« Petite princesse », « petite souris »... C’était à croire que cette arrogante humaine la narguait délibérément afin de la forcer à attaquer. Elle s’avançait vers Mélinda avec assurance, comme pour lui montrer qu’elle ne craignait pas la vampire. Cette dernière n’était toutefois pas dupe. L’endroit devait sûrement disposer de nombreux pièges, et ressemblait à une espèce de cellule capitonnée à haute sécurité. Il y avait sûrement de nombreux dispositifs, et, si jamais elle faisait le moindre signe menaçant envers cette femme, la vampire était sûre qu’elle se recevrait de quoi sombrer dans les vapes.
Elle laissa donc l’arrogante humaine parler, lui expliquant qu’elle sera libre « d’ici ce soir », si elle acceptait de se soumettre à des scanners. Il fallait juste qu’elle fasse preuve de « bonne volonté », ce qui la fit légèrement sourire. Son sourire révéla ses canines pointues, et elle enchaîna.
« Petite princesse... C’est amusant, ce choix. C’est ainsi que mon frère m’appelait quand j’étais encore une petite humaine. Quand j’étais un bébé, il paraît que je pleurais pour un rien. Je n’ai jamais connu l’amour de mon père, qui ne voyait en moi qu’une future prostituée pour soutenir les rangs de son harem, et mon frère... Mon frère, lui, me haïssait. On m’appelait la ‘‘petite princesse’’ car j’étais capricieuse, car je pleurais beaucoup, et Bran, mon frère, ne supportait pas de m’entendre chialer... Je chialais parfois toute la nuit, d’une voix perçante et suraiguë, l’empêchant de dormir... Mais mon père s’en moquait. Bran devait un jour lui succéder à la tête de sa glorieuse entreprise, et, s’il n’était pas capable de mater une môme criarde, comment pourrait-il mater des esclaves ? »
Mélinda était lancée dans un étrange discours qui semblait n’avoir rien à voir avec les instructions de cette petite scientifique. Croisant ses mains derrière son dos, la vampire s’était rapprochée de l’aquarium, s’approchant des poissons.
« Il a compris comment me faire taire quand j’avais quatre ans. Il a compris que me frapper était la meilleure manière d’obtenir de moi le silence. Il a compris que, quand j’avais peur, je chialais et je rouspétais, mais que, quand j’étais terrifiée, je me taisais, et je lui obéissais. Et, pour me terrifier, il fallait me dompter, me dresser, me frapper. J’étais la petite princesse du harem, chiante, et qu’on dressait à coups de pieds, à coups de boucles de ceinture. J’ai toujours cru que Bran ne désirait qu’une chose : me tuer. M’étrangler dans mon sommeil pour toutes les nuits blanches que je lui ai procuré, mais, quand j’ai eu huit ans, j’ai compris qu’une autre chose de moi l’intéressait. »
L’une des mains de Mélinda caressait la surface de l’aquarium, ses griffes se mettant à crisser sur le verre, créant quelques légères fissures. Elle ne regardait toujours pas la scientifique en parlant.
« J’ai eu droit à ma première sodomie, et ce ne fut pas la dernière. Quel genre de monstre est capable de sodomiser une fillette de huit ans ? De surcroît quand elle est sa propre sœur ? Quel genre de père est capable de cautionner ça ? Quel genre de père peut, quand sa fille lui demande de le protéger après qu’on lui ait explosé le cul, ordonner aux hommes de la baiser, de la fouetter, et de s’y mêler dans la joie et la bonne humeur ? Je me souviens encore de leurs cris de joie, de leurs rugissements bestiaux quand ils me fouettaient pour que je me réveille. ‘‘Ne dors pas encore, petite Princesse !’’ ‘‘Il y a encore un second service pour vous, Votre Majesté !’’. »
Mélinda cessa alors de contempler l’aquarium, et contempla alors la femme, et lui parla sur un ton tranchant :
« Je les ai tous tués. Je les ai dévorés, je les déchiquetés, et je les ai massacrés. Je les ai torturés jusqu’au dernier pour connaître leurs proches, les noms de leurs femmes, de leurs enfants, et je les ai massacrés. Sous leurs yeux. J’ai ouvert le ventre de mon père, et je lui ai fait manger ses propres organes. Je les ai pendus avec leurs intestins, je les ai donnés à manger à des chiens affamés, je les ai enfermés dans des tombes remplies d’araignées, d’insectes... Tu vois, ma chère, je ne manque pas d’imagination pour ce qui est de la cruauté. Je n’ai pas grandi avec une cuiller en argent dans la bouche, mais avec une queue dégueulasse et un coup de fouet entre les reins. »
Continuant à parler, Mélinda se rapprochait de la femme. Elle parlait sur un ton froid, calme, solennel, dur et sérieux.
« Et je croyais savoir ce qu’était la souffrance. Peux-tu te l’imaginer ? Je croyais qu’il n’y avait rien de pire que se faire violer, et que j’avais tout vécu... Pauvre petite naïve... Tu veux savoir une chose sur les vampires ? Nous n’aimons pas dormir. Et tu sais pourquoi ? Car, à chaque fois que nous sombrons dans le sommeil, les cauchemars reviennent. Les cauchemars de notre transformation. J’ignore combien de films de vampires tu as du voir dans ton ignorante petite existence, mais une transmutation n’est ni agréable, ni courte. C’est une expérience de douleur inédite. La souffrance est si forte que je ne connais aucun mot, aucun superlatif, qui puissent être assez forts pour exprimer ce qu’on ressent. Essaie un peu de t’imaginer... Chaque parcelle de ton corps, chaque nerf, chaque veine, chaque muscle, chaque cheveu... Chaque infime partie de ton corps se mit à souffrir d’une manière intolérable, pendant des heures, des heures, et des heures... On aimerait se dire que cette souffrance inimaginable puisse se terminer, qu’on puisse s’y habituer, mais elle continue, toujours autant. Tu veux m’effrayer ? Avec tes petites piqûres et tes sédatifs ? J’ai vu la Mort, ma belle, je l’ai vu, et elle m’a pris dans ses bras... Et j’en suis ressortie. Voilà ce qu’est un vampire, ma chérie : un être supérieur, quelqu’un qui ne connaît pas la peur, car il a dominé la Mort. »
Mélinda était maintenant toute proche de la femme, et murmurait presque :
« Ces gens qui m’ont traumatisé... Ils me terrifiaient. Et tu sais quoi ? Je les haïssais plus que tout, et, dans ma haine, je les imaginais... Invincibles, immortels... Quand j’ai montré à l’un de ses hommes ses deux filles, en lui ordonnant de les enculer comme il l’avait fait avec moi, s’il ne voulait pas que je les égorge, il a chialé comme un bébé. Mon propre père s’est chié dessus, et, quand je lui ai ordonné de bouffer sa propre merde, il l’a fait. On aime tous se dire qu’on est invincibles, que notre esprit a une limite, une espèce de barrière infranchissable, un point à partir duquel on refusera de se plier aux ordres du bourreau. Mais, tu sais quoi ? Cette limite n’existe que chez les vampires, que chez ceux qui ont vu la Mort en face, et qui en sont ressortis. Fais-tu partie de cette catégorie, ma petite beauté ? Car, si ce n’est pas le cas, quand je te dirais de bouffer ta merde, tu le feras. Et quand je te laisserai le choix entre crever ou sacrifier cette fille que tu sembles apprécier pour survivre, tu choisiras de la tuer pour sauver ta peau. Tu te crois supérieure à moi ? Tu me prends pour une inoffensive souris qui braille dans le vide ? Une petite princesse à qui on doit donner la fessée pour qu’elle se calme et arrête ses caprices ? Détrompe-toi, ma beauté, je suis une saloperie de putain d’araignée. »
Mélinda recula alors légèrement sa tête, ayant presque soufflé sur la bouche de la femme ses explications.
« Maintenant... Fous le camp. »