Furieuse. Oui, Anéa l’est encore, de cette foutue faute qu’elle avait pu faire auparavant et qui l’avait menée jusqu’ici. Quelles belles conneries que sont les sentiments amoureux ! Cela l’avait tellement rendue aveugle que l’archange, à l’époque, n’avait même pas ressenti l’aura démoniaque de Samaël, déguisé en lycéen. Bordel. Réellement stupide. Et voilà où elle en était aujourd’hui. Toujours chasseuse de démons, bien sûr, mais à moitié démone elle-même. Devenue ce qu’elle haïssait le plus. Devenue ce qu’elle chassait. Oh, elle pouvait toujours se donner la mort, et ainsi, même son maître disparaitrait mais, même si elle était à la botte de ce chancelier démoniaque, elle pouvait continuer à exterminer des créatures vomies de l’Enfer. C’était toujours mieux que rien. Pitoyable.
Elle le sentait : son aura, son âme même, bouillonnait. Edean devait le ressentir, elle en était certaine. La mi-démone était tendue. Elle se retenait comme une folle pour rester là, devant le faux ange, et ne pas partir on ne sait où pour faire éclater sa colère et sombrer dans sa folie meurtrière. Le jeune homme avait bien cette chance que l’ancien archange prenne sur elle. C’est une première. D’habitude, seule, elle erre jusqu’à trouver d’autres démons, voire de simples habitants de Terra, et fait jaillir leur sang sur le sol chaud. Alors il devait plutôt s’estimer heureux qu’elle fasse cet effort.
Anéa fit découvrir sa véritable face à Edean, celle de mi-démone à la peau extrêmement pâle, aux yeux bleus si clairs qu’ils semblaient blancs, aux marques démoniaques sur son épiderme. Elle le fixa, sans émotion, froide, mais elle le fixait sans vraiment le voir, trop perdue dans son esprit. Ses souvenirs refaisaient surface, lui foutant comme une grosse claque au visage pour la ramener sur terre, un peu plus. Hé, tu es mi-démone, tu sais ? Il est loin le petit ange que tu étais autrefois…Une image de son ancien elle la regardait de travers, moqueuse. À cette vision, le visage d’Anéa se crispa, sa main gauche se resserrant sur ses doigts, fortement. Trop fort sûrement, ses ongles se plantant dans la chair de sa paume. Un fin filet de sang en coula, mais la douleur ne ramena pas la jeune femme, toujours errant dans sa mémoire qui lui faisait broyer du noir.
L’ange déchue ne vit pas Edean s’approcher d’elle. Ce n’est qu’en sentant sa main sur le haut de sa poitrine, là où son cœur battait à tout rompre, de colère, que la jeune femme reprit ses esprits. Bizarrement, ce contact l’apaisa, la calma, reposant son regard sur le visage du faux ange. Horrible de perdre le Paradis ? À vrai dire, pas tellement. C’était tout comme une prison, en réalité. On t’y donne des ordres, et tu n’as d’autres choix que d’y obéir. Tu n’es bon qu’à ça, de toute manière. Et à la moindre petite, minuscule faute, on te jette dehors. Repose en paix avec les impurs et démerde-toi. Alors non, le Paradis ne lui manquait pas vraiment. Elle était juste furieuse envers les Hauts-Anges qui l’avaient jugé sur quelque chose, qu’eux, ne connaissaient pas : l’amour. Pour sûr, c’était avec un démon, sans qu’elle le sache, mais elle avait véritablement aimé…Quelle connerie.
L’élan de tendresse d’Edean ne plaisait pas à la mi-démone. Ce câlin avait des parfums de pitié. Et Anéa a tout bonnement horreur de ça, qu’on la prenne en pitié. Alors oui, peut-être qu’il avait raison, qu’ils étaient contraires et semblables en même temps. Mais elle ne répondit pas de suite. Elle ne l’enlaça même pas, se laissant presser contre lui, les bras le long du corps. Le visage dans son cou, son regard fixait le ciel qui se colorait d’une pulpe orange et d’un soupçon de citron. Mh…Il était peut-être temps de se bouger.
- Peut-être. Mais tous les deux, nous avons encore beaucoup à apprendre. Toi, davantage. Je t’apprendrai ce que je sais pour ne pas te faire croquer plus tard…
L’ancien archange releva ses mains et les posa sur le torse du jeune homme pour se défaire de cette étreinte dont elle ne prit part. Un fin sourire, mélancolique sûrement, se dessina sur son visage, avant que d’un hochement de tête, elle montrait les couleurs sanglantes que prenait le ciel.
- Rentrons. On continuera demain.
Déjà toutes ailes dehors, elle reprit son apparence d’avant, celle d’ange, ses apparats démoniaques disparaissant lentement. Anéa s’avança vers les bois où était déposée la nourriture. Elle attendit un instant le faux ange, et s’envola d’une traite dans les airs, en direction de la ville. Arrivée aux portes de la cité, elle toucha terre, suivie d’Edean, préférant continuer à pieds jusqu’à l’auberge, repliant ses ailes, avant qu’elles ne s’effacent de son dos. Enfin à destination, elle rendit le surplus de nourriture à son ami l’aubergiste, lui intimant de le garder pour eux pour le lendemain, promettant une autre pièce d’or pour cette demande. L’ange déchue grimpa les escaliers, ouvrit la porte de sa chambre, la laissant bien grande ouverte pour le jeune homme, et s’affala sur le lit, dans un long soupir, fermant les yeux.
- Je te laisse la douche. Vas-y en premier.
Anéa, elle, avait plutôt besoin de se calmer encore, et de penser à autre chose.