Cramponné à la tasse mauvais café brûlant que lui avait servie Yamazaki, Nigel Barclay tentait désespérément de se concentrer sur ce que ce dernier lui disait pour ne pas céder au sommeil.
Le sergent Yamazaki était l'un des rares amis que Nigel se soit fait depuis son arrivée à Seikusu ; jeune et vif d'esprit, il faisait preuve de beaucoup d'humour pour survivre au sein de la Police Criminelle. L'analyste avait autrefois collaboré avec lui pour un profiling sortant des sentiers battus, avec succès ; Yamazaki avait bénéficié d'une promotion, et Nigel d'une réputation flatteuse au sein de la Criminelle, où il avait à présent ses entrées. Seul le psychologue attitré de la brigade lui vouait une rancoeur et une jalousie tenaces, ce qui n'avait guère surpris Nigel, habitué à susciter ce genre de sentiment autour de lui.
Nigel aurait envoyé au diable n'importe quel olibrius qui aurait osé le tirer du lit à trois heures du matin sans motif sérieux, mais Yamazaki lui était sympathique, et il semblait avoir un besoin urgent de ses services en tant que psy. Nigel avait donc traversé Seikusu pour venir écouter le récit du sergent au poste de police, devant un café franchement dégueulasse. Ce qu'il fit remarquer.
« - Votre café, il est dégueulasse à dessein ? C'est pour mieux vous réveiller, ou c'est une manière de forcer les suspects à parler ?
- C'est le seul moyen qu'on a trouvé pour que les gars des Moeurs cessent de venir nous en piquer en permanence. Bon, j'admets qu'il est vraiment mauvais, mais de toute façon, te connaissant, seul un verre d'alcool aurait eu grâce à tes yeux, pas vrai ? »
Touché.
« - Bon, et ton affaire, alors ? Tu me disais qu'une nana s'était faite serrer il y a une heure sur les lieux de ce meurtre dont les journaux ne cessent de parler ? Cet homme qu'on retrouvé quasiment étalé dans tous les coins de son séjour hier soir ?
Exactement. Et comme on n'a pour l'instant ni piste, ni suspect, ni mobile, tu imagines à quel point on est intéressés d'avoir coincé ce joli p'tit lot dans l'appartement de la victime tout à l'heure. Maintenant, il faudrait qu'on sache exactement ce qu'elle est venue y faire, et c'est pour ça que tu es ici.
Au risque de te paraître idiot, je ne saisis pas vraiment mon rôle là-dedans ? Tu penses que mon boulot de psy me rend apte à mener un interrogatoire ?
Quand on a pincé la fille, elle était en train de psalmodier à côté d'un cercle tracé à la craie, et elle avait placé divers objets ayant appartenu à la victime près d'elle. Elle a piqué une crise terrible quand mes collègues l'ont forcée à sortir de l'appartement, elle disait qu'il fallait qu'on la laisse finir, que c'était dangereux, puis elle a traité Yamato de crétin ignorant avant de lui coller un coup de pied dans la rotule suivi d'un autre dans les parties.
Si je te suis bien, cette fille était en train de simuler un rituel magique ? C'est du délire, là.
Précisément, d'où ta présence parmi nous ce soir.
Vous n'aviez pas un autre psy sous la main pour discuter avec notre fan d'occultisme ?
Si, mais il se trouve qu'aucun n'avait l'avantage d'être un gaijin comme toi, sans vouloir te vexer. On s'est dit que ce serait un plus si elle voyait une sorte de compatriote. C'est un raisonnement stupide, je te l'accorde, mais honnêtement, je préférais que ce soit toi qui la voies. Elle a l'air maligne et vicieuse, la petite sorcière.
Vous avez vérifié son identité ? Elle a donné une raison à sa présence ici ?
Snow Burton, 23 ans, journaliste. Elle dit qu'elle était là pour son boulot, et elle a refusé de nous expliquer son cirque à l'appartement.
Pas de lien avec la victime ?
Pas que l'on sache. Maintenant, si tu pouvais nous dire à quel point cette nana est folle ou pas, ça pourrait nous aider à décider si on la boucle pour de bon ou si on l'expédie à l'asile dans lequel tu bosses. »
Nigel regarda par la petite vitre dans la porte de la salle d'interrogatoire, et observa Snow Burton. Sacrément bien roulée, décida-t-il. Elle et lui auraient du se trouver au fond du même lit à cette heure, dans un monde parfait, et pas au poste de police pour une confrontation. La fille tourna la tête vers lui à ce moment, et Nigel eut l'impression fugitive qu'elle le voyait, ce qui était impossible. Il remarque qu'elle avait une forte rougeur qui allait de la joue gauche à l'arcade.
« - D'où lui vient ce coup à la tête ?
Le coéquipier de Yamato a réagi un peu vivement à l'agression de son collègue, il en a pris pour son grade, mais il paraît que cette fille est une vraie furie. «
Nigel soupira.
« - Ok, j'y vais, tu es le seul à suivre ça, on est d'accord ?
Tout le monde est au lit, sauf nous, mon vieux. Elle est à toi.
Si seulement … «
Nigel entra, son café toujours à la main, ferma la porte derrière lui et s'assit posément. La fille n'esquissa pas un mouvement, se contentant de le suivre des yeux avec une intensité perturbante.
« - Bonsoir, Mlle Burton, je me présente, Nigel Barclay. Je suis analyste, et je ne travaille pas pour la Police de Seikusu. Je viens simplement entendre ce que vous voudrez bien me dire sur ce qui s'est passé ce soir, si vous le désirez. «
Nigel baîlla, puis regarda la fille …
« - Café ? Mais je vous avertis, il est infect. »