Contrairement à ce qu'avait cru Nigel, Snow Burton s'étendit sur le canapé, se mettant à l'aise. L'analyste aurait parié qu'elle resterait assise, face à lui, dans une attitude de conflit. Elle avait également accepté le verre et les sushis, ce qui paraissait de bon augure. Peut-être commençait-elle à se détendre, ou à l'accepter dans son environnement humain immédiat – du moins pour le temps de la séance. Sa manière de lui répondre restait fortement teintée d'ironie, mais Nigel crut percevoir également une forme de souffrance lorsqu'elle évoqua son adolescence. La fille pouvait très bien être en train de lui raconter n'importe quoi, pour avoir la paix, mais il pensait qu'elle était sincère et jouait le jeu, en un sens. Tout de même, son allusion à une adolescence qu'elle qualifiait de particulière le laissait penser qu'elle essayait de lui dire « mais je suis bien une sorcière, même si tu n'y crois pas ». Elle y croyait vraiment, il faudrait creuser la question plus tard.
Par contre, de manière surprenante, Snow Burton semblait avoir effectivement eu de mauvaises expériences avec la police comme un psychiatre. C'était très prévisible, et justement pour cette raison, Nigel était surpris, l'expérience lui ayant appris que les choses étaient rarement aussi caricaturales qu'on le croit. Son instinct lui soufflait qu'il y avait plus qu'une adolescente délinquante ou une excitée se prenant pour une sorcière.
Snow exprima ensuite sa mauvaise humeur relative à son arrestation d'hier soir et la confiscation temporaire de sa carte de presse par la Police. Elle ne l'avait quand même pas volé et s'en tirait même à bon compte, mais il ne la blâmait pas : elle voyait les choses à sa manière, et elle avait l'habitude de penser que ses choix étaient souvent meilleurs que ceux des autres. Exactement ce qu'une fille avec qui il s'était envoyé en l'air alors qu'il faisait sa spécialisation en médecine lui avait dit, et cette fille était plutôt perspicace. Snow et lui semblaient avoir quelques points communs. Il sourit, amusé. Elle avait d'ailleurs l'esprit aussi mal placé que lui, également, ou alors, elle le provoquait. Nigel aussi usait de la provocation pour s'imposer, déstabiliser et séduire. Cette fille lui renvoyait un peu de lui … effet miroir. C'est surement pour cela qu'elle m'attire et m'agace en même temps, se dit-il.
Snow lui demanda pourquoi il avait choisi le métier d'analyste, visiblement mal à l'aise après ces quelques paroles. Une femme forte, peu habituée à se livrer, mais plutôt sensible sous ses dehors de dure à cuire. Sa diversion était tout de même un peu trop évidente …
« - Normalement, je ne devrais pas vous répondre, Mlle Burton ; le sujet, ici, c'est vous, pas moi. Vous essayez semble-t-il d'éviter de vous souvenir de choses douloureuses. Vous n'avez pas à le faire, si c'est trop dur pour vous, vous pouvez parler d'autre chose. Allez à votre rythme.
Toutefois, à titre exceptionnel, et parce que vous êtes une patiente un peu particulière, je vais vous répondre : je suis devenu analyste car le fonctionnement de l'être humain me fascine. Je n'ai pas une grande foi en l'homme, et pourtant, la complexité, les nuances du comportement humain exercent sur moi une fascination incroyable, je continue à être surpris et à apprendre, alors que tant d'autres domaines me paraissent … limités.
Et en vous aidant, j'apprends moi-même. »
Nigel regardait à présent Snow Burton avec une intensité inattendue. « Continuez à parler comme vous le faisiez à l'instant, vous vous débrouillez très bien. »