Mélinda le poursuivait. Elle entait la bête se rapprocher, heure après heure. Un énorme sanglier qui rôdait dans la région, et qui avait massacré une bonne partie d’un troupeau en traversant à toute allure un champ, culbutant un chariot et le renversant. C’était ça qui était terrible avec les sangliers : leur charge. Un sanglier qui courait vite ressemblait à une espèce de char d’assaut capable de briser un mur. Surtout un bestiau de cette taille-là. Un véritable monstre. La milice locale était sur sa piste, et Mélinda avait vu là l’occasion de s’entraîner un peu, de retrouver le bon vieux plaisir de la chasse. Après tout, elle était une vampire, soit une prédatrice. Et la chasse, ça ne se résumait pas qu’à traquer de jeunes filles terrorisées dans les bas-fonds de Seikusu, mais également à se promener en forêt.
Pour le coup, Mélinda avait donc arrangé sa tenue, abandonnant ses robes amples pour des vêtements plus serrés, à savoir une combinaison noire moulante. De cette manière, ils n’entraveraient pas ses mouvements. Se déplacer en forêt, c’était tout un art. Ce sanglier embêtait la région depuis maintenant plusieurs semaines, et c’était l’un des chasseurs de Mélinda qui l’en avait informé. Ces derniers parcouraient les contrées à la recherche d’esclaves susceptibles d’intéresser la vampire. Ils n’étaient guère nombreux, et la nouvelle d’un gros sanglier, et, surtout, la récompense promise, avait attiré la vampire.
Cette dernière le pistait. Le sanglier avait à moitié déraciné un arbre en galopant rageusement. Mélinda ignorait ce que cette bête avait, mais elle était furieuse, et elle comprenait mieux les angoisses des fermiers. Un sanglier géant qui piétine les plantations d’un agriculteur, ce n’était pas le bienvenu. Mélinda le suivait donc, mais arriva trop tard... Elle le sut avant même de voir de visu le carnage qui avait lieu. Elle sentit en effet de nombreux groupes sanguins agglutinés autour du sanglier, ainsi qu’un groupe sanguin... Très particulier. Bien trop particulier pour être un humain. On aurait dit...
*Un démon ?! Mais qu’est-ce qu’un démon fiche ici ?*
Intriguée, Mélinda avait redoublé d’allure, et s’était dissimulée sur une branche d’arbre, afin d’observer la scène. Quand elle arriva, ce fut pour voir une femme redoutable, une démone, massacrer une dizaine de gardes. Il n’y avait en soi pas grand-miracle à vaincre ces troupes. Il ne s’agissait que de soldats inexpérimentés, voire même de simples miliciens que le seigneur local avait recruté à la hâte pour chasser le sanglier, mais, malgré tout, c’était une belle prouesse. Mélinda se régala de ce spectacle savoureux, et un sourire amusé révéla toutes ses dents alors que la démone massacrait impitoyablement les soldats dans des hurlements de douleur atroces et des membres qui giclaient. C’était une créature redoutable, indéniablement, et Mélinda en eut confirmation quand sa queue tranchante coupa deux miliciens, et qu’elle se mit à grandir, manquant renverser les arbres, pour achever les survivants.
*Diable ! Une femme dont il faut se méfier... Heureusement que j’ai avec moi ma dymérite...*
Faire agrandir son corps, pousser sa queue... Il y avait fort à parier que c’était là des attributs magiques. La magie des démons. Mais toute magie avait son point faible. Et il existait sur Terra de rares cristaux qui avaient la faculté d’annuler la magie. On trouvait l’obsidienne, mais il y avait aussi des cristaux plus rares, comme la dymérite, un morceau de cristal très précieux qui devait être préparé par des alchimistes chevronnés. La dymérite tuait toute forme de magie, et Mélinda avait toujours avec elle un morceau de dymérite. Il était dans un pendentif qui en annulait les effets, mais, dès qu’elle ouvrait ce dernier, la magie s’en alla.
Après ce massacre, la démone continua à la régaler en allant dévorer les corps des gardes. Elle les regroupa, et se plongea dans son repas, arrachant ici et là un bras, le découpant en deux, suçotant un œil, un bout de cervelle, avalant les muscles et les morceaux qui grouillaient autour des os... Depuis sa position, Mélinda était réellement en transe, tellement qu’elle se surprit à se caresser. Elle ne faisait pas un bruit, laissant la démone manger, tout en glissant sa main entre ses jambes, se touchant fort volontiers. Ce petit spectacle dura bien une bonne demi-heure, avant que la démone n’aille se coucher, et dormir.
Elle saignait, et ce spectacle, cette orgie sanguine, avait mis la vampire en émoi. Restait encore à aborder cette démone... Car elle portait un collier et une laisse. Or, qui dit « collier et laisse » dit forcément « Maître ». Et, pour être honnête, vu la gueule de l’esclave, Mélinda tenait à éviter de croiser le maître. Pour autant, à part elles, il n’y avait pas âme qui vive. Le « maître », soit était un puissant mage qui les observait à travers des orbes, soit n’existait pas, soit était éloigné, et avait laissé sa démone chasser dans la forêt.
*D’un autre côté, je suis tellement excitée que je me vois mal rebrousser chemin et rentrer tranquillement à l’auberge...*
Un sacré dilemme... La raison lui imposait de laisser cette démone, de partir ailleurs, car il y avait trop de risques. Mais, d’un autre côté, si Mélinda devait constamment suivre la raison, et ne jamais prendre de risque, elle n’aurait jamais choisi d’être une esclavagiste. De plus, si cette démone était effectivement plus dangereuse qu’une simple humaine, elle semblait manquer d’expérience. Elle avait frappé de manière assez désordonnée. Sanglante et cruelle, certes, mais, face à de véritables soldats ashnardiens, elle se serait fait mettre en pièces. De plus, le fait qu’elle n’ait pas songé à ôter ses vêtements témoignait également d’un certain amateurisme. Avec un coup de lavage, le sang sur la peau partait, mais, sur des vêtements, c’était plus compliqué.
*Je ne vais pas m’effrayer pour une simple démone... Et puis, bien muselée, elle pourra faire bien dans ma collection...*
Mélinda intervint alors, et sauta sur le sol, faisant suffisamment de bruits pour que la démone se réveille. Avec son sang sur la figure, elle était succulente. La vampire s’approcha avec un léger sourire, évitant soigneusement de marcher sur des morceaux de corps, et lui lâcha, dès qu’elle la vit se réveiller :
« Tu avais une grosse faim, hein ? » lui glissa-t-elle avec un sourire chaleureux.
Nerveusement, Mélinda triturait son pendentif en dymérite, prêt à l’ouvrir au moindre geste brusque.