La pluie tombait… En le réalisant Rayne leva légèrement la tête, sentant les gouttes venir sur son visage. Elle cligna des yeux à plusieurs reprises, brièvement distraite, avant de replonger son attention.
« Nous en étions où, au fait ? demanda-t-elle à l’attention de l’homme se trouvant en face d’elle. Quand j’étais petite, je crois que je rêvais d’être chirurgienne… »
L’homme poussa un léger gémissement en sentant la lame glisser le long de son bras, découpant son vêtement pour s’enfoncer dans sa peau. Pieds suspendus dans le vide, l’homme ne devait sa survie qu’à la seconde lame de Rayne, enfoncée dans le creux de son épaule droite. En-dessous de ses pieds, il y avait un boulevard très animé, plusieurs dizaines de mètres en contrebas, et la pluie commençait à tomber.
« Écoute, mon cher, je ne vais pas me répéter… Je n’ai besoin que d’un nom, rien de plus…
- Pu… Putain, ça fait mal !
- On ne doit pas jurer devant les dames, vilain garnement. »
Elle le punit en tranchant l’un de ses doigts, le faisant à nouveau hurler. La lame remonta pour caresser son cou, s’enfonçant très doucement dans sa peau, laissant jaillir une ligne de sang.
« Un nom ! Est-ce si dur ça ?
- Bla… Blackthorne… Oliver Bla…
- Et ben, c’était pas si compliqué que ça, tu vois ! »
Rayne tira ses deux épées rapidement, et l’homme tomba dans le vide dans un hurlement, suivi d’un coup de klaxon furieux. Elle avança le long du toit. Il lui avait fallu au moins une demi-heure pour rattraper ce fuyard, mais il avait été sa seule piste dans cette sinistre affaire… Ou presque la seule. Elle s’avança sur le toit, quand son téléphone portable se mit à vibrer. D’épais nuages noirs commençaient à recouvrir le ciel. Elle s’empara de son téléphone, et sourit en voyant le nom de l’émetteur, et prit l’appel, avançant sur le toit, alors que la tempête approchait. Severin parla en premier, sans même saluer Rayne.
« Miss Powder approche du couvent, Rayne. Je pensais que tu serais là pour m’aider à l’accueillir.
- J’ai été… Occupée.
- Sûrement un homme…
- Du genre tenace, oui. J’ai eu du mal à rompre avec lui, mais je crois que nous nous sommes quittés en bons termes.
- J’en suis ravi. Peut-être pourrais-tu songer à revenir, maintenant ?
- Je n’ai même pas une seconde pour moi… »
Severin raccrocha. Rayne soupira. Un éclair fendit l’air, et la pluie continua à s’abattre.
Loin de là, hors de Tekhos, Severin accueillait devant l’entrée d’un des couvents de l’Ordre la voiture qui arriva au milieu de la pluie. Severin était jadis l’agent de liaison de Rayne entre cette dernière et Brimstone. Néanmoins, quand Rayne et lui avaient été déclarés persona non grata par Brimstone, ils s’étaient réemployés ailleurs, Rayne continuant à faire ce qu’elle savait faire de mieux… Et Severin faisant aussi ce qu’il savait faire de mieux, à savoir tenter de diriger l’incontrôlable Rayne. Il s’approcha de la voiture, alors qu’une femme en sortit, sortant un parapluie lumineux. Enfoncé dans un long manteau noir, l’homme s’avança, sortant d’une poche intérieure de son manteau une cigarette, l’allumant. Alors qu’il s’avançait, il vit la porte de la voiture s’ouvrir, et une femme aux cheveux roses en sortir, en tenue de nonne, une curieuse mixture à la main. Severin ne s’en étonna nullement. L’eau ruisselait sur ses cheveux, mais ça ne le dérangeait pas, tant qu’il pouvait fumer.
« Miss Powder, je présume. Je m’appelle Severin, et c’est essentiellement moi qui, compte tenu des circonstances particulières liées à votre situation, suis en charge de votre protection. »
L’affaire était assez spéciale, difficile à résumer. Depuis plusieurs semaines, le monde des affaires de Tekhos vivait une espèce de procès médiatique qui impliquait l’entreprise que dirigeait Miss Powder, une femme dont les gènes formiennes avait toujours posé problème au sein de l’intelligentsia locale. Elle dirigeait une société influente, héritée de sa mère, une criminelle, spécialisée sur les animaux. Bien des rumeurs avaient circulé sur le fonctionnement de cette entreprise, notamment sur le traitement des animaux. On ne comptait plus le nombre de manifestations écologiques, ou de tentatives de blocages, devant certaines des usines. En soi, Severin et Rayne se désintéressaient de ces histories politiques, mais, depuis plusieurs semaines, Powder avait été accusée de participer à des trafics criminels impliquant de la génétique et des animaux. Son entreprise trempait dans le fonctionnement d’un influent réseau de Terra, s’étendant de Nexus à Ashnard. D’après les informations de Severin, les animaux que Powder traitait étaient, pour certains, modifiés génétiquement, devenant des monstres, et il soupçonnait une influence démoniaque. L’enquête de Rayne avait établi que Miss Powder n’avait rien à voir avec cela, mais que certains de ses conseillers devaient être mêlés à ce qui se passait. Après plusieurs tentatives d’assassinats sur la personne de la Formienne aux cheveux roses, Rayne et Severin avaient décidé de s’occuper de cette histoire.
Tenant compte du haut degré de corruption dans les services de protection de Tekhos, il n’avait pas été difficile d’obtenir à pouvoir protéger Powder. Sur Tekhos, Severin dirigeait une société de protection privée, et avait décidé, pour protéger efficacement Miss Powder, de l’isoler dans l’un des couvents de l’Ordre. Ce couvent se situait hors de Tekhos, et était relativement grand, comprenant plusieurs bâtiments, un mur d’enceinte, et des jardins. Severin et Rayne s’étaient infiltrés dans ce couvent, Severin en tant que mécanicien, vivant dans un entrepôt de maintenance isolé, Rayne… En tant que sœur.
Il s’approcha donc des deux femmes, et sortit une carte d’identification. C’était Rayne qui avait parlé avec elles, compte tenu de la discrimination forte à l’égard des hommes sur Tekhos.
« Nous avons trouvé de quoi vous protéger, Miss Powder, le temps que la situation se résolve sur Tekhos. Une couverture… Efficace. »
Il comptait en faire une sœur. Sous les lourds vêtements des sœurs, Powder serait difficile à remarquer.
« Je vous en prie, venez. »
Severin se retourna, et entra dans l’entrepôt. Il y avait de multiples étagères avec divers objets, et, dans un coin, une section informatique aménagée par Severin.
« Ce couvent nous sert de couverture, expliqua-t-il. Et aussi de lieu de protection. »
Étant de parfaits inconnus, il avait été difficile d’obtenir la confiance de Powder pour la protéger. Une enquête avait été livrée sur eux. Officiellement, dans cette histoire, Rayne était une ancienne soldate Tekhane, qui avait été licenciée, et Severin son assistant. Ils étaient les membres uniques d’une société de protection privée indépendante. Ils avaient inventé des CV pour réussir à obtenir la confiance de Powder et de ses gardes du corps. Severin s’approcha des multiples écrans.
« Votre nom d’emprunt, Miss Powder, sera… Clara. Sœur Clara », précisa-t-il.
Severin entendit soudain un bruit venant du dessus, et leva la tête. Une porte ne tarda pas à s’ouvrir, et une femme surgit, portant deux longues lames accrochées à ses poignets. Elle descendit rapidement un escalier, et déposa ses lames sur un bureau.
« Severin, il pleut, dehors… »
Rayne remarqua soudain Miss Powder, avec sa garde du corps.
« Ah, vous êtes déjà là, observa-t-elle. Tu ne m’avais donc pas menti, Severin… »
Elle s’approcha de la Formienne. Powder était plutôt grande, presque autant que Rayne.
« Bienvenue, Miss Powder… Ou petite soeur Clara, vu que nous sommes maintenant intimement liées. »
Severin ne tarda pas à donner des explications.
« Dans ce couvent, vous serez la petite sœur de… De Rayne, précisa-t-il. Je pense qu’il n’y a pas un meilleur endroit pour vous protéger que l’un des couvents de l’Ordre. »
Severin pensait sincèrement ce qu’il disait, mais il soupçonnait sans doute l’ingéniosité de ceux qui cherchaient à tuer Miss Powder. Dehors, dans un arbre, un être dans une armure avait utilisé des jumelles pour voir Miss Powder rentrer dans l’entrepôt, avant d’en informer d’autres individus dans son récepteur. Severin était cependant loin de s’en douter, et enchaîna envers Miss Powder, étant assis sur l’un des fauteuils autour des ordinateurs.
« J’espère que ça vous convient… C’est la meilleure façon que nous avons trouvé pour vous protéger. »