La déesse regarda sa Reine avec des yeux malheureux alors qu'elle évitait définitivement le sujet de son passage chez les mortels. Elle comprit alors qu'elle n'avait pas le droit d'être dans le secret, et même si c'était parfaitement légitime qu'Héra garde pour elle ce qu'elle n'a pas envie de divulguer, elle s'en sentit blessée, dans son fort intérieur. Elle attendit quelques secondes, pour voir si la reine changerait d'idée, puis elle se contenta de détourner de la tête. Elle n'était pas en colère contre sa grand-mère. Elle n'y arrivait pas. En fait, c'était la seule personne qu'elle connaisse qui soit immunisée contre sa colère, comme si peu importe ce qu'elle faisait, en bien ou en mal, ne suscitait rien de négatif chez elle, à part une impression de perpétuelle insatisfaction. Certains pourraient dire que c'est ses hormones qui l'emmerdent, d'autres qu'elle est tout bêtement amoureuse et finalement il y a elle, qui est d'accord avec les autres. Elle se regarda les mains puis elle y enfonca la tête en gémissant; "oh lalalala...".
-Mais qu'est-ce qu'il faut que je fasse, bon sang, pour que quelqu'un, dans ce monde cruel, comprenne? gémit-elle entre ses mains.
Elle se redressa, prit une grande inspiration et regarda à nouveau sa grand-mère. Elle semblait, au départ, frustrée, puis son visage s'éclaira d'un petit sourire las, mais sincère. Ses mains se mirent à jouer doucement dans l'eau, jusqu'à ce qu'elle invoque la magie et en soulève une grande bulle. Du doigt, elle se mit à dessiner dans les airs, et l'eau répondit à ses désirs, suivant son doigt. Après quelques secondes, un grand miroir d'eau se forma, et Héra pu y voir ses enfants ainsi que tous ceux qui, même s'ils ne sont pas nés d'elle, bénéficient de son affection. Chryséis reprit alors la parole.
-Tu sais... Quand personne ne te regarde avec fierté, que ta propre famille est toujours en train de se dire "Chryséis va encore faire des catastrophes", "Chryséis va encore me causer des ennuis", "Chryséis va encore se mettre le chef sur le dos" ou encore "Chryséis n'est qu'un poids mort. Autant que la mort l'emporte", tu finis par comprendre quand tu es de trop. Pour moi, être en danger, c'est la seule manière de sentir que quelqu'un ou quelque chose se soucie encore de mon existence, que ce soit en bien ou en mal. Un monstre se soucie de moi parce qu'il veut sauver sa vie et mettre fin à la mienne. Tu te soucies de moi parce que tu sais que je n'ai pas peur de mourir et que tu ne veux pas souiller ta famille de sang.
Elle se releva et se mit à marcher hors de la source d'eau chaude. Elle regarda l'Olympe, qu'elles surplombaient en ce moment, et elle leva un bras.
-Vois, ma chère parente. Vois tes fils ingrats qui me traitent en déchet, qui ne cessent de me siffler, qui ne cessent de raconter des histoires honteuses sur ma prétendue promiscuité, moi qui se réserve pour la personne que je chéris par-dessus tout! Vois tes filles qui se moquent de moi sur mon passage et me pointent du doigt, leurs doigts si fins que je les briserais de ma simple volonté! Vois ton époux, ton mari si dévoué, regarder la rondeur de mes hanches lorsque je me promène, lui qui est le plus grand et le plus fort d'entre nous! Grâce à l'acuité de ton divin regard, dis-moi que tu vois, comme moi, que je ne suis pas la bienvenue dans ce monde qui m'a vu naître, oui, vois-le, car si tu ne le vois pas, c'est que je suis folle.
Tout au long de ce discours, Chryséis avait gardé un air fier, un air de supériorité, un air de juste colère, un air brûlant d'une passion qui pourrait réveiller Gaïa de son profond sommeil si elle le voulait. La fille d'Arès, à ce moment-là, semblait être d'une puissance inégalable, lavée par ses paroles de toute souillure. Elle ne semblait là être que ce qu'elle est, une véritable déesse, droite et fière, comme il se doit. Elle relâcha alors son contrôle sur l'eau et le laissa simplement retomber dans le bassin, avant de regarder Héra. Elle s'approcha d'elle et caressa doucement son beau visage d'une main tendre, douce, amoureuse.
-Je suis seule, très chère Reine. Tu as des enfants, un mari qui t'adore, quoi qu'il soit idiot de ne pas se rendre compte de la chance qu'il a, et un amant qui t'adore tout autant. Moi, qu'ai-je? Je n'ai rien que je peux considérer d'exclusif à moi-même. Je... -elle retira sa main- Je n'ai même pas le droit de réclamer ce que je désire, et je ne peux qu'en rêver, pourtant. Tu ne sais pas, mamie. Tu ne sais pas à quel point j'ai mal de ne pouvoir rien faire pour toi, parce que même toi, tu n'as pas confiance en moi. Je me fiche du pouvoir de la Foudre, Mamie. Je n'ai rien à faire des Éclairs de Zeus. Je lui volais ses éclairs quand j'étais gamine pour faire peur aux mortels. Je n'en veux pas. Ce n'est qu'un jouet pour les enfants. S'il veut les garder, je les lui laisse, mais je prendrai ou son trône, ou sa vie. Et je ne laisserai personne se mettre en travers de mon chemin, excepté... -elle se tut juste avant de dire "toi", ce qui aurait laissé la chance à Héra de la convaincre par les mots-
Elle regarda sa main, nacrée, puis elle se regarda elle-même, un long moment, avant de regarder à nouveau Héra. Je ne sais guère combien de fois elle l'a fait au long de ce post, mais je m'en fiche, c'est mon perso, je fais ce que je veux, non mais. Elle attendait sa réponse à ces accusations justifiées. Elle avait besoin de faire sortir ce trop-plein de sentiments, car elle n'y avait, avec les autres, aucun droit. Avec les autres, elle devait être la déesse de la colère. Elle espérait, pourtant, qu'Héra entende sa souffrance, son appel au secours, avant qu'elle ne se décide à mettre le plan qu'elle avait fomenté le matin même à exécution; réveiller le Typhon et faire de son pouvoir le sien.