«
Et pas d’esclandres ce soir ! -
Promis, Maman grogna Mélinda avec ironie.
-
J’ai regardé la fiche des esclaves que tu as dépêchés pour la soirée... -
J’ai choisi les plus serviles... -
Je tiens à te le redire encore une fois, Mél’, au risque de passer pour une vieille qui radote. Je ne veux pas de vagues. La soirée qui va se dérouler est très importante. Et tous nos invités n’ont pas le même appétit que toi pour l’attirance physique... -
Il en va de même pour toi, je te ferais dire. -
Hum... Ce n’est pas faux. Quoiqu’il en soit, je tiens à te rappeler que plusieurs conseillers impériaux seront à cette soirée, et que, s’ils apprécient la beauté féminine, ils n’apprécient que peu des séances de débauches. Diable, nous ne sommes pas à Nexus ! »
Mélinda eut un léger sourire carnivore. Une grande soirée avait lieu ce soir dans un grand manoir ashnardien, au cœur de la capitale. Évidemment, la soirée ne pouvait être faite qu’en l’honneur d’un évènement militaire. Il n’y avait qu’à Nexus qu’on faisait des soirées pour célébrer l’anniversaire de tel ou tel nobliau, ou pour féliciter la hausse du cours du blé sur les marchés nexusiens. On célébrait ce soir la réussite grandiose d’une campagne militaire ayant eu lieu contre quelques duchés rebelles au sein de l’Empire. L’Empire ne tolérait pas la sédition ou la félonie, et on avait dépêché sur place le
Maréchal Coehoorn Var Emreis. Une jeune étoile montante au sein de l’Empire, un génie militaire qui redorait avec fierté le blason quelque peu déchu des Emreis, mettant fin à cette fausse réputation de parachuté, en raison du statut de son frère aîné,
Emhyr Var Emreis, Conseiller Impérial.
La victoire avait été totale, d’autant plus totale que Coehoorn avait choisi d’épargner bon nombre de civils, appliquant en cela les nouvelles tactiques militaires ashnardiennes qui considéraient que, sur le long terme, le massacre des civils était contreproductif à la machine de guerre. Le Maréchal était resté sur place, tandis que ses alliés, notamment les mortels dragons de Sylvandell, étaient repartis. Il avait pacifié la situation, assisté au procès des coupables. Le bourreau avait beaucoup travaillé, et, pour fêter ça, l’État organisait une réception huppée. Seule la haute de la haute aurait le droit d’y assister. Mélinda était tout naturellement invitée, d’autant plus que l’Empire avait demandé son aide pour organiser la soirée, en demandant plusieurs de ses esclaves pour l’entretien. C’était d’autant plus facile que Mélinda avait ses entrées à la Cour.
En effet, la femme avec qui elle parlait, et qui était l’une des rares personnes à pouvoir lui parler comme si elle s’adressait à une gamine, était sa mécène, sa protectrice, une redoutable démone qui s’appelait
Kaileesha. Cette dernière était très influente à la Cour, où elle représentait Emhyr Var Emreis.
«
Ce n’est pas dans l’habitude des démons de s’inquiéter à ce point... plaisanta Mélinda.
Je serais sage. Promis. »
Un grand sourire d’enfant vint appuyer cela, et Kaileesha lui pinça le nez. La calèche s’arrêta ensuite, et le cocher descendit, ouvrant la porte. Les deux femmes descendirent.
«
Tu n’as pas amené ton frère, au fait ? -
Je ne tiens pas à m’afficher en sa compagnie. Mais il sera là. Je sais que les femmes craquent facilement pour lui. »
Kaileesha eut un léger sourire évasif, puis les deux femmes rejoignirent la soirée. Elle avait lieu dans les hauteurs de la ville, dans un grand manoir avec un jardin qui offrait une vue sur toute la ville. On pouvait voir les hautes tours du Palais, ainsi que les montagnes, au loin. La ville était bâtie dans un grand désert, mais n’en restait pas moins impressionnante. Mélinda et Kaileesha entrèrent ensemble. Il n’y avait que du beau monde ce soir : les Emreis, mais aussi les Caellach, les Mawr, les Denatharion, et tant d’autres... Mélinda reconnut même l’un de ses rivaux, un esclavagiste influent, et grogna légèrement. S’il était là, c’est que son entreprise devait plutôt bien fonctionner.
La réception avait lieu dans le jardin, mais aussi dans un énorme salon avec une mezzanine, des lustres, et de grandes peintures faites à l’huile sur les murs, montrant les grandeurs de la maison qui organisait la soirée : les Emreis. Emhyr était donc le maître de soirée, avec son léger sourire accueillant au coin des lèvres. Il salua Mélinda, sans loucher, ou sans le montrer, sur son décolleté, lui baisant la main, lui souhaitant une agréable soirée.
Il fallait dire que Mélinda avait choisi une belle robe. Elle n’était pas très onéreuse,
noire, fendue, et mettait agréablement ses seins en valeur par un décolleté en forme de losange. La robe lui allait plutôt bien, et elle commença à regarder les invités. On avait murmuré que l’Empereur en personne ferait partie des convives, mais il y avait peu de chances qu’il soit là. Regardant les convives, Mélinda reconnut quelqu’un, et elle se dirigea vers...
«
Alice ! »
En entendant son nom, une tête blonde qui discutait, un verre de vin à la main, avec un homme, tourna la tête. C’était bien elle. Alice Korvander, Princesse de Sylvandell. Que les Sylvandins soient là n’était pas surprenant ; ils avaient été décisifs dans cette campagne. Ce soir, la Princesse portait une
longue robe rouge avec des motifs de dragon. Un choix vestimentaire assez curieux.
«
Mélinda ! »
Fort respectueusement, Alice pencha la tête pour la saluer, et lui expliqua que les Terriens se saluaient ainsi... Du moins, une partie.
«
Ah... C’est une robe... Japonaise, non ? -
Chinoise, en réalité. Les Terriens ont l’air assez pointilleux à ce sujet. Ma femme me l’a conseillé, alors... -
Ton père n’est pas là ? -
Sois sérieuse, Mélinda... »
Même à Ashnard, loin des montagnes de Sylvandell, le « tact » légendaire de Tywill Korvander était connu de tous. Il haïssait ce genre de réceptions mondaines. Quant à Alice et Mélinda, elles étaient amis. Après tout, Sylvandell et les Warren avaient passé ensemble un contrat qui permettait aux Warren de recueillir une bonne partie des esclaves et prisonniers de guerre sylvandins afin de les éduquer, recevant en échange une partie des esclaves dressés, et en rendant une autre partie. Un échange rentable sur le long terme.
Tout d’un coup, cette soirée s’annonçait un peu moins fatigante. Il ne fallait pas se leurrer : ce n’est pas parce qu’Ashnard était une puissance militaire qu’on n’avait pas le droit à chaque fois au même théâtre. Car la politique n’était rien de plus qu’une vaste pièce. Un ensemble de sourires hypocrites, mielleux. Les Ceallach complimenteraient les Emreis, mais n’attendaient qu’une chose : qu’ils chutent, car leur lumière leur faisait de l’ombre. C’était le jeu. Un jeu où les plus faibles ne pouvaient que mourir, et où les plus forts devaient constamment surveiller les autres. Le jeu du pouvoir, où seuls les plus retors pouvaient espérer survivre. Ce jeu n’excluait pas l’Empereur. Certains l’avaient cru, et l’avaient regretté.
Mélinda n’était toutefois pas au bout de ses surprises.
[HRP – Pour info’, voici un
lien, en espérant qu’il marche, qui permet de voir un peu mieux la robe de Mélinda ^^]