heure ! -
Alors, je serais prisonnière ici... -
Seule et sans défense... Tu penses survivre ? -
Sans défense ? Mais j’ai mon chevalier servant ! »
Et elle avait décidé de rester ici. Le bar ne désemplissait pas, mais, avec la soirée qui se poursuivait, une clientèle différente entrait dans le bar. Des individus assez louches, peu recommandables. Marco lui proposa de monter à l’étage, et ils se retrouvèrent dans une chambre. Jessica était légèrement ivre, mais pas assez pour ne pas voir ce que l’homme voulait faire... Et ce qu’elle désirait faire.
Ce fut la deuxième partie de la soirée. La bonne soirée se transforma en une espèce de rêve. Beth était dans la chambre juste à côté, et Jessica savait très bien ce qu’elle faisait avec Stan... La même chose qu’elle allait faire avec Marco. Ce fut elle qui referma la porte, et lui qui l’embrassa. Le premier baiser... Pas le premier de sa vie, mais le premier qui n’était pas une fin en soi, mais le commencement de quelque chose. Elle s’attendait à tout et à n’importe quoi. Souffrir, éclater de rire, pleurer comme une hystérique, le voir partir, avoir des problèmes techniques, qu’il la trouve décevante, qu’elle soit frigide... Mais la nature était bien faite, et il n’y eut rien de tout ça.
Jessica perdit sa virginité avec bonheur. Elle dormit contre le torse de Marco, et se réveilla aux premières lueurs de l’aube, avec une furieuse envie d’uriner. Elle enfila rapidement un débardeur, et une culotte. C’était une petite chambre, et les toilettes étaient au palier. Elle sortit prudemment, heureuse, un peu perdue, mais malgré tout heureuse. Et, quand elle sortit, elle vit un homme s’avancer dans le couloir, filant vers l’escalier. Il portait des gants en cuir, un long manteau, un chapeau, et une sorte de boîte métallique renfermant des outils. Il dut entendre le bruit de la porte qui claquait, car, en s’approchant de l’escalier, il s’arrêta, se retourna, et la regarda.
Ses yeux... Comment les définir, comment les décrire ? Ils semblaient... C’était comme si on avait donné à un humain les yeux d’un mort. Ils n’exprimaient rien. Des yeux froids, sinistres, dénués d’âme, dénués de passion. Il la regardait comme il aurait pu regarder un vieux pneu crevé abandonné sur le coin de la route.
Puis il descendit. Légèrement surprise, Jessica resta sur le couloir, sentant comme un frisson la parcourir, avant de remarquer que la porte de la chambre de Beth était entrouverte, et qu’une odeur assez exécrable s’en échappait.
«
Beth ? »
Jessica se rapprocha de la porte, qui s’ouvrit d’une pulsion...
La première chose qu’elle nota fut ce rouge. Ce rouge écarlate et vif, qui décorait les murs, le plafond, le sol, inondait totalement le lit. Elle crut à une sorte de peinture trash un peu gothique, mais, ensuite, elle remarqua une espèce de
poupée ouverte en deux au milieu du lit. De solides sangles immobilisaient ses bras et ses jambes, et on avait attaché avec des espèces de clous ses lambeaux de peaux contre le lit. Elle vit ensuite, sur le sol, une série de
trucs ensanglantés, avec des espèces de
machins enroulés autour... Jessica ignore encore à ce jour si elle a crié avant de tourner de l’œil.