Bitter Sweet { Kyô-Sama }

      La révolution se calmait, petit à petit. Du moins ce soir était relativement calme comparé à d'habitude. Il paraît que l'une des grandes têtes du mouvement révolutionnaire n'était plus... de quoi susciter de l'inquiétude et de la peur chez les personnes voulant du changement. Ce soir, ils resteraient calme, les choses s'annonçaient mal pour eux. En revanche, les Conservateurs étaient plutôt fier d'avoir réussi à canaliser la violence, du moins temporairement. En l'honneur de la paix et de la prospérité de Nexus, la Reine Elena Ivory avait décidée d'ouvrir sa salle de bal aux plus grands d'entre-nous, aux plus riches et aux plus haut-placés.

      Les véhicules à cheval se hâtaient devant l'entrée tandis que les nobles montaient les marches en groupe de plusieurs, jouant généralement de leurs mains avec le bout de papier servant d'invitation, et évidemment signé avec les armoiries Ivory. Ils riaient, se montraient joyeux. Après tout, il y avait eut un renversement de situation aujourd'hui, et c'était le sujet de conversation principal dans les environs...

      « S'ils savaient ce qu'est de vivre dans la misère quand on en a aucunement le choix ! » pensa Skarlett en fronçant les sourcils. Elle paraissait être la seule femme à être contrariée de la victoire des Conservateurs. La vérité était qu'elle en avait marre de tous ces discours absurdes sur la nature inférieure des êtres différents, etc etc. La Nephilim aussi était différente, c'est pour ça qu'elle vivait souvent avec la peur au ventre quand elle devait arpenter les rues sombres de la capitale marchande de Terra. Puis ce sujet de conversation revenait trop souvent. Ça l'énervait. Vraiment.

      Debout devant les marches, Skarlett regardait les gens présenter leur invitation aux gardes de la famille royale. Bien entendu, elle n'avait pas d'invitation, mais elle mourrait d'envie de visiter le Palais d'Ivoire, un symbole de pureté, de richesse et de noblesse. Il ne lui restait qu'une carte en main à jouer : celle du bluff. Habillée de sa plus belle robe rouge et de longs gants noirs, naturellement, elle s'était faite belle de manière à ressembler aux plus grandes. Ses cheveux étaient entièrement bouclés hormis sa frange droite et lisse et les deux mèches venant encadrer son visage ; quelques anglaises tombent sur ses épaules pâles et à nues et elle ressemblait presque à une innocente poupée vêtue ainsi. Une poupée aux cheveux rouges et à la peau blanche à la lumière. Paradoxal, et plus tellement innocent. Sans parler de ses lèvres toutes aussi rouges que ses cheveux...

      « À trois on y va. Un, deux... … ...trois. » La jeune femme aux cheveux rouges s'avança et monta les escaliers un par un d'un pas faussement sûr, devant le regard étonné des autres personnes autours d'elle. Quelle personne singulière, devaient-ils penser... Et là, la menace apparut... les gardes.

« Votre invitation, madame. Vous ne pouvez pas rentrez sans invitation. »

      Skarlett prit une grande inspiration, elle en avait bien besoin bien que respirer ne lui soit pas vraiment nécessaire...

« Je vous demande pardon ? Comment osez-vous laisser dehors l'une des connaissances de la reine en personne ?! »

« Mais vous... »

« C'est inadmissible, franchement ! À la place de cette chère Elena, je vous ferais pendre haut et court pour votre insolence ! … »

      En vérité, elle commençait à piquer sa petite crise en public, usant d'arguments de moins en moins plausibles, mais le ton qu'elle utilisait sans parler de cette aura électrique l'entourant à cause de son énervement commençait à impressionner l'un des gardes qui semblait un peu neuneu sur les bords. Une odeur monta aux narines de Skarlett, cette odeur venait manifestement de l'uniforme du garde. Une sorte... d'herbe. Et de brûlé. Cette odeur, elle la connaissait : c'était de la drogue ressemblant beaucoup à l'opium à fumer. De ce qu'elle savait, c'était un commerce assez prohibé à Nexus, mais sait-on jamais.

« … J'espère pour vous que vous retiendrez la leçon ! C'est inacceptable ! »

« Hum, heu... Je... »

« Si vous me laissez dehors, sous le froid, je parlerais à la Reine en personne de votre petit commerce personnel à base d'herbe, espèce de toxicomane ! »

« C'est bon, entrez, Madame. Passez une bonne soirée... »

« Et vous donc ! » fit-elle avec agacement.

      Une fois qu'elle eut dépassé le garde, Skarlett afficha un sourire satisfait, avant de commencer à s'émerveiller par la beauté de l'architecture du Palais. Son regard fit attention à chaque détail des couloirs qu'elle longeait pour atteindre la salle de bal. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas vu un tel bâtiment, d'une blancheur immaculée, un lieu soupirant la noblesse... Même à côté des valets, la jeune femme se sentait ridicule ! Eux-même avec déjà beaucoup de prestance... et elle n'était qu'une vulgaire paysanne à côté ! « Ce n'est pas grave, tiens-toi droite, avance et souris à ceux qui te souhaitent le bonsoir... »

      Un orchestre sur son estrade jouait des morceaux qu'elle n'avait encore jamais entendu. C'était de la musique raffinée, de noble, sûrement. Des danseurs s'amusaient au son de cette douce mélodie avec grâce et élégance tandis que d'autres, moins enjoués, parlaient entre eux non loin des buffets bien fournis. Là encore, Skarlett se sentait ridicule. Eux, les aristocrates, étaient tous excellemment bien habillés, coiffés... En même temps c'était une soirée qui avait lieu grâce à l'initiative royale, elle devait bien s'en douter...

      La jeune femme toute de rouge vêtue attira des regards intrigués par son apparence assez distinguée. D'ailleurs, elle commençait à être importunée par le port du corset. Ils sont beaux et donnent une belle silhouette à sa porteuse, mais quand on a une poitrine assez importance, ce n'est pas toujours très agréable. Mais étrangement le fait de se sentir « serrée » et droite la satisfaisait. Perdue dans ses pensées, Skarlett sursauta quand un domestique lui demanda si elle avait soif. Ce fut avec plaisir qu'elle accepta ce verre d'alcool qui semblait être du champagne, quoiqu'un peu plus fort. Après tout, boire et fumer sont des choses agréables mais le tout est de savoir les doser avec modération.

      Sirotant son verre, elle examina discrètement chaque personne présente dans cette énorme salle. Sa bonne vision était un atout considérable, et il fallait dire qu'il ne manquait pas de belles personnes dans les environs...

S'étant promené à Nexus quasiment toute la semaine, Kyô s'était installé dans une chambre d'hôtel, sachant pertinemment qu'il n'avait pas un rond sur lui pour payer la note. Il avait ouï dire par les valets de l'établissement qu'une grande fête allait avoir lieu ce soir au Palais d'Ivoire, lieu relativement important pour les Mortels. Pour le Dieu, cette occasion de faire la fête était immanquable.

Laissant Suffering sur le lit de la chambre, il quittait la pièce en s'enveloppant de ses bandelettes. Il descendait les escaliers de façon décontractée, et passa devant la réceptionniste en lui adressant un signe de main. En sortant de la bâtisse, il se frotta les mains d'amusement, et traversa les rues qui menaient à la fête d'un pas pressé mais mesuré. Il finit par arriver devant l'escalier du palais, recouvert d'un grand tapis rouge qui n'était pas sans rappeler le festival de Cannes.

Il y avait en effet la même foule, ameutée derrière des barrières dans l'unique but de voir les gens connus qui s'enrichissaient sur leur crédulité. Les Mortels étaient tous si crétins? C'est lorsqu'il se mit à gravir les marches que Kyô attira l'attention. Avec sa tenue, il ressemblait plus à un enfant des rues demandant l'aumône qu'à l'un des prestigieux invités. Car pour couronner le tout, il ne possédait pas de ces cartons d'invitation que possédaient tous ceux qui passaient devant les gardes. Il arriva enfin à leur hauteur:

"Salut les mecs!"

Il ne s'était pas arrêté, mais un garde interrompit sa marche en le repoussant de la main.

"Halte-là le clochard, tu n'es pas autorisé à passer!"

Kyô était habitué à voir des gardes, qui bien que disciplinés et efficaces, étaient de véritables imbéciles. La moutarde lui montait au nez, mais il ne comptait pas provoquer de scandale.

"Laisse moi passer, imbécile..."
"Vous avez une invitation?"

Le garde souriait, il prenait le Dieu pour un demeuré, ou bien il souhaitait se battre. Le mana qui se dégageait du bras de Kyô était divin, était-il trop faible pour le percevoir?

"Je suis sur la liste V.I.P."
"Votre nom, monsieur le V.I.P?"
"Yamiusagi Kyô"

Les hommes se mirent au garde-à-vous, s'écartèrent et saluèrent. C'était au tour du Dieu de sourire à présent.

"Très honoré de vous accueillir ce soir, Seigneur."
"J'aime mieux ça mon mignon. La prochaine fois tu devrais te fier au rang plutôt qu'aux vêtements. L'habit ne fait pas le moine, souviens t'en."

Il passa avec fierté au milieu des gardes, en jetant un air méprisant sur certains. Il franchit ensuite les grandes portes blanches du palais, arrivant dans les couloirs ornés de dorures.

"Seulement du blanc et de l'or? C'est triste ici..."

Le Dieu avait fait cette remarque à voix haute, en regardant les décorations qui défilaient à mesure qu'il avançait. Il finit par atteindre la salle de bal, qui elle était à la hauteur de ses attentes.

Un orchestre jouait sur l'estrade tantôt des airs entraînants, tantôt plus classiques, tandis que les couples tournoyaient sur la piste, et que les célibataires faisaient connaissance autour du buffet. Seuls ceux qui étaient désespérément seuls zonaient autour des plats de fruits de mer, ou du saucisson à l'ail. Derrière l'estrade, il y avait un immense escalier qui menait vers le balcon extérieur et un promontoire où l'on pouvait discuter plus calmement, et les murs ornés de tapisseries de velours brodées à la main s'élevaient jusqu'à un un plafond très haut, où on voyait une voûte sur laquelle était représentée une fresque sur l'histoire de la famille Ivory. Une petite pincée de nostalgie agrippa Kyô l'espace d'un instant, tout cela lui rappelait l'Olympe. Il répondait avec nonchalance à ceux qui lui souhaitaient le bonjour avec courtoisie, ne voyant pas l'intérêt de traiter avec respect des inconnus qu'il allait oublier peu de temps après, et qui n'étaient jamais que des grassouillets qui se permettaient d'aller au bal seulement parce qu'ils en avaient bien assez dans les poches. Le Dieu lui, avait certes envoyé un Fléau sur Terre, mais il avait au moins créé quelque chose d'efficace dans sa vie.

      Les airs allaient et se suivaient, se ressemblant plus ou moins. Les danseurs allaient et venaient sur cette piste de danse bien qu'à force de les regarder, on pouvait déceler des irréductibles de la danse. Autour de la jeune femme, les conversations sur de l'avenir de Nexus battaient leur plein. Ah, chouette... Encore... Elle poussa un soupir blasé. Peut-être qu'en faisant le tour des lieux, elle pourrait trouver quelqu'un d'intéressant avec qui discutailler... Ainsi elle se faufila entre quelques nobles, à la recherche d'une discussion passionnante à entretenir avec n'importe qui.

      Elle regarda autour d'elle, nerveusement, puis elle se décontracta. Un sourire s'afficha sur ses lèvres aussi écarlates que ses cheveux. « Caaaaalme toi, voyons ! Ce soir tu seras une grande aristocrate qui mérite aussi tout le respect qu'on lui doit ! » Après tout, la jeune femme avait réussi à rentrer dans ces lieux si bien gardés ! Elle vint aussi remplir son verre une seconde fois, mais elle faillit le renverser quand une voix désagréable vint atteindre ses tympans extrasensibles. Deux femmes, ou plutôt deux harpies, comméraient plus ou moins sur chaque personne qu'elles voyaient. L'une d'entre elle jeta un coup d’œil à Skarlett et la désigna d'un geste de la tête à son interlocutrice.

« Ah, quelle distinguée. Encore une de ces nouvelles riches cherchant à attirer l'attention d'un baron ou d'un comte... Vous avez vu ses habits, ma chère ? Le rouge, c'est d'un vulgaire, et puis c'est vraiment passé de mode... La coupe doit être ce qu'il y a de pire... Oh, mon dieu ! Vous avez vu, là bas ?! »

      Heureusement que les deux femmes changèrent de victime avant que Skarlett ne s'énerve, alors qu'elle commençait à rougir un peu sous l'effet de la colère et de l'indignation. Elle avait peut-être visé un peu trop haut en venant ici... Les gens sont un peu moins aimables quand ils sont très haut dans la société, dirons-nous. « Moi, au moins, mon ventre ne cache pas la vue de mes pieds... » pensa-t-elle très fort en regardant l'une des deux dames avec un regard très mauvais. Tandis qu'elle porta le verre à ses lèvres pour se rafraîchir un peu de ses émotions, ses oreilles baladeuses ne purent quitter la conversation des deux dames.

« Ma chère, regardez-le, bon sang ! On dirait un véritable miséreux ! Comment ose-t-il venir ainsi vêtu au Palais ?! »

« Un original, je suppose... Vous savez, il a l'air jeune et vous connaissez la jeunesse décadente de notre ère... »

« Ce n'est pas une raison pour venir habillé comme un gueux ! Mais je dois avouer que c'est un assez bel homme, kuhuhuhu ! »

      La Nephilim continua son chemin sans cacher un air dégoûte de son visage... Quel affreux gloussement ! Ah... Horrible... Elle jeta un dernier coup d’œil vers les deux femmes par dessus son épaule avant de se retourner complètement pour s'éloigner de ce genre de personne au maximum. La jeune femme aux cheveux rouges s'arrêta net et son regard se figea sur un homme, visiblement celui dont parlait les deux autres dindes. Par tous ses sens, elle pouvait sentir que cette personne portait un pouvoir très grand en lui... Même très grand... Elle connaissait cette impression, mais elle n'arrivait pas à mettre la main dessus... Mais c'est évident, pourtant ! Si... La dernière fois qu'elle avait senti une aussi grande force, c'était... Oh, oh non. Cet homme portait un pouvoir divin en lui, c'était un Dieu.

      Un bruit de verre cassé se fit entendre et quelques têtes se tournèrent pour savoir d'où provenait le son. Puis on put entendre un petit cri féminin.

      Skarlett, les yeux s'écarquillant, recula de quelques pas en marmonnant de plates excuses pour le verre encore à moitié plein qu'elle venait de renverser. Avait-il déjà vu des personnes dans son genre ? En avait-il déjà tué, éliminé, torturé ? C'était connu, les Dieux méprisent les Nephilims... Du moins où elle était née c'était ça... Mais que fait-il donc ici ?! Son cœur, en supposant qu'elle en avait un, battait la chamade. Une fois qu'elle s'éloigna assez elle s'appuya contre un mur. Elle sortit un éventail qu'elle avait soigneusement dissimulé dans son corset et s'éventa pour faire enlever le rouge de ses joues. Ses jambes tremblaient et elle ne pensait pas pouvoir bouger avant quelques minutes.

« Si... Si j'avais su, je... je ne serais pas venue... Enfin... je pense... » Dit-elle, ne se souciant pas vraiment que tout le monde puisse l'entendre.

      Quelques personnes la regardait d'un air étrange. Skarlett ne s'en rendait pas vraiment compte, mais son attitude la rendait vraiment louche. Trop louche. Elle releva son regard hétérochrome sur la foule, et elle vit bien que certaines personnes la dévisageait, ou le prenait pour une folle. Les aiguilles de son œil gauche, le rouge, s'était emballées mais elles se calmaient au fur et à mesure que le choc passait.

« Mais pourquoi, pourquoi faut-il qu'une de ces... de ces personnes viennent ici... ? » Se demanda-t-elle à haute voix, consciente que tout le monde pouvait l'entendre. Mais ce n'était pas le cadet de ses soucis.

      La vagabonde reprit son souffle et un peu de force. Décidément, elle ne savait pas se tenir en public... Au moins elle commençait à se calmer un peu, c'était une bonne chose, bien que ses pensées soient encore un peu floues.

Dans cette grande salle aussi, Kyô attirait l'attention. Des expressions de dégoût et des commentaires murmurés, voilà ce qui l'accueillait. Mais pour une fois, il ne s'énervait pas, il s'amusait même de l'ignorance de ces Mortels qu'il jugeait totalement impotents. Il ne s'agirait pas de faire un massacre dans le palais, il ne tenait pas à pourrir la soirée comme ça... Il retira les bandelettes qui recouvraient son visage, plus pratique pour manger et boire. Voir le vêtement disparaître surprit ceux qui y avaient prêté attention. Il ajouta pour qui l'entendrait:

"Ils devraient se sentir honorer que j'me pointe ici..."

Il avança ensuite dans la foule, se dirigeant vers le buffet. Il avait soif, et les bouteilles sur la table présentaient d'excellentes cuvées. Mais un cri suivi d'un fracas de verre brisé l'interrompit, et il se tourna dans la direction d'où ce bruit était venu. Là, une jeune femme en robe rouge, couleur qu'on retrouvait sur ses lèvres, ses cheveux et son œil gauche. Des yeux vairons, l'une des faiblesses de Kyô qui fit qu'il la trouva dès cet instant tout à fait charmante.

Mais cette femme était complètement terrorisée à le regarder, et elle reculait vers le mur, tremblante. Elle sortit un éventail et l'agita nerveusement devant son visage rougi.

"Si... Si j'avais su, je... je ne serais pas venue... Enfin... je pense..."
"Mmmm? Un soucis?"

Il posa son regard sur le verre cassé et la petite flaque de champagne. Bizarre qu'aucun majordome ne soit déjà là pour essuyer les dégâts.

"Mais pourquoi, pourquoi faut-il qu'une de ces... de ces personnes viennent ici... ?"

Enfin une personne capable de le voir à sa juste valeur! Lui qui pensait ne voir ici qu'une bande de gros bouffis, cette Dame semblait avoir plus de potentiel. Il applaudit lentement, en contournant les cassures pour la rejoindre. Tout le monde ne regardait qu'eux. Il arriva à sa hauteur, prit appui sur le mur de sa main droite et glissa à l'oreille de la jeune femme pour tester sa réaction:

"Tu as une bonne raison... De craindre les Dieux?"

Il recula d'un pas pour examiner son expression, avant de lancer haut et fort:

"Que voilà un morceau de premier choix parmi tous ces boudins, m'accorderez vous la prochaine danse, divine créature?"

La réplique se voulait cinglante envers l'assemblée, mais surtout, Kyô souhaitait rendre l'atmosphère moins étouffante pour la jeune femme. Le mana s'agitait vivement autour de son bras, tandis qu'il tendait la main vers la demoiselle.

"Si le regard des gens ne vous sied guère, il ne tient qu'à vous de le faire changer. Éblouissons-les!"

      Et youpi... Alors qu'elle commençait à se remettre de cette vision divine, les émotions revenaient de plus belle... Comment avait-elle fait pour ne par remarquer le Dieu arriver, ni pour le sentir ? Ses sens dégénéraient souvent lors de sensations un peu fortes, mais quand même...! Là c'était le pompon. Pendant un instant Skarlett se demandait quel était le sort qui lui était réservé. Pourquoi était-elle la seule à être dans tous ses états... ? Mais bordel, il y a un Dieu dans cette pièce ! Pourquoi personne ne réagit... ? Elle avait l'impression d'être folle...

      Il se dressait face à elle. La jeune femme, pourtant grande par rapport à la moyenne, se sentait si petite, si insignifiante... « C'est foutu. Je suis morte, je suis morte, je suis morte, je suis morte ! », se répétait-elle en boucle pour éviter de hurler. Alors qu'il s'approchait d'elle, son mouvement de la main pour s'aérer ralentissait petit à petit. Skarlett le fixait avec anxiété. Bien sûr, quelques détails ne purent lui échapper, comme cette étrange matière magique noire qui enveloppait son bras droit, même son physique en général. Il était plutôt attirant, même très beau, mais c'était un Dieu, hein, fallait bien s'en douter. De son point de vue, tous les Dieux étaient beaux. Son grand-père est un très bel homme, qui n'a pas l'air d'avoir plus de la trentaine alors qu'il en a plusieurs millénaires... Et c'est un Dieu. Il ne voulait pas faire de mal à Skarlett parce que c'est sa petite fille, mais ô combien de fois il lui avait dit que les Dieux n'aimaient pas les Nephilims. Trop hautains. Trop prétentieux. Ce sont de véritables démiurges qui élimineraient les Dieux pour prendre leur place s'ils le pouvaient. Mais elle n'était pas comme ça, alors elle ne comprenait pas.

      La jeune femme voyait la scène au ralentit, jusqu'à ce qu'elle le choc que fit la main de l'homme sur le mur. Dès ce moment ce fut comme si elle revenait à la réalité de manière violente et brusque. La proximité la gêna un peu et ses joues s'empourprèrent de plus belle. Elle jeta quelques légers coups d’œil ici et là pour voir quelle était la réaction du monde les entourant. A priori, ils attiraient tous les regards. Tous. Et pourtant, à ses yeux, c'était comme s'ils étaient tous les deux coupés du monde tant la situation lui paraissait surnaturelle (enfin... plus que d'habitude...).

« Tu as une bonne raison... De craindre les Dieux? »

      Tels furent les mots qu'il lui souffla. Skarlett ne respirait limite plus, m'enfin, ce n'est pas ça qui la tuera. Elle fixait l'homme droit dans les yeux, se contrôlant pour éviter de hurler comme une folle furieuse. « Je... ne suis toujours pas morte... ? ». En toute sincérité, elle était à deux doigts de l'implorer de la laisser sauve en prétextant qu'elle avait des enfants et qu'elle n'était pas quelqu'un de bien méchant contrairement aux autres personnes de son espèce.

      Ce silence était un aveu. Si elle n'avait rien à craindre, elle l'aurait affirmé, or, ce n'était pas le cas. À son plus grand soulagement, l'inconnu recula et elle put reprendre sa respiration normalement. Que... que d'émotions en si peu de temps... S'attendant à ce qu'il la laisse tranquille dès maintenant, Skarlett fut assez surprise de l'entendre clamer à haute et intelligible voix :

« Que voilà un morceau de premier choix parmi tous ces boudins, m'accorderez vous la prochaine danse, divine créature? »

      Alors que quelques grognements indignés se firent entendre, Skarlett n'en croyait pas ses oreilles. Divine... créature. Créature, certes, mais divine, que nenni ! Elle n'eut pas le temps de répondre que l'homme reprit la parole :

« Si le regard des gens ne vous sied guère, il ne tient qu'à vous de le faire changer. Éblouissons-les! »

      Il lui tendit sa main droite, celle où cette étrange matière couleur sable au sens héraldique. Peut-être qu'il ne lui voulait pas vraiment du mal, après tout. Bien que ses manières soient assez extravagantes, il n'était pas méchant. Skarlett posa sa main gantée dans la sienne non sans appréhender le contact de cette matière noire comme la nuit, mais rien de particulier ne se passa. C'était plutôt bon signe.

« Je... Mmh... D'accord... » Répondit-elle d'une voix faible et hésitante, alors qu'elle accompagnait ses paroles d'un mince hochement positif de la tête.

      Elle voulait pouvoir détourner le regard mais elle n'y arrivait pas, comme captivée. Ou surtout comme trop intimidée.

A peine l'inconnue en robe rouge avait-elle pris la main de Kyô qu'il l'entraîna vers le centre de la pièce, souriant de toutes ses dents. Il clama alors à toute l'assemblée:

"Faîtes place! Il y a un Dieu dans la salle, et ce Dieu accorde une danse à la plus belle femme de cette soirée!"

La foule s'écarta alors sur leur chemin, et un grondement de stupeur commença à s'élever. L'orchestre entama une valse, que Kyô conduisit avec plaisir. Il retenait avec une furie intérieure sa main, posée sur la taille de la demoiselle, de descendre trop bas. Sa façon de danser, avec des gestes précis et sans bavures, prouvait une bonne fois pour toute à l'assistance qu'il n'était pas un "gars tout droit sorti du caniveau". Il profita de la musique ambiante et de la proximité avec la jeune femme pour l'interroger.

"Dîtes moi belle inconnue, comment vous appelle-t-on? Et pourquoi me craignez vous ainsi?"

Certaines personnes autour d'eux s'arrêtaient de danser pour mieux les observer, et bientôt, on leur laissa un grand espace où tous autour les regardaient tournoyer avec admiration. Le Dieu n'en était pas mal à l'aise pour autant, à vrai dire tout cela l'amusait beaucoup.

"Vous semblez crispée, vous n'avez pas de raison. Regardez, voyez comme toutes ces personne nous adulent, voyez comme toutes ces femmes envient votre place! Vous êtes au cœur de l'attention, profitez-en, éclatez vous!"

La valse se termina, puis l'orchestre enchaîna sur un morceau un peu plus endiablé. Kyô suivait le rythme tout naturellement, et s'écria:

"Let's rock!!"

La jeune femme n'avait toujours pas répondu à ses précédentes questions, mais cela pouvait attendre. Il était juste curieux de savoir avec qui il partageait cette danse, mais rien d'urgent, après tout, ce soir-là, l'humeur était à la fête.

      Un léger cri d'hébétude sortit de sa bouche alors qu'elle était embarquée en plein sur la piste de danse. Oh mon dieu... Absolument tout le monde les regardaient... C'était tout à fait... inconvenu... Enfin non, mais... Non mais vraiment ! Celle aux cheveux de feu ne savait que penser en cet instant aussi incroyable fut il... Tout était allé si vite d'un coup et elle ne savait plus si ce qu'elle vivait était vrai ou non. Rah... si elle savait...

      Dès lors qu'un premier morceau fut entamé par l'orchestre toujours aussi enthousiaste, leurs pas s'animèrent et devant cette foule bercée par l'incompréhension, ils dansaient. Skarlett fit de son mieux pour suivre le rythme de son partenaire et elle dut mettre un peu d'énergie pour ne pas avoir l'air d'un petit canard boiteux face à lui... Elle regardait un peu ailleurs, ici et là, fuyant son interlocuteur du regard. D'ailleurs, elle s'étonna de ne pas avoir encore renversé un couple ou d'autres gens, mais en réalité il s'est avéré que quand on leur avait laissé la place, ce n'était pas qu'à moitié. Certes d'autres couples dansaient, mais ceux-ci se trouvaient à une distance assez grande d'eux. Enfin... par « grande », disons « raisonnable ».

« Dîtes moi belle inconnue, comment vous appelle-t-on? Et pourquoi me craignez vous ainsi? »

      Trop concentrée sur ses pas et à ne pas faire de bêtise, elle ne répondit rien. La jeune femme en rouge était encore un peu trop craintive pour dévoiler qui elle était en réalité... Néanmoins elle devait avouer qu'elle commençait à s'amuser beaucoup entre ses mains. De sa longue vie elle n'avait jamais rencontré quelqu'un avec autant de précision à la danse... Une première, en somme.

« Vous semblez crispée, vous n'avez pas de raison. Regardez, voyez comme toutes ces personne nous adulent, voyez comme toutes ces femmes envient votre place! Vous êtes au cœur de l'attention, profitez-en, éclatez vous! »

      Skarlett jeta un coup d’œil à leur public et visiblement il n'avait pas tort... Face à la dernière remarque du Dieu, elle réussit finalement à étirer un mince sourire sur ses lèvres écarlates. Danser l'avait réchauffée et elle semblait moins tendue qu'au départ. Le rythme s'accéléra. Enfin non, il changea radicalement, pour être plus franche. Dans le tempo frénétique le tissu rouge de sa robe volait, ainsi que ses cheveux carmins. Pendant une fraction de seconde elle pensa qu'un sourire éclatant illuminait son visage tant la tournure des événements était étonnement bonne. Mais elle devait se souvenir avec qui elle était... un être divin, donc toujours potentiellement dangereux.

      Bien sûr qu'elle profita pleinement de ces quelques agréables minutes qu'elle passa en compagnie de son cavalier. Il se voyait être un tellement bon danseur qu'à la fin de la seconde danse Skarlett se sentait déjà exténuée... S'il savait les efforts qu'elle venait de fournir pour ne pas commettre la moindre gaffe, comme elle sait si bien le faire en temps normal... La jeune femme passa une main dans ses cheveux et cette fois-ci elle releva le regard vers le Dieu, et elle soutint son regard.

« Au fait... Je me nomme Skarlett... Enchantée de faire votre connaissance, Monseigneur... »

      Ceci dit, elle enchaîna avec sa plus belle révérence, baissant derechef le regard sur le sol blanc. La demoiselle se redressa lentement et releva enfin la tête. Elle gardait, pour le moment, une distance d'un mètre avec son inerlocuteur en signe de politesse et de respect.

"Au fait... Je me nomme Skarlett... Enchantée de faire votre connaissance, Monseigneur..."

Skarlett? Pour une femme toute vêtue de rouge, ce nom semblait quelque peu surfait. Donc, soit elle mentait, soit certaines circonstances l'avaient poussé à se choisir elle-même un nom. De toute façon cela importait peu, il y avait des chances que Kyô l'oublie, comme bien des inconnues d'un soir. Il remarqua alors qu'elle était essoufflée.

"Hem, j'aurais peut-être dû te ménager, on dirait que tu as eu du mal à suivre. Enfin bon, tu t'es bien débrouillée."

Il était devenu soudain plus familier, car comme bien des Dieux, il vouvoyait plus par distance relationnelle que par différence de rang. Le regard de Skarlett était toujours fuyant, il s'approcha d'elle et posa son index sous le menton de la demoiselle afin de lui relever la tête. Son regard chaleureux se perdit aussitôt dans les yeux vairons de la jeune femme.

"Je suis Kyô,le dieu du chaos. C'est à cause de cette étrange horloge dans ton œil que ton regard se fait toujours si fuyant?"

Il s'arrêta quelques temps en regardant tourner les aiguilles, puis se souvint alors qu'il manquait de bienséance.

"Fascinant... Tu ressembles à une ESPer, et pourtant le mana qui émane de toi ne possède pas de spécificité comme la leur... Tu as quelque chose de... divin..."

Il marqua une pause, fixant Skarlett sans vraiment la regarder. Il voulait faire quelque chose pour la détendre, elle était encore trop nerveuse. Mais quoi? Hé bien, la même chose qu'il faisait, à chaque fois qu'il participait à une soirée: il attrapa la femme par les hanches pour l'attirer vers lui, et l'embrassa langoureusement comme si de rien n'était. Sa main droite s'en vint caresser son dos, et quand il se retira, il ne dit que cela:

"Ce n'était pas divin hein? Tout à fait humain... Tu n'as rien à craindre d'aucun Dieu, quoi que tu aies fait, et tu n'as pas à stresser non plus. Tu viens d'être embrassée par un Dieu devant plus de deux cent personnes, et si tu le veux, tu n'as qu'à me gifler pour m'humilier devant ces même personnes. Laisse moi donc te poser à nouveau cette question: As tu une bonne raison de craindre les Dieux?"

Comme à son habitude, Kyô s'était laissé aller et prenait des risques inconsidérés. Mais il trouvait cela excitant, à quoi bon vivre si l'on ne peut pas pimenter sa vie? C'était encore plus vrai pour lui, qui était immortel.

Plus le temps passait, et plus sa curiosité le démangeait. Cette femme était un grand mystère, et il voulait à tout prix la connaître davantage. En sentant l'infime empreinte divine dans son mana, il se demandait si elle n'était pas tout simplement un avatar, qui se jouait bêtement de lui. Cette piste était à explorer, il se concentrait sur cette piste en essayant d'identifier ce mana, et ce sans rien laisser transparaître.

"Tu veux qu'on monte au balcon? Il y fait plus frais, et on sera peut-être plus à l'aise pour discuter. Sauf si..."

Ses yeux descendirent instinctivement vers la poitrine de Skarlett, et il lança cette boutade:

"... Il y a du monde au balcon!"

Il sourit en coin, il n'avait pas pu s'empêcher ce double-sens. Pour Kyô, il y avait deux chances sur trois qu'elle le gifle, et parmi celles-ci, une chance sur deux qu'elle s'en aille et lui échappe. Il espérait qu'elle avait un bon sens de l'humour, ou du moins qu'elle n'avait pas le sang aussi chaud que le sien.

      Le passage du vouvoiement au tutoiement perturba la jeune femme quelques instants. Elle ne s'attendait pas à ce que les choses aillent si vite ni à ce que l'inconnu se montre aimable, même gentil avec elle. Un petit peu naïve dans l'âme, elle ne se douta pas un instant qu'il lui veuille du mal, désormais. Du côté du Dieu, les présentations se firent un peu plus entreprenantes, en effet il força Skarlett a lever les yeux vers lui. Là elle ne pouvait plus fuir...

« Je suis Kyô, le dieu du chaos. C'est à cause de cette étrange horloge dans ton œil que ton regard se fait toujours si fuyant? »

      Dieu du... chaos ? C'était assez... inquiétant quant à la suite des événements... En tout cas c'était sûr qu'elle se souviendrait de lui, pendant longtemps... Surtout qu'un Nephilim peut vivre jusqu'à 900 ans facilement, s'il ne se fait pas éliminer avant, ce qui arrive couramment... Le plus vieux Nephilim aurait environ 500 et quelques années, mais qui ne dit pas qu'il est déjà mort à l'heure qu'il est...?

      Elle ne répondait rien. Au centre de l'attention de tous, les mots ne lui vinrent pas à la bouche, seulement des « Hum... euh... » d'hésitation, très peu éloquent, certes.

« Fascinant... Tu ressembles à une ESPer, et pourtant le mana qui émane de toi ne possède pas de spécificité comme la leur... Tu as quelque chose de... divin... »

      « Eh... Merde. » pensa-t-elle... « Je vais mourir, je vais mourir, je vais mourir ! ». Ses yeux, grands ouverts, transmettaient une grande panique sans égale tant elle se pensait proche de la fin.

      Lorsqu'il vint l'attraper par les hanches, Skarlett ne put retenir une petite exclamation de surprise qui fut vite dissimulé par le baiser qu'elle reçut. Évidemment, il fallait bien s'en douter, elle apprécia beaucoup ce long et sensuel baiser, à en oublier la foule autour d'eux... Tout cela était-il réel ? Aucune idée... Peut-être ben qu'oui, peut-être ben qu'non... En tout cas la situation prenait un sens invraisemblable... Une fois ce moment de bonheur passé, la jeune femme à la robe rouge regarda autour d'elle furtivement. Tous les regards étaient braqués sur eux... Ses joues s'empourprèrent et afin de ne plus faire attention aux autres, elle dut se résigner à ne plus fuir le regard de Kyô.

« Ce n'était pas divin hein? Tout à fait humain... Tu n'as rien à craindre d'aucun Dieu, quoi que tu aies fait, et tu n'as pas à stresser non plus. Tu viens d'être embrassée par un Dieu devant plus de deux cent personnes, et si tu le veux, tu n'as qu'à me gifler pour m'humilier devant ces même personnes. Laisse moi donc te poser à nouveau cette question: As tu une bonne raison de craindre les Dieux?  »

      Malgré ces étranges propos, Skarlett ne trouva pas de mots exacts pour définir ce qu'elle voulait dire...

« Eh bien... C'est compliqué... Et puis... je ne sais pas si c'est vraiment le moment ni le lieu pour expliquer tout ça... »

      Elle repassa une main dans ses cheveux par réflexe, elle faisait toujours ça quand elle se sentait trop gênée ou quand elle ne savait que répondre.

« Tu veux qu'on monte au balcon? Il y fait plus frais, et on sera peut-être plus à l'aise pour discuter. Sauf si... ... Il y a du monde au balcon! »

      Pendant un instant, Skarlett ne comprit pas trop, mais tout devient rapidement clair dans sa tête, mais ce fut le regard de Kyô qui lui mit la puce à l'oreille. S'il avait été humain, elle l'aurait insulté de noms aussi stupides les uns que les autres avant de s'en aller d'un pas pressant, indignés, mais les circonstances faisaient qu'elle se trouvait face à un Dieu, la Dieu du chaos qui plus est. Elle fronça les sourcils d'indignation, avant de laisser son visage se décontracter. Elle poussa un soupir blasé tant le jeu de mot lui paraissait bas et facile maintenant.

« Je ne savais pas qu'on faisait l'école du rire, sur l'Olympe... » Déclara-t-elle tout naturellement, oubliant quelques secondes à qui elle s'adressait.

      Skarlett s'empourpra de nouveau. Ô combien elle espérait ne pas avoir offensé Kyô de la sorte... Ça serait dommage. Surtout pour elle.

« Je suis quand même d'accord pour qu'on prenne un peu l'air, Monseigneur... si vous voulez toujours en savoir plus. » Ajouta-t-elle bien rapidement, d'une voix hésitante et timide. « Je vous dirais tout ce que vous voulez savoir... »

      Il était hors de question de devoir l'offenser à nouveau, alors autant se montrer coopérative dès le départ. Puis, d'un autre côté, elle voulait bien visiter le balcon qu'elle n'avait pas encore eut l'occasion de voir dès son entrée dans le Palais, avec un bel homme, tant qu'à faire, même si celui-ci se trouvait être quelqu'un d'important et puissant. Vu le rouge qui animait son visage, un peu d'air lui ferait le plus grand bien...

"Je ne savais pas qu'on faisait l'école du rire, sur l'Olympe..."

C'était plutôt cassant, mais en même temps, Kyô se mordait intérieurement les lèvres pour son manque de tact. Il voulait que Skarlett prenne de l'assurance, mais là, elle venait de l'envoyer sur les roses, et royalement. Il tenta de se contrôler, comprenant qu'elle répondait à son petit jeu de mot par une petite pique inoffensive. C'était donc cela, ces fameux "traits d'esprit" qui faisaient fureur parmi les aristocrates? Chez les Dieux, on se contentait de s'envoyer quelques astéroïdes sortis de nulle part, mais ça, c'était la façon de procéder des Immortels...

"Je suis quand même d'accord pour qu'on prenne un peu l'air, Monseigneur... si vous voulez toujours en savoir plus.  Je vous dirais tout ce que vous voulez savoir..."

Enfin, il pouvait rassasier cette curiosité qui devenait presque maladive.

"A la bonne heure!"

Il tira une petite révérence, tout en faisant signe à la jeune femme en rouge d'ouvrir la marche. Ils contournèrent l'estrade et commencèrent à monter l'escalier d'un pas cadencé, croisant divers couples, monocle pour elle et haut-de-forme pour lui, qui parlaient de tout sauf de leur vie de foyer. Ces gens étaient vraiment tous bizarres, ils avaient un drôle de façon de percevoir leur ridicule petit pouvoir.

"Je suis navré pour cette blague de mauvais gout, ma Dame. C'est un humour assez populaire chez les Mortels, il existe depuis des siècles. Il ne plaît pas forcément aux personnes de votre rang."

Arrivés en haut de l'escalier, ils firent encore quelques pas. Ils arrivèrent devant la grande porte vitrée qui donnait sur le balcon, balcon qui ressemblait plus à une grande terrasse, au vu de sa taille. Il était fait entièrement de feldspath, une pierre blanche, et bordé par une balustrade finement sculptée dans la même pierre. Kyô posa la main sur la clenche et glissa, avant d'ouvrir:

"On ne rit pas beaucoup sur l'Olympe, vous savez... A part regarder les Mortels, s'amuser avec quand ils nous rendent visite ou encore se pourrir la vie les uns les autres, on n'a pas de grandes occupations. Surtout les dieux mineurs comme Moi..."

C'était assez gênant de dire ça comme ça, mais Kyô en était conscient, jouer les mélancoliques qui ouvrent leur cœur était un bon moyen pour que votre interlocuteur vous parle à son tour, par ce besoin tout à fait humain de vous consoler, dans le seul but d'avoir la conscience tranquille. Et puis le Dieu des lapins ne pouvait pas s'ennuyer là-bas, il se battait au moins deux fois par jour avec les autres Dieux qui le trouvaient trop turbulent.

Il ouvrit la porte et prit une grande inspiration avant de lancer tout haut:

"Aah, quelle soirée fraîche! Même pas une seule pincée de cette odeur désagréable d'esclave confiné!"

Il n'y avait là qu'un couple de jeunes gens en train de discuter, qui ne firent pas attention à la remarque de Kyô. Le dieu s'avança vers l'extrémité du balcon, et s'assit sur le rebord, les jambes pendantes au-dessus du vide. Cet étage qu'ils venaient de monter en faisait au moins trois, sur un immeuble "standard". Et encore, le Palais d'Ivoire s'élevait bien plus haut. Il resta silencieux, pensif. Et enfin:

"Dis Skarlett... Tu trouves pas que c'est beau une ville, la nuit? Et le jour, tout est laid et terne... Les Mortels devraient vivre la Nuit..."

Il laissa s'échapper un soupir.

      Dans un bruit de tissu, la jeune femme passa devant Kyô pour se diriger avec hâte vers la porte menant au balcon.

« Je suis navré pour cette blague de mauvais gout, ma Dame. C'est un humour assez populaire chez les Mortels, il existe depuis des siècles. Il ne plaît pas forcément aux personnes de votre rang. »

« Oh, ce n'est rien, je vous pardonne... »

      C'était dans son caractère d'être toujours désolée de la sorte. Pourtant jalouse de nature, Skarlett n'arrive jamais à ne pas pardonner au final... Elle fut d'abord assez étonnée de recevoir des excuses mais ce qui capta le plus son attention fut l'allusion à son rang social. Elle n'a jamais été ni noble, ni aristocrate, ni bourgeoise et elle n'était pas prête de le devenir... Tout simplement, elle ne décida de ne pas revenir à ce détail. Si quelqu'un, parmi cette audience de fourbes et d'idiots, apprenait qu'elle était venue sans invitation mais avec quelques mensonges bien lancés, c'était sûr qu'elle passerait la fin de la soirée dehors dans le froid...

« On ne rit pas beaucoup sur l'Olympe, vous savez... A part regarder les Mortels, s'amuser avec quand ils nous rendent visite ou encore se pourrir la vie les uns les autres, on n'a pas de grandes occupations. Surtout les dieux mineurs comme Moi... »

      Elle ne répondit rien. La jeune femme contenta de baisser le regard, une expression compréhensive sur le visage. À sa surprise, ou plutôt sans s'en rendre vraiment compte, elle commençait à exprimer de la sympathie envers Kyô. C'est vrai que vu ainsi, la vie d'un Dieu ne devait pas être vraiment palpitante... Peut-être que, comme elle, il errait ici et là, éternellement...

      Alors qu'il avait à peine ouvert, elle sentit dessuite la brise fraîche sur son corps pâle. Qu'est-ce que cela lui faisait un bien fout... En quelques instants elle avait l'impression de sentir le rouge de ses pommettes s'estomper légèrement.

« Aah, quelle soirée fraîche! Même pas une seule pincée de cette odeur désagréable d'esclave confiné! »

      À cette réplique, Skarlett releva brusquement la tête vers l'homme qu'elle venait de rencontrer il y a peu. L'expression indignée sur son visage en disait long sur ce qu'elle pensait... Rien que le mot « esclave » la choquait et elle déteste tout ce qui s'y rapporte.

      A priori il n'y avait presque personne dans les environs. Bah, tant mieux, ils allaient être plus tranquilles, et surtout plus éloignés des oreilles indiscrètes. La Nephilim suivit le Dieu jusqu'au rebord du balcon sur lequel il vint s'assoir. Naturellement elle le suivit, en pensant qu'ils ne devaient pas être si haut que ça. Elle avait tort... S'appuyant légèrement sur la pierre, elle se pencha pour évaluer la hauteur des lieux. Finalement son regard capta enfin les lumières de Nexus, du moins en partie. On aurait dit un ciel à terre... Comme pour compenser les nuages venant dissimuler les étoiles... C'était une vue magnifique, imprenable sur les plus beaux quartiers de la ville. Captivée par le paysage, elle ne se rendit pas vraiment compte lorsque quelques nuages se dissipèrent pour laisser un peu plus de place à la lumière lunaire et à quelques étoiles, tant qu'à faire.

« Dis Skarlett... Tu trouves pas que c'est beau une ville, la nuit? Et le jour, tout est laid et terne... Les Mortels devraient vivre la Nuit... »

      Prises dans ses pensées, elle se tourna vers Kyô et dégagea une mèche rousse venant se coller à son visage à cause de la légère brise s'étant élevée.

« Certes, oui, la ville de nuit est magnifique... Mais je ne suis pas totalement d'accord. La nuit, la ville est dangereuse, plus que le jour en tout cas. Même si le jour elle est parfois... ennuyeuse. Heureusement que la nature est là, pour compenser... Il y a tellement de paysages magnifiques en journée comme, par exemple... des plaines, verdoyantes, infinies... sous un ciel bleu accompagné de quelques nuages blancs, ou sinon... les bois, les forêts... et... surtout... les falaises au bord de mer, sous un ciel gris et lourd, alors que la mer agitée vient percutée ce mur de pierre imprenable... »

      Skarlett prenait ses exemples d'endroits qu'elle avait elle-même visitée lors de la découverte du continent. C'était assez paradoxal, en temps normal un noble ne sort pas de la ville, ou pour visiter de la famille... dans une autre ville. Or, elle en savait beaucoup sur les trésors de la nature. Ce dernier exemple était le plus marquant pour elle et sans doute celui qu'elle trouvait le plus magnifique. Cette vision des choses est très peu courante car d'après son expérience personnelle, les humains préfèrent les montagnes ou les plages. Jamais ces falaises vertigineuses recouvertes d'herbes hautes... Ce qu'elle appréciait beaucoup était le bruit de l'écume contre la roche, accompagné du vent annonçant la tempête... En mentionnant cet exemple, la jeune femme voyait très bien la scène dans sa tête.

« Puis, si les hommes vivaient la nuit, elle perdrait de son charme... Enfin, ça n'est que mon point de vue... » Fit-elle après avoir marqué une légère pause.

      Elle s'était bien éloignée du sujet de conversation mais elle ne connaissait pas vraiment la ville, au final. Ou ce qu'elle en connaissait était purement négatif. Après avoir vécu comme une véritable clocharde pendant assez longtemps, elle savait que la véritable liberté se trouvait là où ne se trouvaient pas les autres.

« Je n'aime pas la ville. Mais j'y suis uniquement pour m'amuser et rencontrer du monde. Dès que je peux, je reste à l'extérieur. »

      La Nephilim leva de nouveau les yeux sur les lumières animant la ville en pleine nuit. Sa robe s'agitait un peu avec la brise, lentement, calmement. Elle n'avait plus tellement peur, désormais. Peut-être qu'elle était naïve, mais peut-être que Kyô se montrait sincère. Peut-être qu'elle ne s'était pas attirée tant d'ennuis, finalement.

"Je vous dirait tout ce que vous voulez savoir" avait-elle dit...
Réalisait-elle que sa seule réponse en disait long sur elle, avant même que le Dieu n'eut pris la peine de poser ses questions?
En effet, cette soirée regroupait des gens qui travaillaient peu, mais ils avaient des tonnes de choses à faire, même si ces choses étaient totalement absurdes et inutiles. Alors comment une jeune bourgeoise pouvait-elle trouver le temps de visiter tant de contrées? Et si elle rejoignait la ville seulement dans le but de s'amuser, alors qu'en était il de ses affaires? Kyô l'avait percée à jour, et ce qu'il découvrait le surprenait. C'était pour lui très intéressant. Il savait déjà qu'il se souviendrait longtemps de cette femme qu'il ne connaissait toujours pas. Il parla tout bas, pour ne pas être entendu du couple, par sécurité.

"C'est amusant d'en apprendre sur toi. Donc, non seulement ton nom est un faux, mais ton rang social aussi..."

Il voulait voir sa réaction: elle pouvait être soit nerveuse, soit gênée, soit indignée. Il s'allongea sur la balustrade, appuyé sur ses coudes pour se redresser. Ses yeux rouges ne quittaient plus ceux de Skarlett.

"Je vais maintenant te dire ce que je veux savoir. Qui es tu vraiment?"

Dans le doute, il lui laissa quelques temps afin de formuler ses dires. Peut-être la femme avait-elle eu une vie compliquée. Ce que pensait Kyô, c'est qu'elle allait dire vrai. Parce qu'il avait détecté ses mensonges, et qu'il pourrait recommencer. Il décida alors de continuer sur le principe du "donnant-donnant", et joua cartes sur table. Il était plus galant de se présenter intégralement, avant de le demander à la jeune femme.

"Kyô Yamiusagi, appelé aussi "Sanctus tenebris" par mes croyants. Je suis l'un des enfants d'Artémis, Dieu mineur des lapins et des lièvres."

Son regard se fit plus aiguisé, il examina Skarlett en détail. C'était un test, et il espérait bien qu'elle réussirait. S'il détectait une once de mépris, ou d'amusement, alors il s'en irait. Il s'en irait, car il ne souhaitait pas la jeter dans l'escalier situé en dessous du balcon.

"C'est ce que je suis..."

Il se torturait bêtement en faisant cela, il souhaitait connaître le fond de pensée de Skarlett, la connaître plus, même si cela s'avérait dangereux, lui qui à la base n'était venu que pour boire, impressionner les Mortels et draguer quelques bourgeoises assez saoules pour tromper leurs maris sans regrets. C'était les privilèges divins ça, il arrivait même parfois que les hommes remercient les Dieux qui sortaient de la couche de leurs conjointes. Dans le fond, c'est con un Mortel...

Mais Kyô était comme ça, quitte à se blesser, autant aller au fond des choses. La raison se cognait souvent à son impulsivité, mais pour lui la vie était belle, dans ses hauts et ses bas, et surtout dans son infinie longueur.

Ses yeux remontèrent, et son regard se perdit un instant dans le firmament. Un sourire ambitieux élargit ses traits, appuyé par un petit froncement de sourcils teigneux. Il fit cette promesse à lui-même, dans un murmure:

"Un jour, je serai bien plus..."

Ses yeux pourpres revenaient sur Skarlett, son expression était devenue interrogatrice. Il lui avait posé une question, il en attendait toujours la réponse. Et il manifesta cette attente par cette simple remarque:

"Tu devrais mieux choisir tes histoires, les Dames qui font la bourgeoisie des Mortels connaissent au moins quelques pas de danse, j'ai masqué ce défaut à la foule, mais tu devrais quand même prendre des cours, au cas où."

Que voulait-dire cette phrase? Elle disait "Je me doutais un peu que tu jouais un rôle.". Elle disait aussi "Je ne trahirai pas ta couverture, je t'offre cette soirée.".

« C'est amusant d'en apprendre sur toi. Donc, non seulement ton nom est un faux, mais ton rang social aussi... »

      Skarlett se tourna brusquement vers Kyô, la panique montant en elle. Alors qu'il adoptait une posture plus décontractée, la question tant redoutée ne tarda pas vraiment à arriver...

« Je vais maintenant te dire ce que je veux savoir. Qui es tu vraiment? »

      La jeune femme déglutit avec difficulté... Par où commencer... ? Et... que dire ? Elle se tut un instant, réfléchissant aux choses à ne pas dire à au contraire à celles qu'il fallait dévoilées. Trier 345 années est assez compliqué... Mais elle devait le faire, pensait-elle. Elle ne pouvait pas éternellement se cacher derrière un masque qui ne lui ressemblait aucunement...

« Kyô Yamiusagi, appelé aussi "Sanctus tenebris" par mes croyants. Je suis l'un des enfants d'Artémis, Dieu mineur des lapins et des lièvres. »

      C'est étrange, tout de même... L'homme n'avait pas vraiment la carrure d'un Dieu des lapins et des lièvres, mais il restait un Dieu tout de même, fils d'Artémis qui plus est. Artémis... Dire que son propre fils se nomme Hartemis... quelle coïncidence... Elle sourit intérieurement. Néanmoins, le nom que ses croyants lui donnent sonnait particulièrement inquiétant... Elle ne savait pas ce dont il était capable...

      Il la fixait avec insistance et elle soutint son regard, quelque peu inquiète. Qu'attendait-il d'elle ? Aucune idée, pour le moment. Pour le moment elle restait calme et posée, bien qu'un peu anxieuse. Une fois qu'elle n'eut plus à soutenir ce regard, Skarlett reposa ses yeux sur la ville, encore une fois, à la recherche de ses mots et surtout de comment les assembler...

« Tu devrais mieux choisir tes histoires, les Dames qui font la bourgeoisie des Mortels connaissent au moins quelques pas de danse, j'ai masqué ce défaut à la foule, mais tu devrais quand même prendre des cours, au cas où. »

« Hum... eh bien... je... »

      Dé-mas-quée. Comme pour se justifier, Skarlett se précipita de reprendre la parole :

« Mais... j'ai toujours voulu ce que ça fait d'être à un rang social élevé... Je n'ai jamais connu ça et il me reste tellement de temps à dépenser que je me suis dit que je pourrais... essayer, pour voir... Cela ne fait que quelques temps que je vis une vraie vie, alors je veux en profiter, pour une fois je veux vivre et non rester à la botte des autres... Mais je ne veux pas vivre dans la misère -et encore, c'est un euphémisme- comme fut un temps... »

      Ses bras commencèrent à trembloter. Rien que de penser au passé la rendait triste et haineuse à la fois...

« Pour répondre à votre question, pour le moment je m'appelle Skarlett Pandorashÿs... Ma véritable identité ne regarde personne, et je m'excuse si cela peut vous offenser... Je suis condamnée à vivre encore presque 700 ans à moins qu'on me juge nuisible pour les humains... Si depuis le début votre présence m'effraie, c'est parce que... hum... Je... je suis ce que l'on appelle un Nephilim, les petit-enfants des Dieux, ceux à qui leurs gênes divins ont dégénéré... Des anges déchus, en somme. »

      Et voilà, ce qui est fait est fait... Rien qu'en disant le mot « ange », ses cicatrices sur ses omoplates, dépassant légèrement du corset, lui picotèrent un peu. Dire que si son père l'avait laissée tranquille, elle aurait une belle paire d'ailes et pas de cicatrices inguérissables recousues négligemment avec du fil noir, donc sur sa peau pâle, c'est assez visible.

« On m'a souvent dit que les Dieux les détestaient et qu'ils n'hésitaient pas à les mettre hors d'état de nuire... parce que certains sont puissants et dangereux... Mais moi je n'ai rien fait ! Je ne fait de mal à personne et pourtant on a déjà voulu me... tuer. »

      Ce mot faillit lui rester coincé dans la gorge. En réalité Skarlett avait la gorge nouée en racontant les faits.

« Voilà pourquoi je me montre si... craintive... je m'excuse si j'ai pu vous offenser par mon attitude mais ce n'était pas volontaire... »

      Son regard vairon restait fixe dans le vide. La Nephilim se sentait un peu stupide, mais au moins elle avait -enfin- répondu aux questions de Kyô.

Kyô écoutait le petit discours de Skarlett, les joues gonflées et rosies, et une petite larme à l'œil. Elle lui expliquait honteusement son comportement farouche, et lui, il se fendait la poire. C'est seulement lorsqu'elle termina, et lui présenta ses excuses qu'il se saisit les côtes et éclata de rire. Il se déroulait de gauche à droite sur le balustrade, jusqu'à tomber par-dessus bord. Il flottait maintenant dans les airs à hauteur du rebord, dans la même position. Le couple derrière eux, dérangé, quitta le balcon, répétant sans cesse que ce type mal vêtu manquait e savoir vivre. Il fallut un certain temps pour que le Dieu se calme et parvienne à s'exprimer.

"Alors c'est tout? Héhé, c'est juste pour ça, toutes ces crises d'angoisse?"

Il se remit à la verticale, et croisa les bras pour reprendre son calme.

"Alors tu es une Néphilim, ceux qui sont capables de tuer les Dieux qui les ont engendrés, tout ça pour les détrôner..."

Ceci expliquait l'empreinte divine de son mana. Il bondit sur elle et la saisit à la gorge. Cependant il ne serrait pas, c'était la peur qu'il voulait créer, pas la douleur.

"Et là Skarlett... Tu as vraiment peur de moi?"

Son regard ferme et son air sérieux disaient tout: il ne plaisantait pas.

"Donc si je veux, je te tue... Parce que tu me gênes, hein?"

Il rit à nouveau. Ce rire n'était pas sadique, juste moqueur. Il retira sa main tout simplement, et cette main vint tapoter l'épaule de la belle.

"Allons, détends toi, j'vais pas te tuer, si il y a un de nous deux qui voudrait et pourrait tuer un Dieu ici, c'est bien Moi!"

Il fit un pas en arrière, se détourna, décolla un peu du sol et se retourna. Son visage à l'envers retournait en face de Skarlett, les pieds en l'air et les cheveux qui touchaient presque le sol. Souriant de toutes ses dents, et avec cette étrange posture, il n'était pas sans rappeler le chat du Cheshire.

"Si on résume, tu vis longtemps, la plupart des Dieux ne t'aiment pas, et tu voudrais t'élever dans la hiérarchie..."

Il prit son envol, tournoya au-dessus de l'escalier et revint s'asseoir sur la balustrade, face à Skarlett. Il ne tenait vraiment pas en place.

"C'est géant, je ne m'attendais pas vraiment à rencontrer quelqu'un comme toi ici! A croire que le peu qui nous différencie, c'est la longévité, et la place sur l'Olympe!"

Il pencha la tête sur le côté, et regarda par dessus l'épaule de la jeune femme. Il semblait interloqué.

"Dis moi mon ange déchu, où sont tes ailes? Tu ne peux pas voler?"

Son regard revint sur les yeux vairons de Skarlett. Ils étaient beaux, ses yeux. Il considérait la demoiselle avec tristesse.

"Qui a pu être assez con pour brûler les ailes d'un ange?"

Il savait ce qu'il faisait, soit c'était elle, dans ce cas cette phrase voulait juste dire que ce qu'elle avait fait était idiot. Soit c'était un Dieu, et dans cet autre cas, ce ne serait pas la première insulte, ni la dernière, qu'il lançait à ses semblables.

"Tu sais, dans ce monde les forts doivent s'élever tant qu'ils le peuvent, même si c'est au détriment des autres. Les faibles doivent s'adapter ou disparaître."

Suffering arriva dans sa main en un instant. Il la fit tournoyer dans sa main un petit moment, et tendit ensuite l'arme à Skarlett. L'heure était à la tentation, il voulait qu'elle frappe, bien que cette arme ne pourrait jamais le blesser. Elle reviendrait à sa main, avant de le toucher.

"Carpe Diem, comme l'a dit ce bon vieux Horace! Tu n'as fait de mal à personne? Quelle blague! Tout le monde s'en contrefous, les Dieux sont Dieux, qu'ils aient fait le Bien ou le Mal! Regarde cette belle cité, souviens toi de ces paysages que tu m'as décrit, n'as tu jamais envisagé que tout cela puisse t'appartenir? N'as tu jamais pensé que ce monde serait plus beau si tu étais aux commandes? Le Bien et le Mal, c'est qu'une question de point de vue. J'ai choisi la voie du Chaos pour recréer ce monde, et l'améliorer! Ceux qu'on nomme à tort des Dieux du "Bien" ne sont que des conservateurs, qui veulent préserver ce monde parce que leur place est confortable sur leurs jolis trônes, il ne pensent pas aux autres..."

Il présenta ensuite l'arme de ses deux mains, sous les yeux de Skarlett. Il avait fait part de sa vision du monde, il fallait bien qu'il explose, pour une fois qu'il trouvait quelqu'un qui lui ressemblait.

"Prends cette épée, et montre moi la voie que tu as choisie!"

Son regard sérieux se plongea dans celui de Skarlett. Il était temps de concrétiser, de voir si oui ou non, cette femme suivrait la voie du Chaos. Si oui ou non, il avait trouvé en elle une croyante, une fidèle. C'était l'ultime test, ensuite de quoi il n'aurait plus besoin d'en savoir plus, quelle que soit l'issue.

Un Dieu la mettait à l'épreuve, si elle allait jusqu'au bout, il en saurait bien assez sur elle pour y voir une personne de confiance. Si elle se détournait, c'était donc qu'il s'était trompé.

      À l'entendre rire, Skarlett eut un terrible pincement au cœur. Elle avait l'impression qu'il était en train de se foutre d'elle ouvertement, ce qui était sûrement le cas. En cet instant bien précis, comme elle se sentait si misérable, si petite et si insignifiante... Pour accompagner cette moue boudeuse elle croisa les bras sous sa poitrine, ses doigts gantés venant presque griffer sa chair sous l'effet de la frustration. Elle ne faisait même plus attention à Kyô, se bidonnant dans les airs...

      Cependant il réussit à capter son attention de nouveau en l'attrapant par le cou, ce qui la força inconsciemment à décroiser les bras. La panique monta en elle et si bien que sa bouche était entrouverte, aucun son n'en sortait. La jeune femme aurait pu hurler, lui hurler d'arrêter mais elle ne parvenait pas à répondre à sa mince provocation. Son regard, figé comme glacé, ne quittait pas celui du Dieu. Elle en avait presque oublié ce qui s'était passé dans la salle de bal, tant la situation lui paraissait encore une fois invraisemblable. Heureusement qu'il la lâcha bien rapidement... Ce n'était qu'une « petite » feinte, après tout... Il ne lui voulait pas vraiment du mal, hein... ? Oui... c'était sûrement ça... Dans la tête de la Nephilim, c'était comme si un « signal d'alerte » raisonnait dans tout son esprit à chaque fois qu'elle pouvait détecter un geste un petit peu trop suspect. Bien que naïve sur les bords, elle pouvait passer à l'extrême opposé : la paranoïa aiguë.

« Allons, détends toi, j'vais pas te tuer, si il y a un de nous deux qui voudrait et pourrait tuer un Dieu ici, c'est bien Moi! »

      Son interlocuteur adopta alors une position bien distinguée, à la plus grande surprise de sa nouvelle rencontre. Elle recula un tout petit peu, observant l'homme sous toutes ses coutures. À ses dires, elle se contenta d’acquiescer timidement. À vrai dire elle ne savait pas quel comportement adopté face à Kyô. C'était un Dieu, certes, mais il se montrait plutôt aimable et conciliant à son égard, bien que parfois certains de ses actes paraissaient pour le moins étrange...

« C'est géant, je ne m'attendais pas vraiment à rencontrer quelqu'un comme toi ici! A croire que le peu qui nous différencie, c'est la longévité, et la place sur l'Olympe! Dis moi mon ange déchu, où sont tes ailes? Tu ne peux pas voler? Qui a pu être assez con pour brûler les ailes d'un ange? »

      Là encore elle sentit un autre vide en elle. Que pouvait-elle lui répondre ? Lui dire que c'était son père qui était à l'origine de cette mutilation ne les avancerait pas vraiment, ce n'était pas tellement utile à mentionner. Il ne pouvait rien pour elle à ce sujet là, après tout...

« Tu sais, dans ce monde les forts doivent s'élever tant qu'ils le peuvent, même si c'est au détriment des autres. Les faibles doivent s'adapter ou disparaître. »

      Skarlett pris une profonde inspiration. Une arme venait de se matérialiser dans la main de son compagnon. Pas très imposante, certes, mais vu le propriétaire il fallait mieux s'en méfier beaucoup.

« Carpe Diem, comme l'a dit ce bon vieux Horace! Tu n'as fait de mal à personne? Quelle blague! Tout le monde s'en contrefous, les Dieux sont Dieux, qu'ils aient fait le Bien ou le Mal! Regarde cette belle cité, souviens toi de ces paysages que tu m'as décrit, n'as tu jamais envisagé que tout cela puisse t'appartenir? N'as tu jamais pensé que ce monde serait plus beau si tu étais aux commandes? Le Bien et le Mal, c'est qu'une question de point de vue. J'ai choisi la voie du Chaos pour recréer ce monde, et l'améliorer! Ceux qu'on nomme à tort des Dieux du "Bien" ne sont que des conservateurs, qui veulent préserver ce monde parce que leur place est confortable sur leurs jolis trônes, il ne pensent pas aux autres... »

      Beaucoup de choses semblait lui paraître plus clair dès cet instant. Voyait-il donc du « mal » dans le « Bien » et du « bien » dans le « Mal » ? C'était tout comme. Ils partageaient beaucoup de points communs sauf que Skarlett était vraiment trop de nature craintive pour pouvoir apprécier les rôles qu'elle jouait à leur juste valeur. Devant de telles paroles, Skarlett aurait bien voulu s'incliner mais avant que l'idée frôla l'esprit, Kyô lui tendit son arme des deux mains.

« Prends cette épée, et montre moi la voie que tu as choisie! »

      Confuse pas cette déclaration, Skarlett leva les yeux vers Kyô, toute candide. Qu'attendait-il d'elle, au final... ? Elle ne savait pas vraiment quoi... Que devait-elle faire pour lui montrer qu'elle ne faisait pas partie de ces personnes installées sur leurs privilèges ? De ses mains tremblantes, elle souleva l'arme par le manche. Elle semblait maintenant bien plus lourde qu'elle semblait l'être entre les mains du Dieu. Une fois que ses légers tremblements se calmèrent, elle réussit à porter l'arme d'une main, la droite, en trouvant un point d'appui convenable pour que le poids de l'arme ne paraisse pas trop grand. Certes, son bras forçait pour la garder en main, mais elle n'en avait pas pour long. De sa main droite, elle posa son index sur la lame et la caressa, doucement, ses yeux étant presque envoûtés par ce geste. Ceci étant fait elle reprit l'arme à deux mains et c'est avec un regard inquisiteur qu'elle fixait Kyô. La Nephilim serra un peu plus la garde et elle se demanda ce qui était le plus juste à faire. Après quelques longues secondes, elle ferma les yeux puis elle leva lentement l'arme de ses deux bras menus avant d'abattre la lame sur le Dieu. Elle avait pleinement confiance en lui et elle était impatiente de connaître la suite des événements.

      Skarlett n'avait pas besoin d'ouvrir la bouche, les gestes parlent déjà assez d'eux-mêmes.