C'est d'abord une petite brise, un souffle léger, qui frôle le visage de l'endormi au bord du lac. Dans la moiteur ambiance, ce léger souffle de fraîcheur a quelque chose d'imprévu voire d'inespéré.
Je suis tout engourdi, comme si j'avais dormi depuis des heures. Pourtant, quelque chose ne va pas ! Impossible de savoir ce qui m'a mené là, juste un flash, un peu comme si j'avais rêvé, une maison, une maison aux lumières tamisées, un immense salon avec des canapés de taffetas pourpre, des bouteilles vides et encore des tintements de verre, des rires cristallins pour certains et gras pour d'autres, et puis un escalier,:pas tout seul mais à la suite d'une femme, ses yeux oui ses yeux je ne peux m'en détacher, comme s'il ne restait qu'eux tandis que mon corps semblait me quitter.
Et me voilà là... Pourquoi ? Comment ? Je ne sais, mais j'y suis.
« Monsieur, Monsieur, le parc va fermer, il est six heures », la voix d'un homme déchire ma méditation. Cette fois, j'ouvre les yeux ; un homme avec une casquette bleue est comme penché sur moi, presque inquiet que je ne réagisse pas. Le parc ? Quel parc ? Quel au-delà ai-je encore traversé pour venir ici ? Je me relève, m'appuyant sur les coudes, sentant le froid de ma dague contre ma cuisse. Pourvu que l'autre ne la remarque pas ! Je n'ai même pas le temps de savoir ce que je fais là, qu'il faut que je m'en aille. Le garde ne semble rassuré de la mission accomplie que lorsque je suis enfin debout.
Opportunité pour moi de découvrir ce lieu où je ne sais par quelle magie je suis arrivé. A peine au loin du parc que je dois quitter, des arbres, une forêt, quelque chose d'intemporel. Le garde finit enfin sa « mission » en me voyant quitter son enclos ; c'est là-bas que je serai en sécurité, que je pourrai réfléchir, du moins essayer de rassembler les pièces d'un puzzle temporel...
Et là, au milieu des arbres, comme si je retrouvais quelque souvenir solide, comme si je retrouvais un univers familier – qu'y a-t-il de plus semblable que deux arbres ? -, je peux enfin réfléchir, essayer de retracer mon passé, mon chemin, mes dernières heures. Le jour décroit, j'avance sur le chemin ombragé, je vérifie ma dague d'un geste discret, rien ne peut m'arriver, physiquement du moins. Le chemin se resserre, très étroit même et plus sombre bien que la nuit ne soit pas encore tombée. C'est étrange cette impression d'être comme dans un étau !
Et soudain, sans que je n'ai pu deviner l'attaque, sans même que j'aie ressenti quelque main me toucher, comme si une force invisible jouait de moi, je me trouve saisi et projeté à travers ce chemin, comme un boyau presque trop étroit ; rien pour m'accrocher, incapable de saisir ma dague, et contre quel ennemi d'ailleurs ? Je viens à peine d'arriver dans un univers que je ne connais pas, que m'en voilà happé, extrait, blackboulé, éjecté même... projeté à terre, dans un endroit comme la copie d'avant ! Oui, avant, mais dans l'ordre inverse, le chemin, les sous-bois, le parc, et même des maisons au loin. Une ville comme le miroir d'où j'étais ?