Le soleil est haut, éclatant, brutal.
Les façades de béton clair et de verre poli, typiques du campus japonais, renvoient une lumière si nette qu’elle en devient presque coupante. Les escaliers métalliques extérieurs, fixés contre l’aile des professeurs, brillent comme des lames chauffées par le jour.
Au milieu de cette clarté uniforme, Séliane Noctelume se déplace, et quelque chose, imperceptible aux yeux humains, s’infléchit autour d’elle.
Ce n’est pas une ombre. Ce n’est pas une magie. C’est une présence nocturne, douce mais distincte, comme un écho de lune oublié en plein midi.
Pour les mortels, elle reste simplement élégante, un peu trop calme peut-être.
Mais pour toute créature non humaine, sensible aux nuances que le jour efface, son aura s’étend comme un reflet de nuit sur l’eau en plein soleil.
La lumière autour d’elle semble légèrement moins agressive. Les contours du monde se font un souffle plus feutré. La chaleur du béton lui-même semble hésiter à la toucher.
Son papillon translucide, lui aussi, révèle alors une nature différente : sous le soleil, la lumière passe à travers lui, mais pour un œil non humain, elle se plie légèrement, comme sous l’influence d’une lueur lunaire invisible.
Elle tient un sac de papier rempli de figues entre son buste et le creux de son bras gauche, un autre fruit dans la main droite.
La pulpe sombre qu’elle goûte ne reflète pas le soleil : elle l’absorbe, comme un murmure de crépuscule dans un monde trop brillant.
Elle avance.
Un bruit sec éclate soudain : frt...ploc... et une boule de papier roule jusqu’à ses pieds.
Elle relève les yeux, et son regard se pose sur la balustrade du troisième étage, où un professeur aux cheveux blancs en bataille lutte avec ses notes, sa colère et sa fatigue. Sa frustration crépite dans l’air comme de petites étincelles.
Pour un humain, la scène est banale. Pour un non humain, la rencontre entre la nervosité électrique de cet homme et la présence discrètement nocturne de Séliane crée un contraste presque audible.
Elle se penche. Le sac bascule, trois figues roulent.
Et alors, juste un instant, à peine un souffle, sa présence semble atténuer la lumière du soleil autour d’elle. Un minuscule repli de jour. Une respiration nocturne. Rien de visible… mais tout à fait sensible pour ceux qui disposent de sens plus vastes.
Le papillon, lui, descend lentement, ses ailes iridescentes laissant une traînée si ténue qu’elle n’existe pas pour les humains, juste un tremblement subtil dans l’air, comme un frisson de nuit.
La fée royale se faisant passer pour une humaine ramasse d’abord les figues, puis la boule de papier.
La manière dont elle déplie la feuille est silencieuse, lente, presque liturgique. Quelques mots. Une maladie végétale. Une urgence. Une peur.
La feuille semble soudain perdre sa nervosité dans ses mains, comme si, là encore, son aura nocturne laissait retomber la colère dont elle était imprégnée.
Elle referme la page. Lève le visage.
Le soleil frappe son profil… mais refuse d’en ternir la douceur. Autour d’elle, pour des yeux non humains, sa silhouette est cerclée d’une lueur subtile, pas lumineuse, mais ombrée, comme si une nuit discrète persistait tout autour d’elle malgré le jour.
La jeune femme s’avance. Trois pas. À l’endroit exact où, si l’homme se penche, il ne pourra manquer sa présence, même si une part de lui aura peut-être l’impression de la "remarquer" avant de la voir.
Sa voix s’élève alors, douce mais portée par une résonance calme :
"Monsieur…"
Un souffle. Une note suspendue, étrange, comme si le son avait une ombre.
La professeure lève la feuille.
"Je pense que vous cherchiez ceci."
Le papillon se stabilise à côté d’elle, ses ailes renvoyant une lueur pâle qu’aucune lumière solaire ne devrait produire. Une trace de nuit dans le plein midi.
Et dans cette cour brûlante, bordée de béton et d’acier, Séliane Noctelume est la seule chose qui semble appartenir au crépuscule.