Claire Dehaene Mélinda était Ashnardienne, ce qui revenait à dire que les affaires ayant lieu sur Nexus, par principe, ne l’intéressaient pas. La guerre entre États n’était jamais bonne pour les affaires entre ces derniers. L’Empire considérant Nexus comme un État-voyou, toutes les conventions qui avaient lieu là-bas n’avaient aucune valeur juridique à Ashnard. Pourtant, il existait quelques juteuses affaires, quelques exceptions, qui expliquaient pourquoi Mélinda avait, sur place, des hommes de mains, des contacts, qui consultaient régulièrement les différentes affaires, envoyant ensuite des messages à l’intéressée. C’est ainsi que Mélinda avait appris que le fils de cette vieille pie acariâtre, Ludowic, était en vente. Le château de cette dernière était tombée. La mère de Ludowic était une vieille connaissance de Mélinda, et aussi l’une de ses lointaines ennemies. Une vieille histoire qui remontait à plusieurs siècles, mais Mélinda n’était pas spécialement du genre à passer facilement l’éponge quand on lui faisait des affronts, et qu’on critiquait ouvertement ses compétences et ses modes de gestion. Elle avait espéré, à l’époque, bénéficier du soutien financier de la mère de Ludowic, mais cette dernière avait refusé, en se montrant particulièrement odieuse.
Concrètement, Mélinda n’avait pas grand intérêt à récupérer Ludowic. C’était le fils d’un tyran, il serait rebelle et difficile à soumettre. Mais, d’un autre côté, il était le fils de cette garce, et l’avoir comme esclave serait, pour Mélinda, une bonne manière d’assouvir sa vengeance. Elle ne s’attendait pas à récupérer les biens de sa mère, que l’Ordre ou Nexus avaient déjà du se partager. Ludowic était à elle. Elle s’était rendue rapidement à Nexus, et, comme à chaque fois qu’elle y faisait un achat, elle avait bu une potion de mandragore, qui lui avait permis de se transformer.
Exit, la petite vampire esclavagiste ashnardienne aux beaux yeux verts. Faites place à Claire Dehaene, la discrète noble venant d’un trou perdu de Nexus, qui venait renflouer son stock d’esclaves. Pour se créer une double identité, Mélinda avait du chercher dans la basse-noblesse nexusienne, jusqu’à apprendre l’existence des Dehaene. La loyauté étant, à Nexus, aussi volatile qu’un billet porté par le vent, elle avait réussi à pouvoir usurper l’identité des Dehaene de temps en temps, moyennant une petite somme à chaque achat qu’elle faisait. Un pot-de-vin, en conclusion. Ce n’était pas vraiment de la trahison pour les Dehaene, Mélinda ne faisait que prendre des esclaves.
Sur la grande place publique, Mélinda assistait à la vente aux enchères. L’esclavagiste était sur l’estrade, mais elle voyait un commissaire-priseur, ainsi que des gardes, et plusieurs huissiers, afin d’authentifier la scène. Avant de passer à Ludowic, il y avait eu plusieurs lots, mais Claire n’avait rien d’acheté. On vendait surtout des Terranides, à moitié à poil, les fesses à l’air. Beaucoup pleuraient, ou avaient été battus. Les Nexusiens n’étaient pas forcément plus délicats que les Ashnardiens. Mélinda ne se laissait pas influencer par ces images. On finit par apporter une cage, et il y eut un mouvement de répulsion. Quel genre d’animal sauvage se dissimulait à l’intérieur ? La clientèle ici comprenait surtout des nobles, qui voulaient des esclaves pour, soit réchauffer leurs lits, soit servir de domestiques. Un esclave qu’on enfermait dans une cage en acier totalement close n’avait pas grand-intérêt. Mélinda sentit qu’il devait s’agir du petit Ludowic. Il avait l’air aussi sauvage que sa défunte mère, et elle se mit à légèrement sourire. La présentation de l’esclavagiste le confirmait : un «
jeune vampire terranide », qui venait d’une «
noire forteresse ». Il n’hésitait pas à employer les superlatifs pour appâter les clients, mais l’emballage suffisait à parler. Les seuls rivaux potentiels de Mélinda pourraient être les magiciens, mais ces derniers n’étaient pas aussi riches que les nobles.
«
La mise de départ est fixée à... 500 pièces d’ors ! »
C’était la somme minimaliste pour un vampire, selon les critères publics. Les organisateurs savaient que personne ne voudrait l’acheter pour une somme trop élevée, soit 3 000 pièces d’ors, si on avait considéré qu’il était surtout un Terranide. Un vampire n’était pas un très bon esclave, car il avait des besoins sanguins permanents. Si Ludowic avait été une belle minette bien dressée, la mise de départ aurait été de 3 000 pièces d’ors. Terra fonctionnait ainsi. Les capacités magiques de Ludowic ne risquaient pas d’intéresser les puissantes lignées de nobles, qui cherchaient surtout à avoir des esclaves sexuels, et à avoir l’esclave déjà formé. Qui aurait voulu d’un animal sauvage susceptible de vous sucer le sang ? Il y eut quelques enchères, qui fixèrent la somme de l’enchère à 620 pièces d’ors, avant que Mélinda, sous les traits de Claire Dehaene, ne propose une somme qui mettrait tout le monde d’accord.
«
800 pièces d’ors. »
Il y eut quelques regards interloqués. Elle pouvait avancer plus, mais ce serait franchement suspect. Personne ne surenchérit.
«
Adjugé vendu ! » annonça l’esclavagiste.
Mélinda s’avança vers l’estrade, et s’entretint avec un huissier, qui lui remit une série de papiers qu’elle signa, récupérant ainsi son titre de propriété.
«
Des hommes peuvent déposer votre lot chez vous, si vous souhaitez continuer à enchérir, proposa l’huissier.
-
Ce ne sera pas la peine. Ouvrez cette cage. -
Euh... D’accord. »
Cette perspective, visiblement, rassurait peu l’huissier, qui fit signe à plusieurs hommes de venir. Une grosse clef fut enfoncée dans la serrure, et la porte s’ouvrit. Claire se tenait devant, attendant que le Terranide sorte, sentant d’ici le sang de ce dernier. C’était bel et bien un vampire, et, si on lui avait appris à se servir de son sens vampirique, il devrait normalement sentir que Mélinda aussi était une vampire.