- Hé! Je suis là. Je ne t'ai pas trop fait attendre?
Il se donna des airs de crooneur, du genre ''pour toi baybay, j'attendrai toute la nuit.'', mais Shihomi côtoyait des dragueurs depuis quelque années déjà, elle n'eut aucun mal à repérer son soulagement. De plus, elle ne put s'empêcher de penser que le sourire de bourreau des cœurs marchait moins bien quand on le précède d'une demande comme celle qu'il avait formulé quelques heures plus tôt à peine.
- Non, ça va.
fit-il, feignant l'assurance.
Shihomi pouvait bien rire des petites combines de Make pour paraitre plus sur de soi, elle n'usait pas moins de ses propre astuces pour désamorcer toute frustration ou malaise qui aurait put résulter de la différence de vêtements.
- T'en pense quoi?
- J’aurais du me mettre quelque chose de plus propre, tu es resplendissante.
- merci! Mais t'inquiètes pas pour toi, c'est un look qui te va parfaitement! Bon, le contraste avec mes vêtements est un peu curieux, mais c'est moi qui suis à blâmer ici. j'ai voulu trop en faire.
Make sembla là aussi plus à l'aise. de toute évidence, la différence de style vestimentaire ne lui posait plus de souci si elle n'y accordait pas d'importance.
Shihomi se permit même une plaisanterie, en prenant avec un petit rire le bras de son compagnon pour qu'il l'amène au restaurant:
- bon, par contre la prochaine fois, on se met d'accord sur ce qu'on porte, parce sinon à force, ça va faire désordre!
Sur le court chemin les séparant du Dragon,elle prit la peine de l'observer plus à loisir. Il était plutôt bel homme, très sculpté, représentant parfait ce que certains appellent le style ''bad boy''. Pourtant, alors même qu'il avait la réputation d'être Yakusa, son attitude donnait l'impression qu'il ne voulait pas intimider. Ou peut-être était-ce juste avec elle?
- Je suis heureux que tu aies accepté de venir avec moi. Ça fait des siècles que je ne suis pas sorti et je dois t’avouer que j’étais un peu nerveux. Je suis heureux de pouvoir passer la soirée en si agréable compagnie.
- tu sais, ce n'est pas non plus une faveur de reine. Moi non plus j'ai rien eu de sérieux depuis une éternité! Juste des flirts sans lendemains. Ça me fera du bien de changer d'air, surtout avec Elvis Presley. hihihi.
En entrant elle se demanda un peu pourquoi ce jeune homme qui pouvait facilement séduire n'importe quelle fille en faisant le bad-boy, semblait plus miser sur l'honnêteté. voire peut-être même le rabaissement de cet aspect?
De son coté du moins, elle n'avait pas menti. À quelques exceptions près, ce qui se passait avec le Cercle n'avait aucun intérêt sentimental ni pour les membres ni pour les victimes, et elle n'avait pas pensé à s'engager dans une relation sérieuse depuis son entrée dans le Cercle.
Le restaurant était sympa. C'était le genre d'endroit qui cherche à être discret pour assurer une qualité de service à ses clients fidèles . Shihomi pensa à Mr Satterthwaite, un personnage d'Agatha Christie qui l'avait toujours fasciné. Le vieil anglais avait deux grandes passions: la gastronomie et les histoires humaines. Il voyageait durant l'année entre quelques lieux qui avaient sa préférence, ayant ses habitudes dans des restaurants méconnus mais finement choisis et se fondant dans le décors pour observer la vie des autres. Mais son implication dans ces vies était, sauf quand Mr Quinn apparaissait, toujours celle du spectateur silencieux et attentif. Cette capacité à la passive bienveillance était pour elle un objet d'admiration, elle qui n'avait jamais pu être une simple observatrice, elle qui devait toujours agir dans ce qui se passait autour d'elle.
Depuis que Shihomi avait lu le recueil pour lequel il avait été créé, Le Mystérieux Mr Quinn, elle se demandait pour chaque restaurant si il s'y rendrait, où il s'assiérait, qui attirerait son attention et pourquoi.
Et ce jour-ci, dans ce restaurant plus dans nul autre, elle sentait le regard du vieil homme la suivre depuis un coin de la salle. Pour peu qu'il ait eu le goût de la cuisine japonaise, il aurait certainement apprécié le Dragon.
Cependant, comme dans le conte de Dickens, le fantôme des cuisines passées de l'Angleterre ''Christienne'' dut laisser la place au fantôme des cuisines présentes, ici joué avec vivacité par le jovial Togo qui, connaissant manifestement Make, il se dirigea vers lui avec un enthousiasme en béton et un débordement verbal grandissant. Shihomi fit un petit salut discret de peur d'interrompre de si chaleureuses retrouvailles, mais le chef porta son attention sur elle .
- Je vois que tu nous as apporté de la compagnie! Elle est vraiment belle en plus.
cette remarque aurait pu être de la galanterie simpliste, mais cela ressemblait à un constat enjoué, comme si il voyait sa couleur préféré sur la robe de Shihomi et n'avait pu garder cette bonne surprise pour lui. De même le baisemain, pour lequel elle se laissa faire avec un sourire, donnait l'impression d'un geste lui était venu naturellement.
Lorsqu'il reparti, non sans les avoir installé et leur avoir offert le diner, elle eut un petit rire. Make, lui, avait un sourire qu'elle traduisit mentalement par ''il est pas mal celui-la dans genre, hein?''. Elle risqua un petit commentaire:
- C'est un sacré personnage! Il a l'air gentil.
elle prit le menu posé devant sa place et commença à le lire en poursuivant:
- Il est toujours aussi... démonstratif? Il en dit un peu trop, quelque part. Il pouvait par exemple pas savoir que tu m'avais déjà signalé la rareté de tes sorties. Il aurait pu avoir fait une gaffe en disant ça.
elle se rendit compte qu'elle s'empêtrait dans ses explications et que Make pouvait tout à fait mal prendre ses commentaires. Confuse, elle se reprit:
- ne comprend pas de travers. Je le trouve vraiment gentil. Tout ce que je veux dire c'est pas avec lui qu'on garde sa part de mystère. C'est important, ça, non?
puis vint la question qui devait tomber, comme à chaque sortie de ce genre, et à laquelle personne ne trouvait de réponse qui la satisfaisait. ''parle-moi un peu de toi!''. Shihomi tenta de dédramatiser cette question en piquant un peu le jeune homme
- j'en sais pas beaucoup plus sur ton compte! En plus c'est toi qui m'a demandé de venir ici, c'est à toi de faire la conversation. Mais si tu veux que je commence... voyons...
Évidement, la première chose qu'on trouve à dire à ces moment est presque la plus stupide possible. En l'occurrence, ça aurait donné un truc du genre ''je suis membre d'un groupe de lycéennes qui pratiquent le sexe de manière quotidienne et en changeant de partenaire à chaque fois.''. L'avantage avec ce genre de remarque c'est qu'il est difficile d'imaginer sujet d'étonnement plus efficace. Mais non. Il ne faut pas trahir le groupe par goût de la surprise.
- je suis né à Seikusu, où j'ai passé la plus grande partie de ma vie, à part mes vacances que je passe chez grands-parents au Nord. Depuis deux ans, je vis dan un appart avec ma meilleure amie, parce que ça me donne plus de liberté et de temps libre que d'aller chez mes parents, qui sont plus en banlieue.
Sinon, voyons...ah! Oui! j'aime faire du vélo. Surtout dans le village de mes grands-parents parce que c'est très montagneux, donc quand tu descend, Wouahou! C'est un peu comme... comme une montagne russe, mieux même! Tu as un tel sentiment de puissance, c'est... grand.
comprenant qu'elle s'était laissé un poil emportée par son sujet, et qu'elle avait failli dire plus qu'elle ne le devait, elle eut un sourire gêné. Elle demanda:
- Tu comprends ce genre de sensation?
puis elle cacha son visage derrière le menu.
Après un instant sans plus trop oser parler, elle détourna la conversation vers le menu:
- ce menu est très complet dis donc! J'ai un peu peur de me perdre dans tout ces plats! T'as une suggestion?