Sous-douée, oui. ( Pv )

Un petit théme. Et un autre. Make your choice !



Qu'est ce qu'elle fout encore là ? serait la question que l'on pourrait poser à la jeune ingénue. Vêtue d'un uniforme de lycéenne qu'elle avait pris le soin de voler, puis de badigeonner de peinture pour vêtement, Alys gambadait dans le lycée, un casque rose fushia sur les oreilles. Les mélodies qu'il délivrait inondaient l'atmosphére sans aucune retenue, tandis qu'elle se permettait même de danser au beau milieu des couloirs. Alors que beaucoup s'affairaient autour de leurs casiers avant de retourner sagement étudier, elle remuait au rythme d'un son qu'elle seule entendait, les yeux éternellement fermés. Sa chorégraphie était hasardeuse, autant que les paroles qu'elle psalmodiait. Mais, à cet instant, elle était bien plus vivace que cette armée de lycéens.

Une mouvement de cheveux, et elle reprit le rythme. Son bassin remuait comme il l'avait appris, et ses jambes ne la lâchaient pas, infatigables danseuses. Ses bras étaient maintenus en l'air, ses mains rencontrant de temps à autre les murs autour d'elle. " Wake up bright light" chantonna en adressant à l'assemblée un balancé de hanches destructeur. Elle ouvrait à peine les yeux, vérifiant parfois le paysage qui la contenait, souriant à ces visages qui la dévisageaient sans vraiment savoir quoi penser d'elle.

Et c'est alors qu'un son qu'elle reconnaissait bien retentit dans son casque. Une assemblée de bip !, puis ... Le silence.

- Putain !

Dingue ce qu'elle pouvait avoir une voix aigue. Dans un geste de rage, elle envoya valser son casque et son MP3 contre un mur, et adressa un coup de pied à ce silence bien trop lourd, bien trop chiant, bien trop indifférent. Autour d'elle, il restait quelques personnes curieuses et amusées, mais la plupart étaient repartis vers leurs salles de cours respectifs. Après tout, regarder danser une adolescente à la criniére douloureusement maintenue dans une queue de cheval qui mençait de dire " Merde " à tout instant, au chemisier repeint d'un arc-en-ciel, au regard aussi fou qu'innocent, aux plateformes - elle se trouvait petite, et trichait à l'aide de chaussures de 15 cm, étant à l'instant même affublée de chaussures aux imprimés léopard dorés - exubérante, n'était pas si important que cela.

La jeune fille poussa un long soupir, chercha une cigarette dans son sac. Elle n'y trouva qu'une sucette à la fraise, et fit le choix de la planter entre ses lèvres. Une méche rebelle chatouillait sa nuque, ce qui l'agaçait plus qu'autre chose. Son MP3 émit un grésillement, avant qu'elle ne lui offre un coup de pied violent. Tant pis, j'en volerais un autre, songea t'elle.

Son regard d'encre se perdit, un instant, dans la contemplation d'un robinet qui vomissait une gerbe d'eau pleine de calcaire. D'ici dix minutes, elle le savait, elle aurait tout oublié. Un nouveau soupir, et un autre, puis elle donna un coup de pied dans le robinet.

- Putain de merde !

Ses réflexes enfantins lui causaient encore bien du tort. Son cri aigu, comme celui d'un enfant qui répéte ce qu'il a entendu, résonna un moment dans le couloirs, tandis qu'elle portait sa main à son mollet. Une douleur venait caresser violemment ses muscles, ne leur offrant aucune douceur. Sa cheville même, lui faisait un mal de chien. Cherchant un repére, elle s'appuya sur le robinet, et ... l'enclencha. L'eau lui sauta au visage, et elle tomba en arrière.

- Aaaaah !

En mode sous-douée, oui. Alys, quoi. La cheville violée, l'eau éparpillée sur la figure, et le dos claqué contre le sol, elle ne savait plus quoi faire que ruminer quelques insultes.

C'était purement et simplement une matinée à la con. Vous voyez un peu, ces moments où la journée commence par une série de catastrophes, si bien qu'à peine levé on se dit d'la merde, j'me recouche, je retente ma chance demain. Pierre avait l'impression d'avoir brisé un miroir en passant sous une échelle pour éviter un chat noir qui accompagnait son sosie. Il avait même fini par se demander si la chaîne qu'il avait reçu par mail, avec les trucs du style "fais tourner ou sinon tu vas te faire écraserparunpianolicencierplaquerviolerarrêterpourfraudefiscalerefuserlechômageemprisonnersodomisersousladouche d'ici 48 heures", n'était pas vraie. Les trucs bidons là, avec l'orpheline qui a dû fuir une institution dans une forêt en flammes sur son unique jambe attachée à un boulet avec une meute de loups et deux percepteurs d'impôts à ses trousses en écoutant du Patrick Bruel à haut volume. En clair, c'était vraiment, mais alors vraiment la merde.

Pourquoi? Déjà parce qu'il s'était levé avec un quart d'heure de retard, et qu'il avait un peu fait fondre son réveil pour lui fermer la gueule. Accident domestique lambda. Ensuite, arrivé sous la douche, le ballon d'eau chaude était en panne.Bonne douche froide, le truc qu'il haïssait le plus au monde. Puis en sortant, il s'était retrouvé obligé de taper dans le linge tout juste séché parce qu'il avait pas fait tourner de machine (un peu con sur ce coup-là). Donc, il était vêtu d'un beau T-shirt froissé avec un Mario qui bottait le cul de Peach, et un jean encore humide qu'il s’efforçait de réchauffer à sa manière. Bon début hein? Et c'est pas fini. On peut aussi parler du lait renversé au petit-déjeuner, du bus qu'il avait loupé, et une fois qu'il était arrivé au lycée bien à la bourre, des deux erlenmeyers et des quatre tubes à essai qu'il avait brisés pendant qu'il les lavait. Ouais, il cumulait grave là. Même un Dieu ne peut pas échapper à la poisse.

Mais à part ça et ses soudaines envies de créer des éruptions volcaniques partout en ville, rien d'atroce hein...

Il était dix heures passées. Comme il avait du temps libre, il errait dans les couloirs, tête baissée, mains dans les poches, en ruminant de sombres pensées, souhaitant détruire le monde juste pour être sûr de ne pas épargner un seul ballon d'eau chaude sur toute la surface du globe. Il sursauta lorsqu'il entendit un cri strident lui exploser les tympans, un "putain de merde" suivi du bruit typique de quelqu'un tapant dans quelque chose (ouah, quelle précision!). N'écoutant que son courage il accourut, car c'était son devoir en tant que membre du personnel de l'établissement d'enseignement secondaire de venir en aide aux élèves et de maintenir la discipline. Non c'est des conneries hein, il était juste très curieux. Il arriva au détour du couloir, à l'endroit d'où provenait le bruit, et continua sa matinée sur sa lancée en se croutant lamentablement, parce qu'il avait marché sur son lacet. Le summum du ridicule, la malédiction suprême. Il en voulait au monde entier, et détestait encore plus Héra. Ben oui, elle l'avais mis au monde pour qu'il subisse tout ça. La garce!

Il put donc assister, bien qu'il eut la joue collée contre le sol froid, à la petite bataille entre une jeune demoiselle qu'il n'avait jamais eu le plaisir de rencontrer, et un robinet. Pas de bol pour elle, le robinet avait gagné, et à son tour elle se cassa la gueule. L'eau lui coulait sur le visage. Son chemisier était mouillé.
Son chemisier.
Mouillé.

Il se releva en vitesse, répétant mille fois par seconde "regarde pas par là, regarde pas par là!", s'épousseta et se redonna un minimum de prestance, puis s'approcha avec une démarche confiante, se penchant légèrement en avant en tendant la main à la jeune fille.

"Tout va bien? Pas trop de mal?"

Il remarqua alors une chose très inhabituelle. Ses vêtements étaient bariolés. Très colorés, très flashy. Il en avait les yeux qui piquaient. C'était pas mardi gras pourtant, et personne ne lui avait parlé de ces nouveaux looks. Une mode indépendantiste? Bah, pas très règlementaire tout ça. Ses côtés lubriques de type qui était resté puceau pendant pas mal de millénaires lui murmuraient avec insistance "fais-lui enlever, fais-lui enlever!". C'est ce genre de pensées qui avaient créé X-SMYLE.

"Qu'est-il arrivé à tes vêtements? On t'as fait du mal?"

( Toi, je t'aime. J'ai ris sans m'arrêter en lisant ce que tu as écrit. )




L'adolescente agrippa immédiatement cette main tendue. Et se releva en titubant, en glissant, en poussant un cri suraigue, manquant de se vautrer à nouveau, sans oser prendre appui sur le robinet. Celui-là, elle le retenait. Un jour, elle lui mettrait sa misére sans aucun scrupule. Elle jeta un regard noir à cet objet en faïence, puis adressa un regard tendre à celui qui venait de lui sauver la mise. Bon, pas un de ces regard pâteux et dégoulinant de reconnaissance, juste un regard lumineux et plein de remerciements. Quand elle se retrouva à nouveau sur ses deux pattes, sa tête lui tourna légérement. Elle porta une main à son front, fermant les yeux un moment. Il fallait qu'elle reprenne ses esprits, qu'elle se calme, qu'elle ...

Et ce fut le blanc. Oui, celui qui caractérise si bien Alys. Ce vide abyssal, effrayant, qu'elle connaissait bien, sans jamais s'en souvenir. La jeune fille ouvrit de grands yeux, clignant violemment des paupières, et affichant un air outré. Sa main quitta son front pour venir toucher son chemisier trempé. Elle regarda un instant ce tissu imbibé d'eau et d'encre colorée, puis son regard tomba sur Pierre, à nouveau. En un éclair, son visage venait de changer d'expression : d'adolescente reconnaissante, elle était passée à l'adolescente paumée et ... amnésique. Oui.

- Je ...

Elle fronça les sourcils.

- Que s'est-il passé ? Qu'est ce que j'ai fais ? Qu'est ce que tu as fait ? Qu'est ce que tu m'as fait ? Pourquoi je suis trempée ? Pourquoi j'ai mal au dos ?

Une avalanche, que dis-je, un tsunami de question dévalérent hors de ses lèvres. Et, contre toute attente, Alys éternua. Son regard se perdit, cette fois, dans la contemplation du bâtiment tout entier. En clair : elle ne comprenait pas ce qu'elle foutait là, et d'ailleurs, c'était où ce là ? Puis ses yeux retombérent sur Pierre, qu'elle interrogeait encore du regard. Au fond du sien, on ne pouvait percevoir qu'une incompréhension totale. Rien d'autre. L'adolescente passa sa main dans ses cheveux trempés.

- Qui ... Qui es-tu ?

Elle s'appuya, d'une main, contre le lavabo. Sa main glissa, et l'adolescente menaça de tomber, encore une fois ... Mais elle se rattrapa bien heureusement à l'épaule de Pierre, dans un sursaut de survie. Elle visualisa, non loin d'elle, son MP3 et son casque lamentablement bousillés, et poussant une sorte de miaulement sourd. Comment ce matériel si dur à voler avait-il pu finir dans cet état ?

- Putain de mémoire ...

Murmura t'elle en grimaçant.

Ah, vous voyez, quand je disais " sous-douée " , je ne rigolais absolument pas.

Lui qui pensait que sa chance avait tourné, il fallait qu'il tombe sur la seule fille dans ce lycée, non, dans ce pays entier, à tomber amnésique après avoir été aspergée d'eau. Il s'était repassé la scène dix-huit fois en tête, mais il n'avait aucun souvenir que la tête de la jeune fille ait heurté le sol à un moment ou un autre. C'était bien sa veine, une position difficile... Ironie du sort, il avait gaspillé une soirée scotché devant Le Monde de Nemo quelques jours auparavant. En regardant cette inconnue avec son regard inquisiteur, il ne pouvait que visualiser cet abruti de poisson bleu et plat avec ses yeux globuleux et sa chanson débile. Il était tombé sur un canon (bariolé et décoiffé certes, mais un canon), et la seule chose qu'il avait à l’esprit, c'est qu'il était persuadé qu'elle s'appelait Dory. Il se jura alors que plus jamais il ne s'abrutirait devant un film d'animation. Il avait pourtant des choses plus constructives à faire en soirée, comme violer des inconnues ou détrousser des drogués...
Enfin, pour l'heure, il avait un rôle important à jouer: son identité quotidienne en tant que Pierre. C'était un peu Clark Kent, gentil mais un peu con, sauf que lui, il était beau. Et qu'il était tout sauf un super héros. C'est ainsi qu'il bredouilla, l'air affolé, en agitant les index devant lui:

"Euh... N-non, doucement, ce... C'est pas ce que tu crois! Je... Enfin, tu t'es fait asperger par le robinet, et tu es tombée! Je viens à peine d'arriver pour t'aider à te relever et... Tu ne te souviens vraiment pas? Ah, je suis supposé faire quoi?"

L'expression crispée, les yeux fermés, il se tenait la tête en la hochant de droite à gauche. Excellent jeu d'acteur non? Il serrait les dents, mais c'était surtout pour retenir un sourire. Celui du type qui s'est dit "alors comme ça si je lui fais quoi que ce soit, elle ne s'en souviendra pas?". Cela mettrait bien sûr un peu de piment dans sa journée, mais il lui fallait encore des informations sur le fonctionnement. Elle avait dit putain de mémoire, hein? Donc, c'était habituel, ça au moins elle le savait. Mais était-ce à intervalle régulier? Est-ce que ça nécessitait un choc, une situation particulière? Tomber, se mouiller, ou éternuer? Il regarda d'un bref coup d’œil l'heure sur son portable: 10h17. Il lui faudrait rester avec elle et voir de combien de temps étaient espacées ses pertes de mémoire. S'il y avait un intervalle régulier, un rythme, une chose à faire, il le saurait. Et il pourrait jouer avec à son gré. Et si tout n'était que le fruit du hasard, et bien tant pis, la partie n'en serait que plus excitante. Que les jeux commencent.

"J-Je suis Pierre Listan, je travaille ici au lycée de Seikusu. Et toi, ton nom, tu te rappelles ton nom?"

Honnêtement, il espérait que non. Il voulait au moins qu'elle doute. Si elle n'était pas sûre de son identité, il pouvait lui en créer une. A partir de là, la manipuler à sa guise serait un plaisir des plus distrayants. Une partie de lui hurlait Prends ton temps, hésite! Mieux, réponds-moi non! pendant qu'une autre répétait inlassablement pas Dory, pas Dory, pas Dory!

Il est vrai que la petite Alys aurait pû se nommer Dory. Quand elle regardait ce film d'animation, elle ne pouvait pas s'empêcher de se reconnaitre dans ce petit poisson bleu amusant et affolant à la fois. Sauf qu'Alys pouvait rarement regarder un film jusqu'au bout ... Je vous laisse deviner pourquoi. La plupart du temps, dés qu'elle arrivait au milieu du film, sa mémoire lui faisait faux bond et s'évaporait immédiatement, laissant l'adolescente complétement hagarde devant l'écran. Au moins, elle pouvait regarder quinze fois le même dessin animé sans jamais retenir la fin, remarquez. Bref, toujours est-il que la seule réponse de la jeune fille fut de relever sa manche, dévoilant son poignet. Normalement, elle inscrivait son prénom à cet endroit là, histoire de ne pas l'oublier tout le temps. Sauf que l'eau avait effacé entièrement son prénom. Il ne demeurais que le "y" et le "s".

- ... Ys ?

La jeune fille fronça les sourcils.

- Je crois que je m'appelle Ys ...

C'est moche, songea t'elle en grimaçant. Elle retenait peu de choses, mais au fil du temps, elle parvenait à s'acclimater à son amnésie catastrophique. Elle réussissait à se remmémorer certaines choses, sans jamais pouvoir vraiment les nommer. Comme si, chaque fois que sa mémoire flanchait, elle sortait d'un rêve. Elle pouvait se souvenir de quelques trucs, des couleurs et des sons, mais jamais elle ne parvenait à se remmémorer entièrement ce qu'il s'était passé quelques minutes plus tôt. Aussi, à l'instant même, elle ne se souvenait que d'une mélodie, et elle visualisait de l'eau. Rien d'autre. C'est d'un navrant ... La jeune fille se mit à triturer ses doigts, regardant celui qui disait se nommer ... Comment, déjà ? Ah, oui, Pierre.

- Pierre, tu m'as aidée, alors ? ... Tu es gentil, merci.

Comme pour appuyer ses propos, elle inclina légérement la tête. Elle ne pouvait s'empêcher de sourire, comme si elle était sous substance. D'ailleurs, c'est ce qu'on pouvait penser d'elle, en la voyant, là, à l'instant même. Une gamine sans mémoire et souriante, au regard perdu mais enchanté pour rien. A la fois touchant et flippant.

- Je suis ... à Seikusu, c'est cela ? C'est quoi, ça se mange ? 

Elle n'avait retenu que cela de son discours. Un lycée, elle ne savait pas ce que c'était, étant donné qu'elle n'en avait jamais fréquenté. Travailler, la même chose. Être prêtresse amnésique ... Ce n'est pas une vocation. Surtout pour une môme qui ne retient même pas le nom du dieu qu'elle est censée vénérer. Et qui ne se souvient même pas qu'elle est une prêtresse, d'ailleurs. Alys - pardon, Ys - poussa un long soupir. Si elle retenait bien une chose, c'était sa mémoire foireuse. Une mémoire à court terme, qui était complétement ... imprévisible. Elle pouvait aussi bien rester une journée qu'une heure sans coupures de mémoire. Oui, pour ceux qui se posent encore la question, c'est pénible. Même s'il demeurait chez elle quelques réflexes, qu'elle controlait vaguement.

- Eh ... Qu'est ce que je fais ici ?

Oui! Oui, elle était assez niaise pour dévoiler qu'elle ignorait son propre nom! Elle l'avait écrit sur son bras hein? Donc il lui était impossible de s'en souvenir. Ys... Un nom atypique pour une personnalité atypique. Cependant l'être calculateur qu'il était restait dubitatif. Elle avait sans aucun doute compris que Seikusu était un lieu, le ça se mange était de trop. Et bien que Pierre passa outre cette étrange question, X-SMYLE demeurait méfiant. D'ailleurs pour l'heure, Pierre et X-SMYLE semblaient partager les mêmes intentions, bien que les deux identités furent radicalement différentes. Qu'il joue l'un ou l'autre rôle, il semblait décidé à jouer avec. Une amnésique chronique quoi, on trouve pas ça à tous les coins de rue! Il souriait gentiment:

"Ah, tu es donc la fille que j'ai eu au téléphone, Ys! J'allais te chercher justement, je pensais que tu m'attendrais devant l'entrée. Je crois que tu voulais me parler de quelque chose, tu ne m'as pas tout expliqué. Tu ne t'en souviens pas non plus?"

Et l'Oscar du type qui invente une vie aux amnésiques revient à... Pierre! Bon, c'est pas le propos. Le truc, c'est qu'avec l'humidité, le tissu du chemisier d'Ys était devenu quelque peu transparent, et il mit un certain temps à réaliser qu'il fixait la poitrine de la jeune fille sans rien dire depuis déjà plusieurs secondes. Il releva donc les yeux et croisa le regard de la demoiselle, sans paraître gêné ni même aussi tordu qu'il ne l'était vraiment. Non, on aurait juste dit qu'il réfléchissait.

"Le plus urgent pour toi dans l'immédiat, c'est de te changer. Tu vas attraper froid comme ça, si tu te retrouves trempée dans un endroit chauffé."

Ensuite de quoi il prit sa main et l'entraina avec toute la gentillesse du monde dans le dédale des couloirs, descendant un escalier, en montant un autre, pour atteindre la salle du matériel de chimie. Il sortit la clé de sa poche, en déclarant qu'il y aurait sans doute une blouse blanche à enfiler, et que ça dépannerait. Après trente secondes à jouer les serruriers, il se rendit compte qu'il s'était trompé de clé. Encore un grand moment de solitude. Journée de merde. Il entra donc la bonne clé, à savoir celle qui correspondait parfaitement à la serrure, avec les bons crans et les bonnes stries, qu'on pouvait la tourner dedans pour que la porte se déverrouille et qu'on puisse entrer. Il ajouta à sa liste noire, après les ballons d'eau chaude et les lacets qui se défont, les serruriers et les portes fermées. Et aussi les vêtements mouillés qui déconcentrent. Il entra donc dans la pièce en passant par cette putain de porte qu'il mourrait d'envie de faire cramer, et se donna l'air d'un type très occupé et très pressé, comme les gens qui ont plein de choses à faire mais qui vous accordent quand même leur précieux temps. C'est ainsi qu'il traversa la pièce sans se retourner, qu'il chercha deux tasses et qu'en versant son café, il lança tout simplement:

"Il y a des blouses dans les casiers à ta gauche, normalement. Je ne regarderai pas. Tu veux quelque chose à boire?"

Alys le suivit sans faire d'histoires. A ce stade là de son amnésie, elle faisait confiance à la première personne qu'elle croisait. En l'occurence, Pierre. Il s'appelle comme ça, hein ? L'adolescente espérait que sa mémoire ne revienne pas jouer les emmerdeuses, la privant à nouveau de ces maigres repères. Elle commençait tout juste à se sentir à l'aise, rassurée ... Et elle se laissa emmener dans le laboratoire de chimie. Enfin, je vous avouerais qu'elle ignorait complétement à quoi servaient ces tubes transparentes, ces bocaux aux milles couleurs, toutes ces choses qu'elle entrevoyait. Ses yeux brillants oscultérent chaque objet de la pièce, avec cette moue caractéristique des enfants qui ne comprennent rien, mais alors rien, et puis qui préférerait faire une myriade de bêtises, tiens. Le simple fait qu'il jure qu'il ne regarderait pas donnait envie à la jeune fille d'en profiter. Tout d'abord, suivant ses directives, elle retira l'uniforme scolaire, et ses chaussures compensées, préférant conserver ses sous-vêtements, tout en chantonnant la musique qu'elle écoutait, plus tôt, dans les couloirs. Diable, qu'elle était petite ! Elle peinait à atteindre le métre 65. Une fois cette tenue trempée dégagée, elle chopa une blouse, bien trop grande mais tant pis, et ferma maladroitement les boutons. Comment disait ma grand-mère, déjà ... ? Ah oui, le vendredi avec le dimanche. Bref, c'était une anarchie compléte. Ses cheveux étaient toujours aussi oppulents, et elle avait conservée ses bracelets et les anneaux qu'elle portait à ses oreilles.

- Je te dirais quand j'aurais fini, d'accord, Chou ? ♫ 

Tic de langage assez étrange, ce " Chou ". Mais il lui épargnait le fait de devoir retenir tous les prénoms. Une fois prête, Alys vérifia qu'il ne regardait pas, et, chantonnant toujours comme une enfant, elle s'approcha des bocaux. Ils étaient bien beaux. Elle grimpa maladroitement - mais tout en silence - sur une des tables, pour venir s'agripper au rebords de l'étagére. Elle avait vu un joli bocal tout rose, là, au fond ...

Haha. Non, je vous jure, tout ne va pas se passer sans encombres. A l'instant même où elle approchait la main du bocal, perchée sur les pointes de ses pieds, une charmante araignée pointa le bout de son nez, et vint se poser sur la main d'Alys. Sa réaction ? Hurler comme une enfant - n'oubliez pas qu'elle ne sait plus ce qu'est une araignée mais que, dans l'instant même, elle trouvait cela laid et terrifiant - en s'agitant dans tous les sens. Ce qui eut effet de la faire vaciller, et, cherchant un appui pour ne pas s'étaler sur le sol, elle posa ses deux mains et tout son poids sur l'étagére. Mauvaise idée. Non seulement elle s'étala sur le sol, mais toute l'étagére avec elle, et ce dans un grincement sinistre. Et la petite araignée mourut, écrasée par le poids d'un bocal. L'adolescente n'eut même pas le temps de crier, joignant ses mains sur son visage pour éviter les chutes d'objets. Ici et là, des bocaux de verres se brisérent, couvrant la jeune fille de poudres et de liquides de toutes sortes. Une poudre rose, une jaune, une blanche qui devint bleu au contact de l'eau sur sa peau ... L'hécatombe. Et elle, elle n'osait guère remuer le petit doigt.

Le cri d'effroi suraigü d'Ys lui avait fait le même effet qu'un tournevis planté dans son oreille, et c'est animé par la surprise (et l'espoir qu'elle soit encore en sous-vêtements) qu'il fit volte-face, pour la voir tomber, en emportant l'étagère dans sa chute. C'était quoi son problème, à cette fille? Et qu'est-ce que c'était que cette journée pourrie? Pris de stupeur et alors que la jeune fille rencontrait le sol, il lâcha la phrase la plus intelligente qui lui vint à l'esprit dans l'instant:

"EEEEEH?"

L'étagère était cassée. Tout les récipients qui y étaient rangés étaient en mille morceaux, et ça allait encore être lui qui allait casquer. Mais dans l'immédiat, porter secours à la pauvre sotte incapable de tenir en place était la priorité, surtout que si elle était blessée, il allait devoir payer deux fois plus. X-SMYLE allait avoir du boulot pour les deux semaines à venir... Il souleva le meuble, pour y découvrir l'adolescente aussi bariolée qu'avant. Il soupira, en essayant de garder son calme, son sourire et sa patience. Il n'avait même plus le courage de coller les étagères dans sa liste des choses à détruire coûte que coûte. Et puis, il demanda:

"Rien de cassé?"

Il remarqua ensuite que la blouse, mal fermée, faisait les bulles en faisant pscchhhhht au niveau des reins. C'était pas bon du tout, raison pour laquelle il se plaça au-dessus d'elle et ouvrit le vêtement sans se poser de question, en faisant voler un ou deux boutons. Il espérait à ce moment-là que personne ne ferait irruption dans la pièce à un tel moment, surtout que la première chose qui lui était venu en tête était si ronds... . Que voulez-vous, Pierre avait beau avoir l'esprit mal tourné, son regard, lui, était bien orienté. Mais il n'avait pas le temps d'admirer la vue (surtout qu'il avait reluqué avec une discrétion pachydermique), et la releva afin d'ôter définitivement la blouse avant qu'elle ne fonde sur sa peau. Ah, c'est sûr, du coup il regardait là. Mais le contexte était différent, alors passons. Elle s'était collé du sulfate de cuivre anhydre, entre autres conneries colorées, et il fallait qu'elle se dépêche de prendre une douche.
Une douche.
Le soucis, c'est qu'elle était presque à poil, et que les douches les plus proches étaient dans les vestiaires, quasiment à l'autre bout du lycée. Or, si Pierre traversait le bahut avec une fille en sous-vêtements, non seulement il risquait son job et des rumeurs farfelues, mais en plus ça risquait fort de déplaire à Nicole. Et Lyra. Et Vanda, et Alicia aussi. Et puis Elsa, et Aline, et Julie et... Bref, à sa copine du moment.
Troublé par la succession d'évènements qu'il ne savait contrôler, il n'ajouta pas un mot et retira son T-shirt (au motif foireux, rappelons-le), puis le lui passa sans donner d'explications. Puis il alla récupérer sa jupe colorée, la lui rendit et enfila sa propre blouse. Comme ça ils étaient habillés, et comme il était en vêtements de travail, rien n'aurait l'air suspect.

"Tu vas devoir m'accompagner jusqu'aux douches, Ys. Tu ne peux pas rester à te balader couverte de produits. Surtout que la poudre jaune dans ton cou est facilement inflammable."

La jeune fille enfila avec une certaine lenteur le tee-shirt, le reluquant comme si c'était un objet qu'elle ne connaissait pas. Oui, bon, Alys n'a aucune notion de pudeur, ou quoi que ce soit de ce genre. Après tout, elle a presque été élevée en Olympe, un endroit où ... Bref, passons. Après s'être bien marrée à osculter le vêtement, elle l'enfila, dégageant sa longue chevelure comme il se doit. La jupe, elle la mit rapidement, constatant que ces deux vêtements n'allaient guère ensemble, mais bon, elle ferait avec, ce n'était pas le moment de jouer à la critique de mode. Quand à la poudre dans son cou ... Elle n'osait même plus y toucher, même si elle doutait du sens du mot "inflammable". Quand il lui annonça qu'elle devait prendre une douche, elle grimaça comme une enfant mécontente. Après l'attaque du robinet sauvage, quelques minutes auparavant, elle souhaitait tout, sauf être recouverte d'eau.

Mais bon. L'adolescente hocha la tête, et se frotta les mains sur le tee-shirt. Il portait l'odeur de ce garçon, face à elle, dont elle avait oublié le nom. Et cette odeur lui plaisait assez. Elle était agréable, en tout cas. Tandis qu'ils faisaient chemin vers les douches, elle osa tout de même un :

- Tu t'appelles comment, déjà, Chou ?

Oui, cela pouvait paraître agaçant, mais venant d'une fille aussi souriante, à l'air aussi enfantin ... C'était presque attendrissant. Pendant qu'elle marchait, elle ne pouvait s'empêcher de vérifier s'il n'y avait pas une autre créature étrange, semblables à celle qu'elle avait vue sur cette étagére. Cette attention absurde manqua de la faire trébucher une bonne dizaine de fois ... Mais, à chaque fois, elle se raccrochait à la blouse de celui qu'elle s'acharnait à considérer comme son sauveur, histoire de ne pas se viander lamentablement.

Ils mirent peu de temps à atteindre les douches - du moins, elle ne vit pas le temps passer, trop occupée à essayer de découvrir où se planquaient les araignées - où elle resta immobile, face aux cabines. Elle poussa un long soupir, lui lançant un regard qui le suppliait presque de ne pas l'envoyer là-dedans.

- ... J'espère que je ne ferais pas à nouveau des degâts.

Etrangement, l'idée de se laver la rebutait. Mais elle ne devait pas jouer à l'enfant, aussi s'enferma t'elle dans une des cabines, fixant avec une terreur assez étrange le pommeau de la douche. Au final, elle n'osait même pas se déshabiller, ni allumer l'eau. Elle restait là, à guetter à droite et à gauche s'il n'y avait pas de trucs bizarres et suceptibles de lui vouloir du mal.

- T'es sûr qu'il ne va rien m'arriver, hein ?

Lui demanda t'elle d'un ton inquiet, comme si se doucher était une épreuve atroce.

Elle était décidément très inhabituelle. Tête en l'air, bizarre, elle n'arrêtait pas d'épier dans toutes les directions sur le trajet vers les douches. Se méfiait-elle des autres élèves? De l'arrivée d'un prof, ou d'une éventuelle petite amie de Pierre? Peut-être qu'elle se foutait de lui, qu'elle était la plus tordue, qu'elle attendait l'endroit, le moment idéal sans témoins pour pouvoir lui faire subir des sévices horribles et inimaginables? Elle ne serait pas déçue. Bien sûr, elle n'avait aucune raison. Et personne ne pouvait se cacher au plafond, bien qu'elle l'ait surveillé. Mettons qu'elle fut juste bizarre, et qu'elle avait vraiment oublié son nom. Il n'avait pas répondu, s'étant contenté de soupirer, au cas où le nom serait utile.

Il en déduit une chose tout à fait désagréable: la mémoire d'Ys était on ne peut plus irrégulière. Si son amnésie avait été brutale quelques minutes plus tôt, ses souvenirs semblaient cette fois s'effacer de manière progressive. Il n'aurait aucun moyen de contrôle là-dessus. S'il y avait quelque chose à faire, il faudrait trouver le bon créneau: celui dans lequel on pourrait la garder sous les yeux, jusqu'à ce qu'elle oublie tout. Tout? Oui, tout ce qu'il pourrait lui faire pour décompresser de sa journée de merde. Pierre s'effaçait peu à peu, laissant sa mauvaise humeur entre les mains d'X-SMYLE.

Ils arrivaient enfin face aux cabines, et il remarqua que les rattrapages incessants de la jeune fille lui avaient décousu un bouton. Et il faudrait qu'il le recouse lui-même, parce que d'abord c'était sa faute, et de deux parce qu'il était pour les profs de science un véritable esclave. Mais rémunéré. C'était déjà pas mal. Elle poireautait devant les cabines, et lorsqu'il releva les yeux vers elle, son regard d'incompréhension tomba sur un petit minois suppliant. Elle dut prendre ça comme une incitation à entrer, et Pierre se contenta de rester à côté.


"T'es sûr qu'il ne va rien m'arriver, hein ?"

C'était une occasion pour lui de tester une dernière fois sa crédulité. A l'extérieur, un mince sourire étirait ses lèvres, tandis qu'il réflechissait à la façon la plus cruelle, horriblement sadique de jouer avec elle. Quoi? Il avait besoin de se passer les nerfs. Autant faire flancher ceux des autres, non? Il se mit à parodier un film glauque, avec une marionnette moche. Il y avait un banc, au fond, pour pouvoir se rechausser avant de sortir. Il alla le chercher en quatrième vitesse, et le coinça sous la porte de façon à bloquer la porte. Il connaissait bien le terrain, ce qu'il avait pu faire ici avec ses copines auraient inspiré plus d'un réalisateur de pornos. Et puis, il prit une voix exagérément inquiétante:

"On va jouer à un jeu, Ys. La cabine dans laquelle tu es entrée est piégée. Et j'ai déjà verrouillé ta seule issue."

Il y avait quand même certaines limites à ce qu'un être sensé pouvait croire, mais Ys était manipulable. Et ainsi, reprendre un film dont le concept était connu, et la coller dans une situation totalement dénuée de réalisme était un bon moyen de jauger si oui ou non, elle gobait toutes ses paroles. Il se rappelait bien de comment l'eau se réglait ici. Ce n'était pas un thermostat ni un pivot, juste deux pommeaux à actionner: un pour l'eau froide, un pour l'eau chaude.

"Il y a deux manettes à ta disposition. L'une d'entre elles te permettra de te laver, à bonne température qui plus est. Ça te fera un bien fou, tu verras. La seconde déversera de l'acide sulfurique depuis le pommeau: ce liquide a la même couleur que l'eau, mais s'il te coule dessus, il te rongera la peau jusqu'à l'os. Si tu actionnes la mauvaise, l'acide te tuera. Si tu actionnes les deux, même chose."

Il donna un petit coup de poing dans la porte. Le bouquet final de la mise en scène, et la plus énorme connerie qu'il pouvait essayer de lui faire avaler. Si elle le croyait du tout au tout, alors elle serait le jouet idéal. Et il pouvait toujours se rattraper avec la bonne vieille excuse du c'était une blague.

"Je viens de placer une bombe sur la porte, assez puissante pour raser le bâtiment. Elle peut exploser à l'une des deux conditions suivantes: la première, que tu forces la porte. La seconde, que tu n'actionnes aucun des deux d'ici une minute trente. Ton seul moyen de la désamorcer est d'actionner le bon pommeau. Bonne chance!"

Et il s'éloigna en ricanant. Non pas pour fuir l'éventuel périmètre de déflagration de l'explosif, mais juste pour aller chercher les serviettes et le gel douche, qu'ils n'avaient pas pensé à prendre. Dans le placard, à à peine huit mètres.

La seule réponse d'Alys fut ... de ne pas répondre. Elle s'enveloppa d'un silence parfait, s'éloignant doucement de la porte, de peur qu'elle explose au moindre mauvais geste. Elle ne savait pas vraiment si c'était une blague, mais autant prendre des précautions ... Des vannes de ce genre, Hadés lui en faisait pas mal, quand elle venait faire la conne dans les Enfers. Alors, bon, elle se devait de rester aussi sage que possible. Et elle continua, sans un mot, de regarder les deux robinets de douche, puis le pommeau, sans savoir comme réagir exactement. Et puis, elle avait une vague phobie de tout ce qui touchait au feu et aux incendies. Ne me demandez pas pourquoi. Les phobies, ça ne se contrôle pas. Pendant ce temps, l'adolescente affichait une moue contrariée, son regard oscillant sur le robinet de droite, sur celui de gauche, puis droite, puis gauche, puis le plafond pour vérifier qu'il n'y avait pas d'araignées.

- Je n'aime pas ce jeu.

Elle retira doucement son tee-shirt, le posant sur le sol - pas question de s'approcher de la porte -, et ses chaussures, sa jupe, son soutien-gorge suivirent. Allez savoir pourquoi, elle se refusait à être complétement nue. Bref.

- Tu n'es pas bien gentil, dit-elle d'un ton contrarié. Je dirais à Hadés de te punir.

Elle évoquait ce nom, sans pour autant se souvenir de qui il était. Elle connaissait un Hadés, et l'associait à une foule de choses pas très tendres, mais ne parvenait pas à se remmémorer qui il était. Finalement, dans un spasme, elle appuya sur un des robinets dans un cri étouffé, le corps recroquevillé pour éviter ... Pour éviter, quoi, au juste ? Recroquevillé ou non, l'acide serait capable de l'atteindre, de toute façon. Ah, ce que les réflexes pouvaient être inutiles ...

Et c'est une eau tiède qui lui tomba dessus. La jeune fille poussa un long soupir de soulagement, sautillant sur place comme une gamine.

- Wouhou, j'ai gagné !

Pour ceux qui se le demandent encore : il n'y a pas plus naïve qu'une amnésique à retardement. On pouvait faire croire une foule de choses à cette gamine. Le seule risque, c'était que sa mémoire flanche à nouveau, ou que certaines choses lui reviennent soudainement en tête. Mais bon, pour le moment, c'était loin d'être le cas.

Il était revenu avec les serviettes et le gel douche en silence, pour ne pas qu'elle l'entende, mais ce qu'il entendit alors le surprit totalement. Hadès? Avait-elle dit Hadès? Pourquoi connaissait-elle Hadès? Ce n'était pas le genre de choses que l'on lançait sans savoir, les terriens croyaient en Dieu, et avaient abandonné les Olympiens depuis des siècles. Alors pourquoi avait-elle menacé Pierre en parlant d'Hadès? Qui était Ys? Était-elle venue le ramener parmi les Dieux? Non, non, impossible, il méritait ces vacances, après ces millénaires de servitude! Pourquoi?
Il reprit son calme. Cela expliquait pourquoi elle l'avait mené dans un endroit où il n'y avait personne. Et pourquoi elle avait naïvement vérifié son nom. Oui, elle jouait la comédie, elle se jouait de lui! Et puis, il sourit. Pierre n'était qu'un humain, non?

"Voyons Ys, ce n'est qu'un mythe tu sais! Les Dieux n'existent pas, sinon moi je suis le Père Noël!"

Il se mit à rire de façon moqueuse. Devait-il la tuer? De toute évidence, elle connaissait Hadès. Était-ce un hasard si elle était là? Comment une fille qui ne se souvenait pas de son propre nom pouvait se rappeler celui du Dieu des Morts? Trop de questions, trop de doutes, et X-SMYLE ne pouvait pas agir directement dans les affaires de Pierre. Il donna un violent coup de pied dans le petit banc qui bloquait la clenche et ouvrit vivement la porte, lui tendant les serviettes et le gel douche. Il n'y avait personne d'autre ici, il pouvait jouer franc jeu. Son expression était ferme et résolue.

"Quel est ton lien avec les Olympiens?"

Elle était trempée, et presque nue. Non pas qu'il y était indifférent, mais le Dieu du feu avait déjà vu plus d'une nymphe. Bien que son regard faisait des allers-retour entre son visage et ses seins, il restait déterminé. Et puis, alors que son esprit le taraudait de questions, une autre fit surface, si bien qu'il en oublia toutes les autres. Pourquoi elle a gardé sa culotte?

Décidément, c'était vraiment pas son jour.

Quand il ouvrit la porte, elle le regarda avec ses yeux qui vont si bien aux chat effrayés. Elle n'osait même pas parler. Elle se contenta de prendre la serviette qu'il lui tendait, pour venir ... se sécher les cheveux. Oui, oui. Alys n'a pas vraiment notion de ce que peut être la pudeur. Elle noua donc autour de sa chevelure la serviette, un instant. Dieu, qu'elle détestait avoir les cheveux trempés devant quelqu'un. La poitrine dénudée, ça, elle s'en moquait pas mal, elle se baladait tout le temps ainsi en Olympe, mais sa chevelure, jamais ! Les amnésiques ont des lubies étranges, je vous l'accorde ... Quand il lui posa la question, elle ne put s'empêcher de sourire comme une enfant, avant de s'exclamer :

- Je suis la fille d'Héra ! ♫

... Puis elle éclata de rire, laissant entendre qu'elle se foutait vaguement de lui, sur ce coup-là. Puis son sourire laissa place à un air inquiet : qui était Héra ? Comment ce prénom était apparut sur le bout de sa langue à elle, petite amnésique ? Alys poussa un long soupir. Elle croisa les bras, puis le regarda, hâtive de mieux lui expliquer ce qu'il se passait dans ce crâne.

- Il faut croire que ma mémoire est sélective ... Je peux retenir certaines choses, comme le fait que je sois amnésique, et certains noms, après un laps de temps. Mais, à tout instant, je peux à nouveau basculer ...

L'adolescente fit rouler ses yeux, pour mieux traduire sa lassitude. Elle aurait donné beaucoup pour vivre une journée entière sans ce genre de "coupures". Mais non, ce n'était jamais le cas. Toujours, sa mémoire flanchait. Alys détacha la serviette de ses cheveux, pour venir la nouer au-dessus de sa poitrine, comme le font toutes les filles un tant soit peu normales.

- Disons que je conserve des réflexes ... Comme celui de citer le nom d'Hadés. Mais là, dans l'instant, j'ignore complétement de qui il s'agit.

Une moue attristée, et elle attrapa le gel douche, analysant cette bouteille étrange. Elle la secoua, jongla un instant avec elle, puis :

- Ca doit être bon.

Lâcha t'elle dans un sourire.

"Ce n'est pas bon."

Il s'avança dans la cabine et referma la porte derrière lui, en tournant le verrou. Son air était menaçant, son rire inquiétant, et son sourire mauvais. Et puis, soudainement, il s'adossa, les yeux baissés et perdus, même si son rictus empreint d'insanité demeurait.

"Je suis un peu con non? Moi qui joue deux identités, qui prévoit chaque action avec minutie, je me suis vendu juste parce que tu as prononcé le nom d'Hadès!"

Et maintenant? Si elle était importante et qu'il la faisait disparaitre, son retour en Olympe risquerait d'être mouvementé, et ce si on lui accordait le droit d'y remettre les pieds. Et puis, il se souvint de sa fille Pandore, raillée et haïe des Hommes pour sa curiosité. Finalement, les Dieux lui devaient bien ça.
Ys le tenait donc par la bride pour deux raisons: la première, il avait décidé ses vacances de son propre chef. Si Zeus le retrouvait, il le rappellerai à lui. La seconde, si on apprenait que Pierre est le Dieu du feu, on ferait tôt ou tard le lien avec X-SMYLE. Il fallait réduire la jeune fille au silence, ou au moins la garder ici jusqu'à ce qu'elle ait oublié... Oublié quoi? Au fond, elle savait juste qu'il était lié à l'Olympe, et qu'il le cachait au monde entier. Son objectif de départ était de se jouer d'elle, et aussi ne le cachons pas, de se la faire purement et simplement.

"Mon véritable nom est Apollyon le Destructeur, je suis le général des armées d'Hadès. Il est de ce fait mon ami, crois-tu pouvoir t'en tirer avec moi rien qu'en prononçant son nom?"

Il n'avait rencontré Apollyon qu'une fois. Hadès avait commandé une hache de bataille dévastatrice auprès d'Héphaïstos, il ne l'avait donc vu que quelques minutes, le temps de lui expliquer un peu le maniement d'un tel objet de mort. Le général avait été très satisfait, aux dernières nouvelles.
Il rit à nouveau, en s'approchant dangereusement d'Ys. Il venait de se mettre en situation de supériorité, elle n'avait aucune issue, et il continuait de la manipuler. Peu importe ce qu'il lui disait à présent, il pourrait toujours lui raconter autre chose à sa prochaine perte de mémoire. Il posa ses mains sur ses hanches avec une prise ferme, l'attira à lui et l'embrassa sans lui laisser le temps de réagir. Il allait enfin pouvoir s'amuser, aujourd'hui.

Apollyon ? Le nom ne lui disait rien, mais alors foutrement rien. Mais quand le garçon face à elle lui annonça qu'il connaissait bien Hadés, Alys se sentit ... conne. Là, elle n'avait aucune chance. L'adolescente ne possédait aucun pouvoir capable de la sortir de cette mauvaise passe, comme pas mal de prêtresses. Mais, à la différence d'Alys, les autres prêtresses pouvaient parfois compter sur le dieu qu'elles servaient pour les aider. Pour notre petite ingénue, c'était loin d'être le cas, vu qu'elle était juste considérée comme la dernière des squatteuses. Aussi, quand il l'attrapa et l'embrassa, elle ne put même pas entrer en contact avec une quelconque déité. Sa seule défense fut de reculer son visage, de lever un bras pour lui foutre une gifle, et de lui flanquer un coup de genou là où ça fait mal.

Oui, c'est de ce genre de réflexes dont je voulais parler. Cela eut au moins comme conséquence qu'il la lâche, malgré la prise violente qu'il avait eu sur sa taille. Mais comme Alys était bien loin d'être une personne adroite, elle ... glissa tout bonnement, se claquant la tête contre le mur. Un couinement de douleur accompagna sa chute, et elle fit une constatation consternante. Il barrait le passage, et elle ne pouvait même pas sortir. Merde.

- Eh, Chou, on peut s'arranger, non ?

Minauda t'elle avec un sourire gêné. Elle pouvait toujours essayer de se rattraper, même si elle avait un espoir infime de pouvoir lui échapper.