Bon ! La situation se tasse, dirons-nous. Kyle a peut-être raccroché les collants, mais il est toujours aussi occupé à chercher la relève. Quand il l'aura trouvée, et à moins qu'il ne change d'avis dans les semaines qui suivront, on arrivera peut-être à quelque chose de stable. En tous cas ce sera un début : l'académie est toujours sur mon dos et mon éditrice me soutient de moins en moins. Il faudra bien que tout ça se règle dans les mois à venir. Ensuite je pourrais me poser et souffler un peu, évaluer la situation. Pour l'instant, comme chaque mercredi, j'ai trainé au lit pendant que Kyle partait bosser. Me lever avec lui le jour où je bosse pas ? Il me l'a pas demandé deux fois. La première l'a mis en retard, et avec ce que lui m'a mis il a pas eu le droit de s'en plaindre, même s'il y avait de quoi vu ce que son patron lui a mis à son tour. Bref ! Canapé, café, télé : une matinée tranquille qui s'annonce...
... made a macabre discovery in the south of Cork County.
Qu'est-ce qu'elle raconte, la nunuche ?!
Two bodies were found yesterday in the evening, up above the cliffs. The four feet deep grave dug in a thick forest revealed...
" Non-non-non... "
... buried for two month at least. By means of their papers the victims were identified as Sheryl and Alan O'Connell.
" Putain de merde ! "
Je passe pas loin de renverser mon café, mais merci la BBC ! Respire, Hitomi ! Calme-toi ! Ils ont retrouvé les campeurs, t'as plus le choix. Si les flics vont fouiner jusqu'à la maison de maman c'est cuit. Je comptais régler ça pendant les prochaines vacances mais c'est mort. Je peux pas sortir à Kyle un voyage-surprise ce week-end, et vu les circonstances ce serait trop risqué. Il ne me laisserait pas y aller seule, ni une chance de m'expliquer. Et comme j'ai pas réussi à rester copine avec l'autre bêcheuse vampirique je suis toute seule. De toute façon elle non plus m'aurait pas écoutée gentiment, et à part payer le billet d'avion elle aurait pas servi à grand-chose. Aux grands maux les grands remèdes, peu importe comment ça va tourner autant parer au pire. Je dois me tirer, filer ventre à terre en Irlande et faire en sorte que les deux cadavres d'hier restent les seules découvertes de la police.
Fort heureusement, mes petites angoisses m'ont poussée à préparer ma fuite. Neuf heure et demi ? J'ai le temps de vider les lieux. Café, douche, sacs, cartons... la lettre. Je la relis, histoire de vérifier qu'elle est encore à jour. J'espère que ça fendra juste assez le cœur de Kyle pour qu'il lâche l'affaire. En même temps il a déjà lâché le monde entier. D'ailleurs j'en fais des tonnes à ce sujet, sur le poids que ça met sur ma conscience, sur le fait qu'on sera jamais heureux, que notre relation n'a finalement pas redécollé depuis l'Irlande... En gros le largage le plus lourdingue et pété de conditionnels possible, pour dire que ça avait aucune chance dès le départ. Je remue les couteaux dans toutes les plaies, je lui colle en pleine gueule toutes les promesses débiles qu'il a pas tenu, je compte pas sur son pardon ou son amitié. Et je suis désolée, évidemment.
Avec ça il devrait pas me courir après tout de suite. On avisera au retour.
Quatorze heures. J'aurais dû passer mon permis, ça a été la croix et la bannière d'embarquer mes affaires au garde-meubles. Une bonne chose de faite. Et de deux : j'ai mon congé ! C'est à peine si j'ai pas dû sucer le directeur mais je suis libre. Je lui ai monté un flan comme quoi je devais rentrer d'urgence chez ma mère, une affaire de gaijin à laquelle il a rien pigé parce qu'il s'en fout. J'ai esquivé de justesse le passage sous le bureau en le menaçant de lui couper la queue si j'arrivais trop tard par sa faute. Si je reviens je le ferais peut-être, ce connard me gonfle depuis trop longtemps. Mais à y réfléchir cette ville commence à me courir, trop infestée de monstres et j'y suis trop connue. Enfin, j'y penserais quand j'aurais que ça à foutre.
Pour l'instant je suis assise sur un banc dans la cour, les jambes croisées et la tête baissée, le front appuyé sur ma paume droite. Je sais que j'ai pas l'habitude de me montrer aussi soucieuse mais je crains pas d'attirer l'attention, bien au contraire. Après tout j'ai de graves soucis personnels et je viens de rompre avec l'homme de ma vie, ça secoue. J'espère qu'un blaireau va mordre à l'hameçon. Je peux pas y retourner toute seule, pas pour ce que je veux faire. Je peux pas non plus en parler franchement avant d'être sur place. J'aurais qu'à mettre la main au paquet du premier otaku venu pour qu'il me suive au bout du monde. Mais j'ai besoin d'un mec qui saura encaisser, et qui se déballonnera pas au moment crucial. Avoir les couilles de m'approcher maintenant, par gentillesse ou pour profiter de ma faiblesse apparente, c'est le minimum.