L'archange déchue s'en prenait littéralement plein la gueule. Si elle était déjà d'une force inhumaine à n'en point douter, celle de Teutatès était tout bonnement incommensurable. Il était vrai que l'immortel avait certainement perdu de sa superbe mais il n'en restait néanmoins un dieu. La demi-démone ne pouvait réellement rivaliser contre lui. La divinité oubliée ne l'avait pas ménagée jusqu'ici et il ne le ferait pas par la suite, sauf ordre de son maître. Anéa l'avait bien compris.
Le nez en vrac, la bouche couverte de sang, elle s'était élancée vers Teutatès dans le but de le renverser, de le prendre de front alors qu'elle avait enfin réussi à le toucher. Malheureusement, c'était bien trop prétentieux de la part de l'être angélique que de penser qu'elle allait pouvoir le déstabiliser aisément.
Fonçant droit sur la jeune femme, il la percuta brusquement, lui coupant le souffle et la forçant à basculer en arrière. Se retrouvant sur le dos, elle pouvait sentir tout le poids du dieu sur elle, posé sur son ventre, alors qu'il entama une pluie de poings sur son visage. Visiblement, lui casser le nez ne lui suffisait pas. Avec une hargne non dissimulée, le dieu se déchaîna pour la démolir, comme le lui avait ordonné Tadeus. De ses bras croisés, elle tenta d'amortir le déferlement de châtaignes qu'elle se mangeait mais cela ne suffisait pas. À chaque coup non esquivé, cela venait s'abattre sur son visage, le déformant, le rougissant, mettant encore plus à mal ce nez cassé. Il y avait quelque chose de « beau » dans ce tableau, l'archange voyant de fines gouttelettes de sang s'allonger en fin filets lorsque Teutatès rabattait ses poings fermés sur elle. Ce spectacle était presque poétique...
Sous les assauts implacables de Teutatès, Anéa sentait chaque coup lui arracher un peu plus de force, chaque impact martelant son corps déjà meurtri. Son esprit, pourtant, restait lucide, comme encerclé par un halo de détermination. Malgré la douleur lancinante et l'écoulement incessant du sang, elle puisait au plus profond d'elle-même une résolution farouche. L'archange tentait toujours de se défendre, incapable de donner un coup tellement l'immortel se hâtait sur elle. Cependant, il mit fin à son calvaire, se détachant d'elle, non sans lui écraser l'estomac en la quittant, lui arrachant un grognement de souffrance.
Elle resta ainsi quelques instants, partagée entre la conscience et les ténèbres. Il n'y avait pas été de mains mortes, le salaud...L'exercice était de ne pas céder. Quel supplice que de devoir se contenir, alors que l'odeur de son propre sang lui chatouillait les narines jusqu'à faire frissonner son échine. Son esprit divagua, comme s'il valsait avec des volutes ténébreuses, celles-ci l'appelant à se laisser aller, l'invitant à déverser toute sa folie destructrice. Anéa hésita longuement : céder à ses pulsions vengeresses était bien plus simple que de garder son sang-froid. Son instinct démoniaque souhaitait prendre le dessus sur la maîtrise de l'ange. Mais en soi, elle n'avait rien contre l'Immortel. Son but premier était de s'approcher de nouveau de ce Berzyl et de lui faire sauter sa tête. Alors elle tiendrait jusque là pour réaliser son objectif, quitte à encaisser des coups comme maintenant.
Laborieusement, Anéa prit un bref moment pour se relever, la posture un peu déstructurée, comme si elle n'était qu'un pantin désarticulé qu'on avait mal posé sur le bord d'un mal ou qu'un marionnettiste manipulait maladroitement pour sa première fois. Le nez en vrac, la figure et les bras oscillant entre des teintes blanchâtres, rouges et bleues, avec un soupçon de violet, comme si elle était maquillée à la truelle, boursouflée par l'avalanche de coups qu'elle a encaissé, la guerrière n'était plus si belle...C'était à se demander si elle arrivait encore à respirer correctement et même voir, sa chair gonflée pouvant lui cacher un peu la vue. Qu'importe...
L'ancienne archange inspira un grand coup, toussant tout juste après pour cracher le sang qui lui brûlait la gorge. Une grimace déforma brièvement les traits de son visage déjà martyrisé, lui rappelant l'étendu de ses blessures. C'était loin de la décourager. Le prénom du démon qu'elle devait éliminer résonnait dans son esprit jusqu'à en faire bourdonner ses oreilles...à moins qu'il ne s'agissait d'autre chose ? Péniblement, elle étira un sourire tout aussi malsain qu'amusé, ou tout du moins, ce qui pouvait y ressembler avec son air bouffi, la tête basculant un peu dans tous les sens, faisant craquer ses os.
Une autre inspiration et la jeune femme retourna au combat. Dans une ultime tentative dans l'espoir de le toucher, elle se hâta vers lui, comme si elle n'était qu'un prolongement de la foudre. Aller de front encore une fois contre le guerrier n'était pas forcément de bonne augure, mais il ne fallait plus faire dans la dentelle, qui à se reprendre des coups et briser quelques os. Elle donnait des coups, tenter des ruses, mais il paraît toujours. Elle ne mourait pas ici, pas maintenant...
Alors que les coups s'intensifiaient, toute l'arène semblait vibrer d'une énergie primordiale. Anéa, malgré ses blessures, continuait de faire preuve de sang-froid et surtout d'une détermination farouche. Teutatès, quant à lui, devait retrouver peut-être un peu de sa majesté d'antan, déversant sa colère millénaire sur son adversaire. Il faut dire que devant une telle puissance, il ne devait pas avoir beaucoup de gladiateurs contre qui se laisser à donner de réels coups. Avoir la possibilité de se laisser avec la monstruosité qu'était Anéa devait être libérateur.
Au milieu de l'arène, la danse violente entre Teutatès et Anéa atteignait son paroxysme. La furie du dieu et la ténacité de l'hybride se heurtaient dans un tourbillon de mouvements et de contre-mouvements, évoquant une danse macabre. Leurs silhouettes se dessinaient en ombres gracieuses, ponctuées par des éclairs de mouvements brusques et violents. Il arrivait que l'Immortel prenne le dessus, la demi-démone prenant les coups encore et encore, sans flancher toutefois.
Nétio ne pouvait détacher son regard du spectacle brutal qui se déroulait sous ses yeux, réalisant la portée colossale de ces deux êtres hors norme. Il était tiraillé entre la terreur et la fascination, se demandant s'il avait accordé un combat au sein de sa médiocre arène à deux forces de la nature, hors du commun, ou à un duo de monstres incontrôlables. Que ce soit l'un ou l'autre, des sueurs froides glissaient le long de ses tempes suite aux paroles maudites du laniste. Le maître des lieux retenait son souffle, partagé entre l'horreur et l'émerveillement.
Le sable de l'arène volait presque à en former des murs formés des rafales d'une tempête du désert. La vitesse à laquelle les deux monstres se déplaçaient et se rendaient les sévices ne tenait pas du mortel. Anéa arrivait néanmoins à bout de souffle, aussi bien physiquement que mentalement. Plus son sang coulait, plus il bouillonnait d'une folie qu'elle peinait à maîtriser. Son sourire ne la quittait pas, mêlant réel amusement, fierté et délire. Alors qu'elle s'approchait une nouvelle fois de Teutatès dans le but de le voir courber l'échine en lui assignant un coup de genou dans les joyaux, elle lui débita quelques mots, sans une once de moquerie.
- Merci. Il y avait longtemps que je n'avais pas combattu ainsi...
Est-ce qu'elle le remerciait vraiment pour lui avoir refait le portrait ? Peut-être bien. Cela lui paraissait presque à un combat amical, si elle ne ressentait pas toute la haine et le dégoût qu'avait le gladiateur pour son existence. Bien que la démence pouvait la prendre à tout moment, elle tenait. De lointains souvenirs de sa simple vie d'archange lui revenait à l'esprit, ces moments-là où elle combattait des hauts dignitaires démoniaques, parfois en finissant seule sur le champs de bataille...Le fait de lui rappeler qu'elle n'était pas infaillible l'avait un peu ramenée sur terre, si on pouvait dire cela ainsi. Si Anéa souhaitait éliminer Berzyl, elle devait se contrôler à tout prix et ne plus négliger sa vie.
Serrant les dents et avec une rage considérable, elle lui décocha un uppercut gauche, le forçant à, soit prendre le coup et relever le menton, soit esquiver la tête en arrière. Qu'importe qu'elle le touche avec ce coup ou non. Enchaînant avec l'uppercut, elle prit un élan et lui donna un coup de boule surpuissant, l'éclaboussant de son propre sang. C'était ses dernières forces. Trop de blessures à endurer, trop de temps à endurer tout ça tout en essayant de se défendre et de rendre coup pour coup. Soit ça passe, soit ça casse...