« Pourtant je ne parviens pas à briser la carapace dont vous vous enveloppez à chaque fois que vous perdez le contrôle. Avant d’essayer de connaître le monde qui vous entour en vous abreuvant de philosophie, je vous suggère d’apprendre à vous connaître vous-même. Comme disait ce cher Aristote : La connaissance de soi requiert autrui. Mais peut-être n’avez vous pas envie de vous connaître ma dame. Peut-être que c’est pour ça que vous ne laissez personne vous approcher »
Ces mots raisonnaient dans la tête de la jeune femme. Avait-il donc deviné sa vie ? L’avait-il mise à jour ? Se connaître soi-même. Elle ne comprenait pas vraiment ce que cela signifiait. Elle se connaissait, elle connaissait ses capacités. Mais elle se doutait que ce n’était pas de cela dont il parlait. Une partie d’elle-même lui échappait mais elle n’était pas sur de vouloir la connaître. Elle avait tellement souffert. Elle avait accepté une vie qui en fait n’en était pas une. Elle avait considéré ça comme sa vie sans jamais la remettre en cause jusqu’à il y a peu de temps. Mais de la vie, de la vraie vie, elle ne connaissait rien ou presque.
Les paroles de William Dolan lui faisaient mal, très mal même car elle savait que c’était vrai. Son existence n’était pas des plus réjouissantes mais elle lui convenait. Du moins, elle s’en persuadait. Ses livres, sa solitude, son apparence, son attitude la protégeaient. Même si elle voulait changer. Elle pensait ne pas en être capable.
Elle regarda le jeune homme. Il ne lui souriait plus. Son visage était tout aussi fermé que le sien. Elle n’était pas en colère contre lui. Ses sentiments étaient mitigés à son propos. Elle ne comprenait pas l’intérêt qu’il avait pour elle. Elle n’était rien de plus qu’une ombre. Elle esquissa un léger sourire.
« Vous avez raison monsieur Dolan. Je n’ai pas envie d’être approché. Je n’ai rien à offrir aux autres. Si j’avais vécu une vie normale, se serait différent mais on ne m’a pas laissé cette chance »
Sa voix s’était voilée en prononçant ces derniers mots. Elle sentait sa gorge se nouer. Elle essayait de vivre une vie mais elle venait de comprendre que la vie normale à laquelle elle aspirait, elle ne l’aurait jamais. Un peu plus et elle se serait mise à pleurer. Mais ça n’aurait servit à rien. On lui avait si bien appris à ne pas craquer et elle avait été une si bonne élève.
« Je suis consciente du fait que ma vie n’en est pas vraiment une mais elle me convient et je n’en demande pas plus – son regard devint plus dur, plus agressif – Je ne juge personne et je ne veux pas qu’on me juge ou qu’on juge ma vie. A votre échelle, ma vie vous semble bien dérisoire ou sans intérêts. Pour moi, c’est… la paix et la stabilité et je ne veux pas en changer »
Marine se retourna et avança vers la porte. Elle se sentait vide et malheureuse. Elle voulait juste repartir d’ici et replonger dans un univers où personne ne lui ferait de mal. Sans se retourner, elle lança à l’homme de loi :
« Je crois que votre heure est terminée, monsieur Dolan. Platon m’attend. Inutile de me ramener en voiture, je préfère marcher – Elle se retourna et s’inclina- Merci pour cette heure, monsieur Dolan, je l’ai apprécié sauf la fin peut-être »
Elle était sincère. Elle avait aimé être en compagnie de maître Dolan, de discuter avec lui, d’admirer sa magnifique collections d’objets anciens. Elle était honorée qu’il lui ait accordé ce privilège. Elle se tourna et franchit la porte.