Qu’Alexis ne prenne pas son pied ne rentrait pas en ligne de compte. Dans l’absolu, il était toujours préférable, pour Mélinda, que l’autre partenaire se plaise, sauf exceptions, mais, dans le fond, le plaisir de l’autre n’influait pas sur celui de Mélinda... Surtout quand il s’agissait de donner des coups de fouet. Dans un sens, elle aurait même préféré lire de la terreur dans son corps, mais, tout ce qu’elle ressentait, et qui était encore plus frustrant, c’était une espèce d’absence de la part du démon. Une terreur panique, oui, mais pas à son encontre.
*Salopard de démon... Tu me prends pour qui ?! Je suis une vampire ! Je suis Mélinda Warren ! Tu dois me craindre et me respecter, stupide esclave !*
Ses mains tremblaient de frustration, alors que Mélinda réfléchissait à une nouvelle manière de le torturer, de lui faire payer cet ignoble affront. L’enfermer à nouveau dans la vierge de fer ? L’attacher à l’un des arbres de sa propriété en le recouvrant de miettes de pain pour laisser les oiseaux le titiller ? Faire un séjour à Sylvandell pour le suspendre plusieurs jours sur les croix en bois surplombant le vide ? Mélinda ne manquait pas d’idées, mais il lui en fallait une maintenant. Elle abattit rageusement son fouet, dont le bout était recouvert d’une matière écarlate qui s’égouttait sur le sol. Quiconque serait rentré ici aurait pu croire qu’Alexis était mourant, à voir la manière dont son dos semblait avoir été piétiné par un éléphant.
Mélinda entendit soudain des battements d’ailes. Alors qu’elle s’apprêtait à abattre encore une fois de plus le fouet, elle s’arrêta, tournant la tête. Le bruit enflait et se rapprochait, faisant penser à une armée d’harpies emplumées convergeant vers son manoir.
« Mais qu’est-ce que... ?! » s’exclama Mélinda.
*SCRAAAAATCH !!!*
Le verre de sa fenêtre, double vitrage, explosa sous l’impact d’une nuée de corbeaux noirâtres qui plongèrent en piaillant. Mélinda en fut tellement surprise qu’elle en lâcha son fouet, sentant des serres lui griffer le visage. Elle en tomba à la renverse, tandis que Liana, plus prompte, fila se planquer sous le lit, feulant à chaque fois qu’un corbeau s’approchait, mais étant surtout terrorisée.
*Il faut croire que cet imbécile n’avait pas menti... C’est quoi, tous ces putains de piafs ?!* songeait Mélinda en se redressant.
Les corbeaux dévastèrent la pièce, passant par la cheminée, avant de sortir, se perdant dans le manoir. Mélinda entendit des servantes hurler de panique en les voyant filer dans toutes les pièces, avant de former une espèce de corridor unique qui explosa une grosse fenêtre au fond d’un couloir. Mélinda avait eu l’occasion, depuis son séjour sur Terre, de voir quelques films terriens, et cette scène n’était pas sans lui rappeler un classique du cinéma d’épouvante, « Les Oiseaux ». Si elle avait pu voir l’extérieur de son manoir, avec des oiseaux posés partout, y compris sur les lignes téléphoniques et le mur, la comparaison aurait été encore plus probante
Se relevant, Mélinda pesta en époussetant ses cheveux, ôtant des plumes. Sa belle chevelure était défaite, et, quand elle se regarda dans un miroir brisé et renversé sur le sol, elle fit la moue. Ses belles mèches étaient en bataille, la faisant ressembler à une furie ! La ressemblance était d’autant plus frappante qu’elle avait le teint rouge, colérique, et une furieuse envie de découper à tour de bras.
Les rideaux s’écartèrent alors, manquant être arrachées, et Mélinda comprit que la propriétaire des corbeaux venait d’arriver. Elle arriva dans un tourbillon de flammes dansantes et hypnotiques, et Mélinda crut initialement voir là Kaileesha, l’une de ses amies démones. Elle révisa son jugement. S’il y avait bien des ressemblances, Kaileesha n’avait pas cette longue chevelure d’un noir d’encre, pas plus qu’elle ne s’affublait d’une longue cape, ni ne portait autant de bijoux de manière aussi ostentatoire. Néanmoins, cette femme, comme Kaileesha, portait une espèce de pseudo-armure ayant plus vocation à mettre en avant les formes alléchantes de son corps, plutôt qu’à la protéger, et elle dégageait la même aura de puissance. Kaileesha, après tout, était une puissante démone ashnardienne, ayant ses entrées dans le Palais, et qui avait une carrière de militaire endurcie.
*Voilà donc la soeur d’Alexis... Le coquin a été avisé de ne pas m’en parler ; me voilà plongée dans une véritable dispute de famille !*
Les problèmes familiaux n’étaient pas l’apanage des humains ; ils étaient communs à toutes les espèces, et probablement à travers tous les âges. Les démons y avaient également droit, et les problèmes familiaux étaient généralement résolus à la manière des démons : dans le sang et la douleur. Le plus fort de la fratrie commandait aux autres, jusqu’à ce qu’un membre plus fort ne daigne le renverser. Mélinda n’avait jamais compris pourquoi les démons ne s’étaient pas tous entretués depuis des millénaires, vu leurs coutumes barbares... La vampire ne pouvait que rire face à cette croyance typiquement humaine, selon laquelle le pire ennemi d’un démon était un ange. Ange et démon étaient certes totalement opposés, mais le pire ennemi d’un démon, c’était un autre démon, tout simplement.
*Voilà pourquoi les vampires sont des êtres solitaires par nature... C’est beaucoup plus simple !*
Cette femme avait l’air d’une démone pure souche. Belle, vicieuse, avec un goût prononcé pour les effets théâtraux, elle avait aussi l’air, élément indispensable chez les démons, incroyablement chiante. Sans se gêner, elle rentra dans la chambre dévastée, utilisant sa magie pour attirer à elle le tableau représentant Mélinda. Fronçant les sourcils, cette dernière ne disait rien. La démone avait compris qu’elle était une vampire. Pas spécialement difficile, dans le fond, mais ça illustrait au moins le fait qu’elle était sensiblement plus forte qu’Alexis... Et pas du genre à courber l’échine.
La démone jeta le tableau sur le sol, fort heureusement sans le casser. Autrement, Mélinda aurait probablement du la tuer. Elle se présenta comme s’appelant Caprice, ce qui n’étonna qu’à moitié Mélinda. Que ce soit sur Terra ou en Enfer, les démons n’avaient jamais été très imaginatifs. Croisant les bras, la vampire finit par dire :
« Vous avez abîmé ma chevelure lâcha-t-elle d’un ton sec, n’ayant nullement peur. C’est un crime odieux. »
Elle tourna la tête. Liana était toujours là, se terrant dans les profondeurs du lit, espérant sans doute qu’on l’oublierait. Mélinda plongea son regard acéré dans celui de Caprice.
« Mais je veux bien vous pardonner ça ; les bonnes manières n’ont jamais été l’apanage des démons. A l’avenir, si vous voulez entrer, sachez qu’il existe un portail et une porte d’entrée. Vous n’aurez pas à laisser vos horribles plumes dans mon manoir ! »
Ce n’était pas Mélinda qui ferait le ménage, mis il était tout de même agressant, pour ses yeux, de voir des plumes noirâtres un peu partout.
« Bref... En temps normal, j’aurais volontiers choisi de converser avec vous, mais votre simple présence suffit à paniquer mon nouveau jouet, et intervient dans un moment où j’étais en train de me faire plaisir. Et je connais suffisamment les démons pour savoir qu’ils ne font pas de visite de courtoisie envers les membres de leurs fratries. En clair, qu’est-ce que vous voulez ? »
Mélinda était suffisamment intelligente pour savoir qu’elle ne gagnerait rien en attaquant Caprice. D’une part, elle n’était pas en tenue adéquate, et, d’autre part, elle ne voulait pas se battre dans son manoir. Caprice était puissante, et sa magie n’était pas son seul atout. Même si Mélinda pouvait l’affaiblir avec sa dymérite, cette démone semblait suffisamment puissante pour pouvoir continuer à se battre, ravageait sa belle robe, ses tapisseries, et abîmer son manoir.
*Ce n’est pas la première démone avec qui je négocie, songeait Mélinda. Et elle na pas l’air bien différente des démones de Terra. Si elle lit en moins une incertitude quelconque, une peur, elle se croira en position de force, et nous devrons nous affronter...*
Fort heureusement, tout ce qu’on pouvait ressentir de la part de Mélinda, c’était une espèce de profond agacement. Il suffisait ensuite de faire le lien entre le dos massacré d’Alexis et le liquide intime qui continuait à orner les jambes de la vampire pour comprendre ce qui l’agaçait.